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La moitié environ des sarcophages se trouvaient maintenant au sol, du côté est du vaisseau. Papa et maman étaient occupés à les étaler pour que les refroidisseurs n’aient pas de problème. Jefri était à l’intérieur, en train de s’assurer qu’il n’y avait pas d’autres sarcophages dont il fallût s’occuper. C’était un gentil garçon quand il ne se rendait pas insupportable. Elle se tourna vers la lumière du soleil, sentit sur son visage la brise fraîche qui balayait la colline. Elle entendit un bruit qui ressemblait à un cri d’oiseau.

Johanna se trouvait à proximité d’un réverbérateur de son lorsque l’attaque se déclencha. Sa boîte de données était connectée, et elle était occupée à lui donner de nouvelles directives. Cela montrait à quel point ils avaient tout perdu. Même sa vieille boîte de données prenait de l’importance. Mais papa tenait à ce que les réverbérateurs couvrent la plus grande largeur de bande possible, en faisant tout le raffut qu’ils pouvaient, avec des pics espacés selon des intervalles aléatoires. Son Oliphant Rose était certainement capable de gérer cela.

— Johanna !

Le cri poussé par maman lui parvint en même temps qu’un bruit de céramique brisée. Le globe du réverbérateur se fracassa à côté d’elle. Quelque chose lui déchira la poitrine, juste à côté de l’épaule, la projetant par terre. Elle regarda, ébahie, la tige qui sortait de sa chair. Une flèche !

Tout le côté gauche de leur secteur d’atterrissage pullulait de… choses qui ressemblaient à des loups ou à des chiens, mais avec un long cou. Elles se déplaçaient très rapidement, filant comme l’éclair d’un mamelon à l’autre. Leur pelage était du même vert que les collines, à l’exception d’un endroit, au niveau des hanches, où elle apercevait du blanc et du noir. Ou plutôt non… Le vert était un vêtement, un manteau… Johanna était sidérée. L’impact du trait dans sa poitrine n’était pas encore enregistré en tant que douleur. Elle avait été projetée en arrière contre un talus naturel et, pour le moment, avait une vue panoramique sur toute l’attaque. Elle vit partir une volée de flèches, traits noirs striant le ciel.

Elle apercevait maintenant les archers. Encore des chiens ! Ils se déplaçaient par meutes. Il en fallait deux pour utiliser un arc. Le premier pour le maintenir, et le deuxième pour le tendre. Le troisième et le quatrième portaient des carquois, et semblaient se contenter de regarder.

Les archers se tenaient prudemment en arrière, la plupart du temps sous le couvert des arbres. D’autres meutes arrivaient de chaque côté, bondissant par-dessus les mamelons. Elle vit que plusieurs tenaient une hachette dans la mâchoire. Des dards de métal brillaient à leurs pattes. Elle entendit plusieurs fois le déclic du pistolet de papa. La vague d’assaut fléchit tandis que des individus s’écroulaient. Mais d’autres arrivaient en grondant. Ce n’était pas le bruit que fait un chien, c’était celui de la fureur. Elle percevait les sons jusque dans ses dents, comme de la musique blasti déversée par d’énormes enceintes. Des mâchoires et des griffes, des couteaux et du bruit.

Elle se tourna sur le côté pour essayer d’apercevoir le vaisseau. La douleur était maintenant réelle. Elle hurla, mais le bruit se perdit dans la folie générale. La horde courait à toute vitesse autour d’elle, convergeant vers papa et maman. Il était accroupi derrière un pylône. Le pistolet, dans la main d’Arne Olsndot, ne cessait d’émettre des lueurs. Sa combinaison pressurisée l’avait, jusque-là, protégé des flèches.

Les corps des extraterrestres s’entassaient de plus en plus haut. Le pistolet à fléchettes était d’une efficacité redoutable. Johanna le vit tendre l’arme à maman et sortir du couvert du vaisseau pour s’élancer vers elle. Elle tendit son bras valide vers lui en pleurant et en lui criant de retourner.

Trente mètres. Vingt-cinq. Maman le couvrait de son tir, faisant refluer les loups. Une volée de flèches descendit sur Olsndot tandis qu’il courait, les avant-bras levés pour se protéger la tête. Vingt mètres.

Un loup bondit très haut au-dessus de Johanna. Elle distingua nettement au passage son pelage ras et son arrière-train lacéré. Il se jetait droit sur papa, qui se baissa, essayant de laisser libre la ligne de tir de sa femme, mais le loup était trop rapide. Il infléchit sa trajectoire en conséquence, accélérant son mouvement en plein élan. Un éclat de métal brilla sur ses pattes au passage. Johanna vit une tache rouge grossir sur le cou de papa, puis les deux roulèrent à terre.

Durant quelques secondes, Sjana Olsndot cessa le tir. Ce fut suffisant. La horde se sépara, et un groupe important courut résolument en direction du vaisseau. Les loups de ce groupe portaient une sorte de réservoir sur le dos. Celui qui les guidait avait un tuyau dans la gueule. Un liquide noir en jaillit… qui disparut dans une explosion de feu. La meute de loups arrosa de son lance-flammes rudimentaire tout le terrain qui entourait le vaisseau, l’endroit où se tenait Sjana Olsndot, les pylônes, les sarcophages où dormaient les enfants… Johanna distingua un mouvement, quelque chose qui se tordait dans les flammes et la fumée noire. Le plastique léger des sarcophages se déforma puis se liquéfia.

Johanna tourna son visage vers le sol, se redressa sur son bras valide et essaya de ramper vers le vaisseau entouré de flammes. Puis les ténèbres se refermèrent sur elle, et elle ne se souvint plus de rien.

4

Pérégrin et Scribe avaient observé tout l’après-midi les préparatifs de l’attaque. L’infanterie s’était déployée sur le versant ouest du site d’atterrissage, les archers venant derrière, suivis des lance-flammes en formation d’attaque. Les nobles du Château du Dépeceur comprenaient-ils à quoi ils s’attaquaient ? Ils débattirent longuement de cette question. Jaqueramaphan était d’avis que les Flenséristes savaient ce qu’ils faisaient et que leur arrogance était si grande qu’ils étaient sûrs de s’emparer de leur proie.

— Ils sautent à la gorge de l’adversaire avant que celui-ci ne comprenne ce qui se passe. C’est une technique qui a déjà marché dans le passé.

Pérégrin ne répondit pas immédiatement. Scribe avait peut-être raison. Il y avait cinquante ans qu’il n’avait pas mis les pieds dans cette partie du monde. À l’époque, le culte de Flenser était obscur (et sans grand intérêt comparé à ce qui existait ailleurs).

La traîtrise faisait parfois succomber les voyageurs, mais la chose était plus rare que les sédentaires ne voulaient bien le croire. La plupart des gens étaient accueillants et aimaient avoir des nouvelles du monde au-delà, particulièrement si le visiteur n’avait pas l’air menaçant. Lorsqu’une traîtrise avait lieu quand même, c’était presque toujours après une « évaluation » initiale, pour déterminer la force des visiteurs et l’avantage qui pouvait être tiré de leur mort. Une attaque immédiate, sans dialogue préalable, était chose très rare. En général, cela signifiait qu’on était tombé sur des brigands à la fois sophistiqués et… complètement déments.

— Je ne sais pas. C’est bien une formation d’embuscade, mais les Flenséristes vont peut-être la tenir en réserve, et discuter d’abord.

Plusieurs heures passèrent. Le soleil glissa obliquement vers le nord. On entendit une série de bruits du côté où était tombée l’étoile. Zut ! On ne voyait rien d’ici.

Les troupes embusquées ne bougeaient pas. Les minutes passèrent… Mais ils finirent tout de même par apercevoir leur premier visiteur descendu du ciel, ou tout au moins une partie de lui. Il avait quatre pattes par membre, mais il ne marchait que sur ses deux pattes arrière ! Quel clown ! Oui… et il se servait de ses pattes antérieures pour tenir des objets. Pas une seule fois il ne le vit utiliser une de ses bouches. Il avait des mâchoires si plates, de toute manière, qu’on se demandait ce qu’il aurait bien pu tenir dedans. Ses pattes antérieures, par contre, étaient merveilleusement agiles. Chaque membre pouvait aisément utiliser tous les outils qu’il voulait.