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Pendant la moitié du jour suivant, elle fut calme, silencieuse et docile, quoique le médecin augmentât ses souffrances avec ses cataplasmes et ses pansements.

– Permettez! vous disiez vous-même qu’elle devait certainement mourir; pourquoi alors tous ces remèdes?

– C’était, répondit Maxime, pour tranquilliser notre conscience.

– Elle est jolie la conscience!

Dans l’après-midi, elle commença à éprouver une soif ardente; nous ouvrîmes la fenêtre, mais dehors, il faisait encore plus chaud que dans la chambre. Nous plaçâmes de la glace près du lit: rien ne la soulageait. Je savais que cette soif est intolérable, et qu’elle est le signe précurseur de l’agonie. Je le dis à Petchorin:

«De l’eau! de l’eau!» dit-elle d’une voix étouffée, en se levant sur son séant.

Grégoire devint pâle comme un linge, prit un verre, le remplit, et le lui donna. Je me couvris les yeux avec mes mains, et me mis à réciter une prière, je ne sais plus laquelle, mon Dieu! J’ai vu mourir bien des hommes dans les ambulances ou sur les champs de bataille; mais ce n’était plus cela! ce n’était pas du tout cela!

Je dois vous avouer ce qui m’attriste encore: En face de la mort, elle ne se souvint pas un instant de moi; et moi, il me semble que je l’aimais comme un père!… Mais que Dieu lui pardonne! car en vérité, pourquoi aurais-je voulu qu’elle songeât à moi devant la mort?

Lorsqu’elle eut bu toute cette eau, elle parut soulagée et trois minutes après, elle exhala son dernier soupir!…

Nous plaçâmes un miroir devant ses lèvres, mais pas le moindre souffle ne vint en ternir le poli.

J’éloignai Petchorin de cette chambre, et nous allâmes sur le rempart de la forteresse, où nous nous promenâmes longtemps de long en large, côte à côte, sans dire une parole et nos mains croisées derrière le dos. Son visage n’exprimait rien de particulier, et moi j’étais fort triste; à sa place, je serais mort de douleur! Enfin il s’assit à l’ombre et avec un bâton dessinait sur le sable. Par convenance je cherchai à le consoler et me mis à lui parler. Il leva la tête et se mit à rire. Un froid glaça ma peau à ce rire. Je partis commander le cercueil.

J’avoue que ce fut en partie pour me distraire que je m’occupai de ce soin. J’avais une pièce d’étoffe, j’en garnis la bière et la parai avec les broderies d’argent circassiennes que Petchorin avait achetées pour elle.

Le lendemain, de bon matin, nous l’enterrâmes derrière la forteresse, près du ruisseau et à cette place où elle s’était assise pour la dernière fois. Autour de la tombe, poussent maintenant les blanches fleurs de l’accacia et du sureau. J’avais envie d’y placer une croix, mais je ne le pus, parce qu’elle n’était pas chrétienne.

– Et que devint Petchorin?

– Petchorin fut longtemps malade et maigrit, le malheureux; mais depuis ce jour nous ne parlâmes plus de Béla. Je voyais que cela lui était désagréable. Trois mois après, on lui désigna un régiment et il partit pour la Géorgie. Depuis nous ne nous sommes plus rencontrés. Je me souviens d’avoir entendu dire que peu de temps après il retourna en Russie; mais dans les cadres du corps d’armée il n’en fut plus question. Et puis les nouvelles nous parviennent si tardivement ici.

Là-dessus il entama une longue conversation sur ceci: qu’il est fort désagréable de ne connaître les nouvelles qu’une année plus tard et que cela n’est supportable que parce que ce retard amortit quelquefois de douloureuses émotions.

Je ne l’interrompis point, car je ne l’écoutais plus.

Au bout d’une heure, il nous parut possible de partir. La tempête s’était calmée; le ciel s’éclaircit et nous nous remîmes en route. En chemin je ramenai malgré moi la conversation sur Béla et Petchorin.

– Et vous n’avez pas entendu dire ce qu’est devenu Kazbitch?

– Kazbitch! à la vérité je n’en ai plus entendu parler. J’ai ouï dire que sur notre flanc droit chez les Chapsoug [9] il existe quelque Kazbitch hardi qui, en habit Tartare rouge, va et vient sous nos balles et salue poliment lorsqu’elles sifflent près de lui. Je doute que ce soit le même!

Nous nous séparâmes à Kobi. Je partis en poste. Lui, à cause de sa voiture chargée, ne put me suivre. Nous comptions ne jamais nous revoir, mais cependant nous nous rencontrâmes, et si vous le désirez, je vous raconterai cela. C’est toute une histoire. Avouez seulement que Maxime Maximitch était un homme digne d’estime! Si vous avouez cela, je vous en récompenserai par un récit qui ne sera pas trop long.

MAXIME MAXIMITCH

Après avoir pris congé de Maxime Maximitch je traversai rapidement les défilés du Terek et du Darial; je déjeunai au Kazbek, bus le thé à Larse, et me hâtai afin d’arriver pour le dîner à Vladicaucase. Je vous ferai grâce ici de la description de la montagne, d’exclamations qui n’expriment rien et de tableaux qui ne représentent pas grand’chose, excepté pour ceux qui n’y sont pas allés. Je ne vous ferai pas non plus de remarques statistiques que décidément personne ne veut lire.

Je m’arrêtai à l’hôtellerie où descendent tous ceux qui passent et où cependant personne ne put seulement nous faire rôtir un faisan et bouillir un peu de soupe aux choux, car les trois invalides à qui la maison était confiée se trouvaient tellement ineptes et tellement ivres, qu’il était impossible de chercher à obtenir d’eux quelque chose.

Ils me déclarèrent que je devais séjourner là encore trois jours, parce que l’occasion d’Ékatérinograd n’était pas encore arrivée, et par conséquent ne pouvait encore retourner. Quelle occasion! Mais un mauvais calembour n’est pas une consolation pour un Russe, et afin de me distraire, je songeai à écrire le récit de Maxime sur Bêla, ne pensant pas alors qu’il ne serait que la première partie d’une longue suite de récits. Vous avez vu comment un événement insignifiant peut avoir quelquefois des suites fâcheuses. Mais à propos, peut-être ne savez-vous pas ce que c’est que l’occasion? C’est l’escorte composée d’une demi-compagnie d’infanterie et d’artillerie qui accompagne les transports militaires à travers le pays de Kabarda entre Vladicaucase et Ékatérinograd.

Je passai le premier jour d’une manière fort ennuyeuse. Le second jour, une voiture franchit de bon matin les portes; c’était celle de Maxime Maximitch. Nous nous rencontrâmes comme deux vieilles connaissances. Je lui offris ma chambre, il accepta sans cérémonie, me frappa sur l’épaule et arrondit sa bouche en forme de sourire. Quel excellent homme c’était!

Il faut vous dire qu’il avait, dans l’art culinaire, de profondes connaissances; aussi fit-il rôtir admirablement le faisan qu’il entoura d’une délicieuse sauce aux légumes. Je dois avouer que sans lui je serais resté aux légumes secs toute la journée. Une bouteille de vieux vin de Kaketinski nous aida à oublier le nombre modeste de plats de notre repas réduit à un seul, et puis nous nous assîmes pour fumer nos pipes, moi sur le bord de la fenêtre, lui tout à côté du poêle, car la journée était froide et humide. Nous nous taisions; de quoi parler du reste? Il m’avait déjà fait le récit de tout ce qui lui était arrivé d’intéressant, et moi je n’avais rien à lui raconter. Je me mis à regarder par la fenêtre les nombreuses maisonnettes éparpillées sur les bords du Terek. La rivière s’élargissait en serpentant au milieu des arbres, puis plus loin devenait plus bleue sous l’ombre dentelée des montagnes, derrière lesquelles le Kazbek semblait nous regarder pareil à un chapeau de cardinal recouvert de neige. Je faisais mentalement mes adieux au Caucase et j’en éprouvais beaucoup de peine.

Nous restâmes ainsi longtemps. Le soleil se cachait derrière les froides cimes et un brouillard épais et gris s’étendait déjà sur les vallées, lorsque dans la rue retentit le son des grelots d’un équipage et la voix des postillons.

Quelques voitures militaires toutes couvertes de boue entrèrent dans la cour et derrière elles une calèche de voyage vide. Sa marche était légère, sa construction commode et élégante et elle avait un cachet étranger. Sur le siège était un homme à longues moustaches et trop bien vêtu pour un laquais; mais il était cependant impossible de se tromper sur sa position sociale en voyant la manière grossière avec laquelle il secouait la cendre de sa pipe et criait après les postillons. C’était évidemment le serviteur complaisant d’un maître paresseux et avait un air de famille avec le Figaro russe. Dites-moi, mon cher! lui criai-je par la fenêtre; l’occasion est-elle arrivée? Il me regarda avec assez d’arrogance, arrangea sa cravate et se retourna. Le conducteur des équipages militaires, placé à côté de lui, répondit qu’effectivement l’occasion était arrivée et qu’elle repartirait le lendemain matin, Dieu soit béni! dit Maxime qui s’était approché de la fenêtre pendant ce temps: Quelle jolie calèche! ajouta-t-iclass="underline" c’est certainement quelque haut fonctionnaire qui va à Tiflis pour une enquête! Et probablement il ne connaît pas nos montagnes. Non! tu ne connais pas nos montagnes, elles te briseront ta voiture anglaise, mon cher! Mais qui cela peut-il être? allons l’apprendre.

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[9] Peuplade du Caucase.