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— Un hasard, fit Jaqueramaphan en retournant sur la crête pour reprendre son observation. Je parierais qu’ils étaient déjà sur le continent quand l’étoile est tombée. Tout cela fait partie du territoire du Dépeceur. Ils doivent patrouiller régulièrement.

Il se tapit, en sorte qu’une seule paire d’yeux demeurait visible d’en bas.

— Ils sont en train de préparer une embuscade, dit-il.

— Vous ne semblez guère heureux de les voir. Ce sont pourtant vos amis, non ? Vous êtes venu ici pour les voir.

Scribe pencha ses têtes de manière sarcastique.

— Je sais. Je sais. Inutile de remuer le couteau dans la plaie. Vous avez compris depuis le début que je n’étais pas totalement flensériste.

— J’avais deviné.

— À présent, les jeux sont faits. Ce qui est tombé ici cet après-midi vaut davantage aux yeux de mes… euh… amis que tout ce que je pourrais jamais apprendre sur l’île Cachée.

— Et Tyrathect ?

— Hé, hé ! Notre estimé compagnon, j’en ai bien peur, est tout ce qu’il y a d’authentique. Je suis sûr qu’elle fait partie de la noblesse de Flenser et qu’elle n’est pas du tout la servante qu’elle paraît de prime abord. Je suppose qu’il y en a beaucoup comme elle qui se répandent dans les montagnes de nos jours, heureux d’échapper à la République des Longs Lacs. Cachez vos arrière-trains, mon ami. Si elle nous repère, ces troupiers ne vont pas nous rater !

Pérégrin s’enfonça dans les creux et les terriers qui piquetaient la lande. Il avait de là un excellent point de vue sur toute la vallée. Si Tyrathect n’était pas déjà sur place, il l’apercevrait bien avant qu’elle ne le voie.

— Pérégrin ?

— Oui ?

— Vous êtes un pèlerin… Vous avez parcouru le monde… depuis le commencement des temps, à ce que vous prétendez. Jusqu’où remontent vos souvenirs ?

Compte tenu de la situation, Wickwrackrum était plutôt enclin à l’honnêteté.

— Guère plus loin que ce que vous imaginez. Quelques centaines d’années. Mais il s’agit essentiellement de légendes, de réminiscences de faits qui se sont probablement produits, mais dont les détails sont plus ou moins confus et emmêlés.

— Pour ma part, je n’ai pas voyagé beaucoup et je suis plutôt nouveau en toutes choses, mais je lis. Et beaucoup. Il ne s’est jamais rien produit dans le passé qui ressemble à ça. L’objet qui est tombé là-bas est fabriqué, et il vient de plus haut que je ne suis capable de le mesurer. Avez-vous lu Aramstriquesa ou l’astrologue Belelele ? Vous avez une idée de ce que cela pourrait être ?

Ces noms ne disaient rien à Wickwrackrum. Mais c’était un pèlerin. Il savait qu’il y avait des terres si lointaines que personne n’y parlait aucun des langages qu’il connaissait. Dans les mers du Sud, il avait rencontré des gens qui croyaient que le monde se limitait à leurs îles et qui avaient fui ses bateaux quand il avait abordé. En fait, une partie de lui avait même été un insulaire, et il s’était vu débarquer.

Il passa une tête à découvert et observa de nouveau l’astre tombé, le visiteur venu de contrées situées plus loin qu’il n’était jamais allé… Et il se demanda où allait bien pouvoir finir ce pèlerinage.

3

Il fallut attendre cinq heures que le sol refroidisse suffisamment pour permettre à papa de faire glisser la rampe-escalier jusqu’au sol. Johanna et lui descendirent prudemment et sautèrent par-dessus la plaque encore fumante pour poser les pieds sur un terrain relativement intact. La plaque allait mettre encore un certain temps à refroidir complètement. Le souffle de la tuyère était « propre », il produisait peu d’effets sur la matière. Tout cela voulait dire que la roche brûlante s’étendait à des milliers de mètres sous leur vaisseau.

Maman était assise devant le panneau d’écoutille. Elle regardait le terrain qui s’étendait devant eux et tenait à la main le vieux pistolet de papa.

— Tu vois quelque chose ? lui demanda ce dernier.

— Non. Et Jefri ne voit rien non plus par les fenêtres.

Papa fit le tour du module de cargaison, inspectant les pylônes malmenés. Tous les dix mètres, ils s’arrêtaient pour installer un réverbérateur de son. C’était une idée de Johanna. En dehors du pistolet de papa, ils ne disposaient d’aucune arme véritable. Les réverbérateurs étaient du fret accidentel, provenant de l’infirmerie. Avec une petite programmation, ils pouvaient émettre des cris sauvages sur tout le spectre audio. Cela suffirait peut-être à éloigner les animaux du coin. Johanna suivait son père en surveillant les alentours, sa nervosité faisant place à l’émerveillement. Tout était si beau, si tranquille. Ils se trouvaient au milieu d’une large prairie, parmi une série de hautes collines. À l’ouest, le terrain descendait abruptement vers une succession de détroits et d’îlots. Au nord, les collines prenaient brusquement fin à l’endroit où s’ouvrait une large vallée. Elle apercevait des cascades de l’autre côté. Le sol était spongieux sous ses pieds. Leur site d’atterrissage était plissé de milliers de rides minuscules, comme des ondulations de l’eau figées dans un instantané. Il y avait quelques timides plaques de neige sur les versants des collines les plus élevées. Johanna plissa les yeux en direction du nord, où était le soleil. Le nord ?

— Quelle heure est-il, papa ?

Olsndot se mit à rire, toujours penché vers le dessous du module de cargaison.

— Minuit, heure locale.

Johanna avait grandi sous les latitudes moyennes de Straum. La plupart de ses sorties d’étude avec son école s’étaient faites dans l’espace, où les configurations solaires bizarres n’impressionnaient personne. Mais, curieusement, elle n’avait jamais songé que de telles choses pouvaient se produire au sol…

Voir le soleil au bord du monde…

La première tâche à accomplir consistait à sortir la moitié des cryosarcophages à l’air libre et à remettre en ordre ceux qui restaient à bord. Maman pensait que les problèmes de température seraient alors résolus, même pour les sarcophages qui resteraient.

— Le fait d’avoir des sources d’énergie et une ventilation séparées sera maintenant un avantage, dit-elle. Et les enfants seront tous en sécurité. Johanna, tu vérifieras le travail de Jefri sur ceux de l’intérieur, d’accord ?

La deuxième tâche serait de lancer un programme de poursuite pour établir une communication ultraluminique avec le système du Relais. Cette étape faisait un peu peur à Johanna. Qu’allaient-ils apprendre ? Ils savaient déjà que le Lab Haut allait mal et que les désastres prédits par maman avaient commencé.

Quelle proportion du Domaine Straumli avait péri ? Tout le monde au Lab Haut avait cru si bien faire, alors que…

N’y pense pas.

Ceux du Relais pourraient peut-être leur venir en aide. Il devait bien y avoir, quelque part, des gens qui avaient besoin de ce que ses parents avaient récupéré dans le Lab Haut.

On viendrait les chercher, et les autres enfants seraient sauvés. Elle éprouvait un sentiment de culpabilité à ce sujet. Il était certain que papa et maman avaient besoin de main-d’œuvre supplémentaire à ce stade du voyage et que Johanna était l’une des plus vieilles de l’école, mais il semblait injuste que Jefri et elle soient les seuls à vivre tout cela les yeux ouverts. Durant la descente, elle avait perçu les angoisses de sa mère.

C’est parce qu’ils voulaient que nous soyons tous ensemble, même si c’était pour la dernière fois.

L’atterrissage était extrêmement dangereux, quelle que soit l’habileté de papa. Johanna pouvait voir maintenant l’endroit où l’effet de retour avait percé la coque. Si c’était arrivé un peu plus haut que la torche, au niveau de la chambre d’expansion, ils seraient tous vaporisés à l’heure actuelle.