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– Maintenant quelle est la secondé idée?

– La seconde idée? la voici: J’ai envie de vous faire raconter quelque chose; premièrement parce que écouter est moins fatigant; secondement parce qu’ainsi on ne risque pas d’être indiscret; troisièmement parce que l’on peut apprendre ainsi les secrets d’autrui; quatrièmement parce que les hommes d’esprit comme vous, aiment mieux les auditeurs que les conteurs. Maintenant, à votre tour! Que vous a dit de moi la mère de la princesse Ligowska?

– Êtes-vous certain que ce soit la mère qui m’ait parlé de vous et non pas la fille?

– Tout à fait certain.

– Pourquoi?

– Parce que la jeune fille a demandé des renseignements sur Groutchnitski.

– Vous ayez véritablement le don de la divination. La jeune fille a dit qu’elle était persuadée que ce jeune homme en costume de soldat avait été remis dans cette position, à la suite d’un duel.

– Je pense que vous la laisserez dans cette agréable erreur?

– Cela va sans dire!

– Il y a une intrigue! me suis-je écrié avec joie. Occupons-nous de la fin de cette comédie. Ma destinée est décidément de m’occuper de cela pour me désennuyer.

– Et je pressens, dit le docteur, que le pauvre Groutchnitski sera votre victime?

– Allez, allez donc, docteur!

– La princesse-mère m’a dit que votre visage lui était connu. Je lui ai fait observer que certainement elle devait vous avoir rencontré dans le monde, à Saint-Pétersbourg, et je lui ai dit votre nom. Il lui était connu. Il paraît que votre histoire a fait beaucoup de bruit; elle s’est mise à raconter vos aventures, ajoutant probablement, selon les caquets mondains, ses propres remarques. Sa fille écoutait avec beaucoup de curiosité, et dans son imagination vous êtes devenu un héros de roman. Je n’ai contredit en rien la princesse, quoique je susse bien qu’elle disait des absurdités.

– Mon digne ami! lui ai-je dit en lui prenant la main.

Le docteur s’est recueilli un instant et a continué:

– Si vous voulez, je vous présenterai?

– De grâce, permettez, lui ai-je dit en frappant dans mes mains; est-ce que l’on présente les héros? Ils se font connaître d’une autre manière, par exemple en sauvant d’une mort certaine leur bien aimée… en…

– Et vous voulez effectivement vous mettre à faire votre cour à la princesse?

– Au contraire, docteur. Pourtant, je triompherai. Vous ne me comprenez pas?… Cela me désole. Du reste, ai-je continué après un moment de silence, je ne raconte jamais mes secrets; j’aime bien mieux qu’on les devine; je puis ainsi, à l’occasion, désavouer de semblables projets. Cependant vous devez me décrire la mère et la fille. Que sont ces gens-là?

– D’abord, la mère est une femme de quarante-cinq ans environ, m’a répondu Verner; son estomac est excellent, mais son sang est gâté. Elle a sur les joues des taches rouges, et comme elle a passé la dernière moitié de sa vie à Moscou, l’inaction lui a valu de l’embonpoint. Elle aime les anecdotes scandaleuses et raconte elle-même des choses un peu lestes, lorsque sa fille n’est pas là. Elle m’a déclaré, par exemple, que sa fille était innocente comme une colombe; cela me regardait-il? J’avais envie de lui répondre: Soyez tranquille madame, je n’en dirai rien. La mère se soigne pour un rhumatisme et la fille, Dieu sait pourquoi! Je lui ai ordonné de boire deux verres d’eau alcaline par jour et de se baigner deux fois par semaine dans un bain minéral étendu d’eau. La princesse-mère ne me paraît pas être habituée à commander. Elle vante l’esprit respectueux et le savoir de sa fille, qui lit Byron en anglais et sait l’algèbre. À Moscou, il est certain que les jeunes filles acquièrent de l’érudition, et elles font bien; les maris sont en général si peu aimables que coqueter avec eux doit être insupportable pour une femme d’esprit. La princesse-mère aime beaucoup les jeunes gens; la jeune princesse les regarde avec un certain mépris, coutume moscovite! Elles ne voient à Moscou que des galants de quarante ans!

– Êtes-vous allé à Moscou, docteur?

– Oui, j’ai eu là quelque clientèle.

– Ah! et puis! continuai-je!

– Mais je crois avoir tout dit… Ah! cependant, voici encore: La jeune princesse, me paraît aimer à parler sentiment, passion, etc. Elle était un hiver à Pétersbourg et ne se plaisait pas dans la société élevée. On devait l’avoir accueillie froidement.

– Vous n’avez vu personne chez elles aujourd’hui?

– Au contraire, il y avait un aide-de-camp, un tirailleur de la garde et une dame quelconque nouvellement arrivée, parente de la princesse par son mari, très jolie, mais il paraît très malade. Ne l’avez-vous pas rencontrée au puits? Elle est de taille moyenne, blonde, avec des traits réguliers, un visage de poitrinaire et une petite tache noire sur la joue droite, son visage m’a surpris par son expression.

– Une tache noire? ai-je murmuré entre mes dents, serait-ce possible!»

Le docteur m’a regardé et m’a dit, avec un air superbe, en posant sa main sur mon cœur:

– Vous la connaissez?»

Effectivement, mon cœur battait plus fort qu’à l’ordinaire.

– À votre tour de me vaincre, lui ai-je dit, je compte sur vous; ne me trahissez, pas. Je ne l’ai pas vue encore, mais je suis sûr que je reconnais à votre portrait une femme que j’ai aimée autrefois. Ne lui dites pas un mot de moi, et si elle vous questionne, dites-lui du mal de votre serviteur.

– Je le veux bien! a ajouté Verner en haussant les épaules.

Après le départ du docteur une peine affreuse m’a serré le cœur. Est-ce que le hasard nous réunirait de nouveau au Caucase? ou bien est-elle venue ici, sachant qu’elle m’y rencontrerait? Et comment nous revoir? Et puis est-ce bien elle? Mes pressentiments ne m’ont jamais trompé. Il n’est pas un homme sur lequel le passé ait plus d’empire que sur moi. Chaque souvenir du plus court chagrin ou de la plus courte joie, frappe mon âme jusqu’à la souffrance et en tire toute espèce de sons. Je suis organisé d’une manière stupide. Je n’oublie rien, rien!

Après le dîner, à six heures, je suis allé sur le boulevard. Il y avait foule; les deux princesses étaient assises sur un banc, entourées de jeunes gens qui faisaient tous leurs efforts pour paraître aimables. J’ai trouvé place à quelque distance sur un autre banc. J’ai arrêté deux officiers de ma connaissance et leur ai raconté quelque histoire. Évidemment c’était drôle, car ils se sont mis à rire comme des fous. La curiosité a attiré vers moi quelques-uns de ceux qui entouraient la jeune princesse; peu à peu ils l’ont tous abandonnée et se sont réunis à mon groupe. Je ne tarissais pas, mes anecdotes étaient spirituelles jusqu’à la sottise, mes railleries sur les passants originales et méchantes jusqu’à la violence. J’ai continué d’égayer ce public jusqu’au soleil couchant. Plusieurs fois la jeune princesse, au bras de sa mère, accompagnée de quelques vieillards boiteux, a passé près de moi. Son regard, en tombant sur moi, exprimait du dépit, quoiqu’elle s’efforçât de prendre un air indifférent.

«Que racontait-il? a-t-elle demandé à l’un des jeunes gens qui était retourné vers elle par politesse; c’était sûrement une histoire très intéressante? Ses exploits à la guerre?»

Elle a dit tout cela assez haut, et avec l’intention de me piquer.

Ah! ai-je pensé, vous vous fâchez tout de bon, chère princesse; permettez! vous en verrez bien d’autres.

Groutchnitski la suivait comme une bête féroce suit sa proie, et ne la quittait pas des yeux; je parierais que demain il demandera à quelqu’un de le présenter à la princesse. Elle en sera fort heureuse; car elle s’ennuie.

16 Mai.

Pendant les deux jours suivants, mes affaires ont fait d’énormes progrès. Décidément la jeune princesse me déteste. On m’a répété deux ou trois épigrammes décochées à mon adresse assez vives, mais aussi très flatteuses. C’est affreux et étrange pour elles que moi habitué à l’élégante société, qui ai été reçu au milieu de leurs parents à Pétersbourg, je ne cherche point à faire connaissance avec elles. Nous nous rencontrons chaque jour au puits, sur le boulevard et j’emploie toutes mes ressources à éloigner d’elles leurs adorateurs et le brillant aide-de-camp et les pâles moscovites et les autres: et presque toujours j’y réussis. Ordinairement je n’aime point à recevoir du monde chez moi; mais maintenant, ma maison est pleine chaque jour; on soupe, on joue chez moi et mon champagne a plus d’attraits que les feux magnétiques de leurs beaux yeux.

Hier je les ai rencontrées dans le magasin de Tchelakow; elles marchandaient un admirable tapis persan. La jeune princesse suppliait sa mère de ne pas hésiter sur le prix. Ce tapis ornerait si bien son boudoir!… J’ai donné quarante roubles en sus et l’ai obtenu. Pour cela j’ai été gratifié d’un coup d’œil où brillait le plus ravissant dépit. Avant le dîner, j’ai à dessein donné l’ordre de promener près de leurs fenêtres mon cheval tcherkesse couvert de ce tapis. Verner était chez elles en ce moment, et m’a dit que l’effet produit par cette scène avait été fort dramatique. La jeune princesse veut recruter contre moi une armée, et plus tard j’ai remarqué que deux aides-de-camp placés auprès d’elles me saluaient très sèchement! et cependant tous les jours ils dînent chez moi.