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Pourquoi ma belle? hélas! je ne sais; plein d’une vie nouvelle, j’ai fièrement arraché de ma tête criminelle ma couronne d’infamie, et j’ai jeté tout le passé dans la poussière. Mon paradis et mon enfer sont dans tes yeux! Je t’aime d’un amour qui n’a rien de terrestre et comme tu ne pourrais aimer toi-même. Je t’aime avec tout l’enivrement et la puissance de la pensée et du rêve immortels. Dès le commencement du monde ton image fut gravée dans mon âme; elle se montrait à moi dans les immensités désertes de l’espace. Depuis longtemps ton nom agitait mon esprit et résonnait doucement en moi. Aux jours heureux du paradis, toi seule me manquait. Oh! si tu pouvais comprendre ce qu’il y a d’amère douleur dans une vie sans fin et toute sans partage. Jouir, souffrir, mais ne jamais attendre d’éloges pour le mal et jamais de récompense pour le bien. Vivre pour soi seul; être un objet d’ennui pour soi-même; et traverser cette éternelle lutte sans noblesse et sans espoir de réconciliation. Toujours regretter et ne rien désirer: tout savoir, tout ressentir, tout voir, détester tout ce qui est contraire à mes désirs et tout mépriser dans le monde. Du jour où la malédiction divine m’a frappé, les embrasements passionnés de la nature se sont éternellement refroidis pour moi. Les espaces s’étendaient à l’infini devant mes yeux; je voyais les astres, qui m’étaient connus depuis si longtemps, couverts de leurs parures nuptiales, glisser doucement devant moi, portant des couronnes d’or: Mais hélas! Aucun ne reconnaissait son ancien frère! Dans mon désespoir je me mis à appeler des proscrits semblables à moi; mais moi-même de mon regard méchant je ne pouvais plus reconnaître ni leurs visages ni leurs voix. Alors effrayé j’agitai mes ailes et me mis à courir rapidement, mais où? pourquoi? je ne le sais. Mes anciens frères m’avaient repoussé et comme l’Éden, le monde entier devint pour moi sombre et muet; j’étais comme une barque brisée, sans gouvernail et sans voiles, qui nage follement au caprice des courants et des flots et ne sait où elle va; ou comme un flocon de nuage orageux qui, au lever du jour, se montre comme un point noir dans l’horizon azuré, et n’osant s’arrêter nulle part, erre seul, sans but et sans laisser de trace. Dieu seul sait d’où il vient et où il va. Mais je ne pus gouverner longtemps les hommes et leur apprendre longtemps le péché; il me fut impossible de diffamer longtemps tout ce qui était noble et de blasphémer tout ce qui était beau: facilement je rallumai pour toujours en eux les ardeurs de la foi pure. Étaient-ils dignes de mes efforts ces sots et ces hypocrites? Je me cachai alors dans les défilés des montagnes et me mis à errer comme un météore au milieu des ténèbres d’une nuit profonde. Le voyageur isolé, égaré par ce feu follet qui voltigeait devant lui, roulait au fond des précipices avec sa monture et appelait en vain à son secours!… Et le sillon sanglant de sa chute se tordait sur le rocher Mais les plaisirs du mal ne me plurent pas longtemps. Que de fois dans ma lutte avec l’ouragan puissant, au milieu des tourbillons de poussière, enveloppé d’éclairs et de vapeurs, je m’élançai avec fracas dans les nuages; j’aurais voulu pouvoir dans la foule des éléments révoltés, étouffer les murmures de mon cœur; échapper à la pensée inévitable et oublier ce qui ne pouvait être oublié. Que peut être le récit des pertes douloureuses, des fatigues et des maux, des générations passées et futures de la race humaine, en présence d’un seul instant de mes souffrances inconnues? Que sont les hommes, que sont leur vie et leurs peines? Elles ont passé, elles passeront; l’espérance leur reste; un jugement équitable les attend et à côté du jugement reste encore le pardon! Ma douleur à moi est constamment là et comme moi elle ne finira jamais et ne trouvera jamais le sommeil de la tombe! tantôt elle se glisse en moi comme un serpent; tantôt elle me brûle et luit comme une flamme; tantôt elle pèse sur ma pensée comme le lourd rocher des passions et des espérances perdues. Mausolée indestructible!

TAMARA.

Pourquoi me faire connaître tes souffrances? Pourquoi te plains-tu à moi? tu as péché!…

LE DÉMON.

Est-ce contre toi?

TAMARA.

On peut nous entendre:

LE DÉMON.

Nous sommes seuls;

TAMARA.

Et Dieu!

LE DÉMON.

Il ne daignera pas jeter un regard sur nous; il s’occupe des cieux et non de la terre.

TAMARA.

Et le châtiment et les tortures de l’enfer?

LE DÉMON.

Que te fait cela? tu seras là avec moi!

TAMARA.

Qui que tu sois, toi que le hasard a fait mon ami, tu as perdu mon repos pour toujours; et moi ta victime je t’écoute malgré moi-même avec un plaisir secret. Mais si tes paroles sont mensongères, si tu veux me tromper, oh! aie pitié de moi! Quelle gloire y trouverais-tu? Pourquoi veux-tu posséder mon âme? Est-ce que je suis préférable à toutes celles qui n’ont pas été remarquées par toi aux cieux? Cependant elles sont bien belles aussi et comme en ce lieu aucune main mortelle n’a encore profané leur couche virginale! Non! fais-moi un serment irrévocable. – Dis, tu vois, je souffre! Tu vois ce que rêve une pauvre femme! Sans le vouloir tu entretiens la peur en moi; mais tu as tout compris, tu sais tout, et certainement tu auras pitié de moi! Jure-moi, fais-moi serment de renoncer dès à présent à tes mauvais desseins! Est-ce qu’il n’y a déjà, plus de serments et de promesses inviolables?

LE DÉMON.

Je jure par le premier jour de la création; je jure par son dernier jour; je jure par l’opprobre du crime et par le triomphe de la vérité éternelle; je jure par l’horrible souffrance de la chute et par la joie bien courte de la victoire. Je jure par notre rencontre et par la séparation qui nous menace de nouveau. Je jure par la foule des esprits, par le sort de mes frères qui me sont soumis, par les glaives sans tache des anges mes ennemis vigilants; je jure par le ciel et l’enfer, par ce qu’il y a de plus sacré sur la terre et par toi; je jure par ton dernier regard, par ta première larme, par l’haleine de ta bouche si pure et par les boucles de ta chevelure soyeuse; je jure par la félicité et la douleur; je jure par mon amour, – je renonce à mes vieilles rancunes; je renonce à mes pensées d’orgueil; dès maintenant le poison de la flatterie trompeuse ne viendra plus agiter mon esprit. Je veux aimer; je veux prier; je veux croire au bien; avec les larmes du repentir j’effacerai sur mon visage digne de toi, les marques du feu céleste; et que désormais l’univers tranquille croisse dans l’ignorance sans moi. Oh! crois moi! Moi seul jusqu’à ce jour t’ai comprise et appréciée. En te choisissant pour mon sanctuaire, j’ai déposé ma puissance à tes pieds. J’attends ton amour comme un don et je te donnerai l’éternité pour un regard. Dans l’amour comme dans l’aversion, crois-moi Tamara: je suis immuable et grand. Moi, fils libre de l’espace, je t’emporterai dans les régions qui planent au-dessus des étoiles et tu seras la reine du monde, ma première compagne. Sans regrets, sans désirs, tes yeux regarderont cette terre où il n’y a ni bonheur vrai, ni beauté durable, où l’on ne voit que crimes et châtiments, où la passion mesquine peut seule vivre et où on ne sait pas sans crainte haïr ou aimer. Ignores-tu ce que c’est que l’amour passager des hommes? Un sang jeune qui fermente! Mais les jours passent et le sang se refroidit. Quel est celui qui peut rester fidèle pendant la séparation et ne pas céder aux attraits de la beauté nouvelle? Quel est celui qui peut résister à la fatigue, à l’ennui, aux caprices de l’imagination? Non, mon amie, sache-le bien, ta destinée n’est point de te flétrir en silence dans un cercle aussi étroit, esclave d’une jalousie grossière, parmi des hommes froids et pusillanimes, parmi de faux amis et des ennemis, au milieu de craintes et d’espérances sans fin, de peines lourdes et sans but. Tu ne dois point t’éteindre tristement, derrière ces murs élevés, sans avoir connu l’amour, toujours en prières, également loin de Dieu et des hommes. Oh non! admirable créature, tu as une autre destinée; tu es réservée pour d’autres souffrances et pour des extases autrement sublimes. Laisse donc tes premiers désirs et abandonne cette terre méprisable à son sort: En échange je t’ouvrirai les abîmes des plus profondes sciences; j’amènerai à tes pieds les nombreux esprits qui me servent et je te donnerai, ma belle, des servantes légères comme des fées. Pour toi j’arracherai à l’étoile d’Orient sa couronne d’or; je cueillerai sur les fleurs la rosée des nuits et je répandrai sur toi cette rosée. Avec un rayon pourpre du soleil couchant, j’entourerai ta taille comme avec une écharpe; avec la senteur des parfums les plus purs j’embaumerai l’air qui t’environne; sans cesse je caresserai tes oreilles avec une mélodie admirable, je te bâtirai des palais somptueux d’ambre et de turquoise; je descendrai pour toi jusqu’au fond des mers; je volerai au-dessus des nuages; je te donnerai tout, tout ce qui est sur la terre; Aime-moi!…

XI.

Et doucement, il appuya sa bouche pleine de feu sur ses lèvres tremblantes. Il répondait à ses prières par des paroles pleines de séduction et son regard, plongeant jusqu’au fond de ses yeux, l’enflammait. Dans l’obscurité de la nuit, il étincelait devant elle, inévitable comme la lame d’un poignard!… Hélas! L’esprit du mal triompha. Le poison mortel de ses baisers a pénétré en un instant dans son sein et un cri terrible de souffrance a troublé le silence de la nuit!…