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22 Juin.

Enfin elles sont arrivées. J’étais assis à ma fenêtre lorsque j’ai entendu le bruit de leur voiture. Mon cœur a tressailli… Que signifie cela? Est-il possible que je sois amoureux? Je suis si sottement organisé que l’on pourrait bien attendre cela de moi.

J’ai dîné chez elles. La mère m’a regardé avec beaucoup de tendresse et ne quitte pas sa fille… tant pis! et de plus Viéra est jalouse de la princesse – Voilà donc le bonheur que j’ai tant cherché!… Que ne fait une femme pour affliger sa rivale? Je me souviens qu’une d’elles ne m’aima que parce que j’en aimais une autre. Rien n’est plus paradoxal que l’esprit féminin! il est bien difficile de convaincre les femmes de quoi que ce soit; il faut les amener à se convaincre elles-mêmes. L’arrangement des preuves avec lesquelles elles anéantissent leurs préjugés est très original; pour comprendre leur dialectique, il faut renverser dans son esprit toutes les règles de la véritable logique. Voici par exemple ce que la logique et l’éducation devraient faire dire à une femme dans certain cas:

«Cet homme m’aime; mais je suis mariée; par conséquent je ne dois pas l’aimer.» Or, voici comment elles raisonnent:

«Je ne dois pas aimer cet homme, parce que je suis mariée; mais il m’aime; par conséquent…»

Ici beaucoup de points… car leur raison ne dit rien, et c’est en grande partie leur langue qui parle d’abord, leurs yeux ensuite; et puis leur cœur, quand elles en ont un.

Que ces écrits viennent à tomber sous les yeux d’une femme; calomnie! s’écriera-t-elle avec indignation. C’est que, depuis que les poètes écrivent et que les femmes les lisent (et nous leur en sommes profondément reconnaissants), on les a appelées si souvent des anges, que dans la simplicité de leur âme, elles ont cru effectivement à ce compliment, oubliant que ces mêmes poètes, pour de l’argent, ont mis Néron au rang des dieux.

C’est mal à propos que je me permets de parler des femmes avec tant de méchanceté, moi qui, hormis elles, n’aime rien en ce monde; moi qui suis toujours prêt à leur sacrifier mon repos, mon ambition, ma vie. Oh! non, je ne m’efforcerai pas dans un accès de dépit et d’amour-propre blessé de leur arracher ce voile magique à travers lequel ce regard pénètre d’ordinaire si difficilement. Non, tout ce que je dis d’elles n’est que la conséquence.

Des froides observations de l’esprit

Et des amères remarques du cœur.

Les femmes devraient désirer que tous les hommes les connussent aussi bien que moi, parce que je les aime cent fois plus, depuis que je ne les crains pas et ai deviné leurs petites faiblesses.

À propos de cela, Verner comparait un jour la femme à la forêt enchantée dont parle le Tasse, dans sa Jérusalem délivrée: Dès que vous vous approchez d’elle, disait-il, les plus grands épouvantails se mettent à voler autour de vous. Grand Dieu! Et le devoir, la dignité, la bienséance, l’opinion publique, le ridicule, le mépris! mais il ne faut pas vous préoccuper de ces mots; avancez toujours; peu à peu les monstres s’évanouiront; et bientôt devant vous s’ouvrira le champ calme et lumineux au milieu duquel fleurit le myrte vert. Malheur à vous, si, dès les premiers pas, votre cœur s’émeut et si vous rebroussez chemin!…

24 Juin.

Cette soirée a été abondante en événements. À trois verstes de Kislovodsk, dans les gorges où coule le Podkumok est un rocher appelé l’anneau. Il a la forme de portes, construites par la nature elle-même. Elles s’élèvent sur une haute colline, et le soleil couchant jette à travers elles, sur le monde, son regard ardent. De nombreuses cavalcades se rendent là, pour voir l’astre à son coucher, à travers cette immense ouverture de pierre. Pas un, à la vérité ne pense au soleil. J’y ai accompagné la jeune princesse et en revenant nous avons dû traverser le Podkumok à gué. Les ruisseaux de la montagne sont très petits et dangereux, surtout ceux dont le fond est complètement variable et change chaque jour sous la pression des eaux; où se trouvait hier une pierre, aujourd’hui existe un trou. J’ai pris le cheval de la jeune princesse par les rênes et l’ai fait entrer dans l’eau qui ne dépassait pas nos genoux. Nous nous sommes mis à couper lentement le fil de l’eau en travers et en remontant le courant. On sait qu’en traversant une rivière rapide il ne faut point regarder l’eau; car alors la tête peut vous tourner. J’avais oublié de prévenir la princesse Marie de cela.

Nous étions déjà, au milieu, à l’endroit le plus rapide, lorsque se sentant chanceler sur sa selle, elle s’est écriée d’une voix faible: je me trouve mal! Je me suis penché rapidement vers elle et j’ai entouré avec mon bras sa taille souple.

«Regardez en haut! lui ai-je dit doucement; ce n’est rien! n’ayez pas peur, je suis avec vous.»

Elle s’est trouvée mieux et a eu envie de se débarrasser de mon bras; mais j’ai enlacé plus solidement sa taille svelte et charmante; ma joue frôlait presque sa joue et son haleine me brûlait.

«Que faites-vous avec moi? mon Dieu!»

Je n’ai point tenu compte de son émotion et de son trouble et de mes lèvres j’ai effleuré sa joue délicate. Elle a frissonné, mais n’a rien dit; nous marchions les derniers et personne ne nous a vus. Quand nous avons atteint le bord, tous avaient pris le trot; la princesse a retenu son cheval et je suis resté à côté d’elle; il était évident que mon silence l’inquiétait, mais j’ai pris la résolution de ne pas dire un mot. J’étais curieux de savoir comment elle se tirerait de cette situation difficile.

«Ou vous me méprisez ou vous m’aimez bien! a-t-elle dit enfin d’une voix dans laquelle il y avait des larmes. Peut-être voulez-vous vous moquer de moi! troubler mon âme et puis m’abandonner?…, Un pareil projet serait bien cruel, bien cruel. Oh non! n’est-ce pas vrai? a-t-elle ajouté d’une voix, pleine de tendresse et de confiance, n’est-ce pas vrai que je n’ai à craindre de vous, rien qui puisse vous faire oublier le respect que vous me devez? vous avez des procédés audacieux et je dois vous interroger parce que je vous ai laissé faire… Répondez donc! Parlez! je veux entendre votre voix.

Dans ces dernières paroles, il y avait une telle impatience féminine, qu’involontairement j’en ai souri. Il commençait à faire sombre… Je n’ai rien répondu.

«Vous vous taisez. Vous voulez peut-être que je vous dise la première que je vous aime?

Je continuais à me taire.

«Voulez-vous cela?» a-t-elle dit en se tournant vivement vers moi.

Il y avait quelque chose de décidé dans son regard et d’effrayant dans sa voix.

– Pourquoi?» ai-je répondu en haussant les épaules.

Elle a fouetté son cheval de sa cravache et s’est élancée à toute vitesse dans le chemin étroit et dangereux.

Cela s’est fait si vite qu’à peine si j’ai pu l’atteindre au moment où elle rejoignait le reste de la compagnie. Jusqu’à la maison elle n’a fait que rire et parler. Dans ses mouvements, il y avait quelque chose de fébrile. Elle ne m’a pas regardé une seule fois. Tout le monde a remarqué cette gaîté extraordinaire et la princesse-mère était radieuse en voyant sa fille. Sa fille avait tout simplement une attaque de nerfs. Elle passera la nuit sans dormir et à pleurer! Cette pensée me procure une immense jouissance. Il y a des moments où je comprends le Vampire! et je passe cependant pour un brave garçon; à la vérité je mérite bien ce titre.

En descendant de cheval, les dames sont allées chez la princesse. J’étais agité et je suis allé galoper dans la montagne afin de dissiper les pensées qui foisonnaient dans ma tête. La soirée était humide de rosée et on respirait une fraîcheur enivrante. La lune s’est levée derrière les sommets obscurs; à chaque pas, mon cheval faisait résonner ses fers dans le silence du défilé, J’ai mené mon cheval boire à la cascade; il a aspiré avidement deux fois l’air frais de cette nuit de juin et s’est élancé dans un chemin qui ramène à la ville. J’ai traversé le grand village; les lumières commençaient à s’éteindre aux croisées; les sentinelles, placées sur les remparts de la forteresse, et les patrouilles de Cosaques, s’appelaient lentement.

Dans une des maisons du village, placée au bord du ravin, j’ai remarqué un éclairage extraordinaire. Un bruit confus et des cris m’ont fait comprendre que c’était un banquet militaire. Je suis descendu de cheval et me suis approché de la fenêtre. Un volet, qui n’était pas complètement fermé, m’a permis de voir les convives et d’entendre leurs paroles. On parlait de moi.

Le capitaine de dragons, échauffé par le vin, a frappé sur la table avec son poing pour exiger l’attention.

«Messieurs, a-t-il dit, on n’a jamais rien vu de pareil.

Il faut mettre Petchorin à la raison; ces Pétersbourgeois sont des béjaunes qui se croient quelque chose, parce qu’on ne leur tape pas sur le nez. Ce Petchorin s’imagine qu’il n’y a que lui qui sache vivre dans le monde, parce qu’il porte toujours des gants frais et des bottes vernies. Quel sourire hautain! et au fond je suis sûr que c’est un poltron, – oui, un poltron.