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Entre-temps, il y aurait beaucoup de dangers à affronter. Comme celui d’un chiot nouveau-né, leur potentiel pouvait être anéanti d’un seul coup. La survie du Mouvement – et celle du monde – dépendrait de leur intelligence supérieure, de leur discipline, de leur traîtrise. Par bonheur, c’étaient des qualités que messire Acier s’était toujours enorgueilli de posséder au plus haut point.

À la lueur de sa chandelle tremblotante, Acier continuait de rêver… De l’intelligence, de l’imagination, de la discipline et une bonne dose de traîtrise… S’il s’y prenait bien, il pourrait persuader les deux-pattes d’éliminer ses ennemis… puis de lui découvrir leur gorge. C’était un rêve audacieux, presque fou, mais il pensait connaître un bon moyen. Jefri affirmait qu’il saurait faire marcher l’émetteur du vaisseau. Tout seul ? Acier en doutait. Le deux-pattes s’était complètement laissé leurrer, mais il n’était pas spécialement compétent. Amdiranifani, c’était autre chose. Il faisait preuve de tout le génie cumulé de ses géniteurs. Et les principes de loyauté et de sacrifice que ses professeurs lui avaient inculqués avaient efficacement pris racine, bien qu’il eût un tempérament un peu… joueur. Sa fidélité n’avait pas le tranchant que la peur est seule à donner. Mais peu importe. En tant qu’instrument, il était plus utile que n’importe qui d’autre. Et il comprenait parfaitement Jefri. De plus, il paraissait comprendre le fonctionnement des machines du vaisseau encore mieux que la jeune mante elle-même.

Il fallait courir le risque. Il allait les laisser entrer dans le vaisseau. Ils enverraient le message de Jefri à la place du signal de détresse automatique. Mais que devait contenir ce message ? Chaque mot serait plus important, plus chargé de dangers que tous les discours jamais prononcés sur ce monde par n’importe quelle meute.

Trois cents mètres plus loin, dans les profondeurs de la zone d’expériences, un jeune garçon et un groupe de chiots eurent un coup de chance inattendu quand ils découvrirent une porte restée ouverte et que l’occasion leur fut donnée de jouer avec le communicateur de Jefri.

L’appareil était assez complexe. Il était destiné à un usage professionnel dans les hôpitaux et sur les chantiers. Il permettait de télécommander des appareils aussi bien que de communiquer par la voix. En tâtonnant, les deux complices finirent par trouver les bonnes options.

Indiquant les numéros affichés par le communicateur, Jefri Olsndot murmura à voix basse :

— Je crois que cela signifie que nous sommes en liaison avec un récepteur, quelque part.

Il regarda nerveusement la porte. Quelque chose lui disait qu’ils n’auraient vraiment pas dû se trouver ici.

— Ce sont les mêmes signes que sur la radio que messire Acier a prise, déclara Amdi. Il aura ainsi la preuve que nous pouvons l’aider. Qu’est-ce qu’il faut faire ?

Trois d’entre lui se mirent à galoper autour de la pièce, comme des petits chiens incapables de se concentrer sur une conversation. Jefri savait maintenant que ce comportement équivalait à celui d’un humain qui détourne les yeux ou qui fredonne pendant qu’il réfléchit. L’angle de ses visions était un autre signe, analogue, cette fois-ci, à un grand sourire malicieux.

— Nous devrions lui faire la surprise. Il est toujours tellement sérieux.

— D’accord.

Messire Acier était assez solennel, c’était vrai, mais tous les adultes avaient tendance à être un peu comme ça. Ils lui rappelaient les vieux savants du Lab Haut.

Amdi saisit le communicateur avec une expression qui voulait dire : « Regarde bien. » Il appuya du nez sur le bouton « parole » et lança un long hululement dans le micro. Cela ressemblait vaguement au langage intermeutes. Un membre d’Amdi traduisit à son oreille. Jefri senti un gloussement lui monter à la gorge.

Dans son bastion, messire Acier était perdu dans ses machinations. Son imagination, déchaînée par le cognac et les herbes, flottait en apesanteur, jouant avec chaque possibilité. Il était vautré dans des coussins de velours, douillettement à l’abri de toute intrusion. Les chandelles à moitié consumées éclairaient faiblement le paysage mural, faisant danser des reflets sur les meubles polis. L’histoire qu’il allait raconter aux deux-pattes, il l’avait presque en tête…

Le bruit, sur sa table, commença très faiblement, submergé au fond de sa rêverie. Il se faisait entendre surtout dans le grave, mais avec des pointes dans la gamme de la pensée, comme des protubérances issues d’un autre esprit. C’était une véritable présence, qui ne cessait de grandir. Quelqu’un est entré chez moi ! Cette pensée le déchira comme les lames à dépecer de Flenser. Les membres de messire Acier se mirent à trembler de panique spasmodique, désorientés par les effets de l’alcool et des herbes.

Une voix, au milieu de toute cette démence, se fit entendre, déformée, privée de certaines fréquences que le langage vocal exigeait, mais intelligible tout de même. C’était un hurlement modulé, qui lui disait :

— Messire Acier ! Vous avez le bonjour de La Meute des Meutes, du Grand Dieu Tout-Puissant !

Une partie de lui avait déjà couru ouvrir la porte et passait la tête, effarée, dans le couloir où étaient les gardes. Leur présence le rassura quelque peu, mais jeta sur lui un trouble glacé. C’est ridicule. Il pencha une tête pour regarder le communicateur posé sur son bureau. Il y avait des échos partout, mais les sons provenaient bien de la machine à parler à distance. Ils n’avaient plus rien à voir, maintenant, avec le langage des meutes. C’étaient des fragments de bruits, des caquetages sans signification dans la gamme moyenne de la pensée. Une seconde… Derrière tout cela, très faible, il avait nettement entendu un grognement saccadé qu’il connaissait bien. C’était un rire de mante.

Acier se laissait rarement gagner par la rage. Celle-ci était pour lui un instrument et non un maître. Mais lorsqu’il se souvint des mots et entendit ce rire, il sentit un afflux de sang noir dans tous ses membres, l’un après l’autre. Sans savoir ce qu’il faisait, il saisit le communicateur et le jeta au loin. Le silence se fit immédiatement. Il lança un regard glacé aux gardes, figés au garde-à-vous dans le couloir. Leurs pensées lui parvenaient faiblement, étouffées par la peur.

Quelqu’un allait certainement mourir pour cela.

Il alla voir Amdi et Jefri le lendemain du jour où ils avaient eu tant de succès avec leur radio. Ils l’avaient convaincu. Ils iraient ensemble sur le continent. Jefri allait avoir l’occasion de lancer son message aux siens.

Acier fut encore plus grave et solennel qu’à l’accoutumée. Il leur infligea un long discours pour expliquer qu’il était important de faire venir de l’aide, qu’il fallait se défendre contre de nouvelles attaques du Sculpteur. Mais il ne semblait pas leur en vouloir au sujet de la petite plaisanterie d’Amdi. Jefri poussa un soupir de soulagement. Chez lui, papa lui aurait donné une bonne tannée pour lui apprendre à s’amuser ainsi. Amdi a raison. Messire Acier était austère parce qu’il avait de lourdes responsabilités et devait faire face à beaucoup de dangers, mais dans le fond c’était quelqu’un de très gentil.

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Reçu par : Relais transmetteur 03, via Relais

Chemin langage : langue de feu→nuéli→triskweline, unités SjK [La langue de feu et le nuéli sont des langages d’affaires de l’En delà Supérieur. Seule la signification centrale est donnée dans la présente traduction]