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— Non ! s’écria Nynaeve, surprise par sa propre véhémence.

Elle n’était pas la seule, à en croire la façon dont ses compagnons la regardaient. Sans hâte, elle prit le sceau et le remit dans sa bourse.

— Cet objet-là ira à la tour… Mais les autres…

Elle désigna le collier et les bracelets, bien décidée à ne plus jamais les toucher. Si la tour les détenait, des Aes Sedai pouvaient décider de les utiliser pour contrôler Rand, exactement comme l’Ajah Noir en avait l’intention. Moiraine pouvait-elle agir ainsi ? Siuan Sanche ? En l’absence de réponse, pas question de courir le risque.

— Ces bijoux ne doivent jamais tomber entre les mains des Suppôts des Ténèbres. Elayne, tu crois pouvoir les détruire ? Par exemple, en les faisant fondre ? Je me fiche qu’ils traversent la table en se consumant. Mais détruis-les !

— Je vois ce que tu veux dire…, souffla la Fille-Héritière avec une moue dégoûtée.

Nynaeve n’aurait pas parié sa vie là-dessus. Contrairement à elle, la Fille-Héritière croyait aveuglément en la Tour Blanche. Mais elle croyait aussi en Rand.

Bien trop calme pour ça, Nynaeve ne vit pas l’aura du saidar, mais la concentration d’Elayne, les yeux rivés sur les bijoux, lui indiqua qu’elle canalisait le Pouvoir. Pourtant, rien ne se passa. Le front plissé, Elayne insista encore un peu, puis elle secoua la tête, tendit les mains, hésita, saisit un des bracelets… et le lâcha aussitôt avec un petit cri.

— J’ai senti… Il est plein de… Nynaeve, j’ai essayé. Un marteau aurait fondu si on l’avait soumis à mon tissage de Feu. Ce bijou n’est même pas chaud !

Donc, Moghedien n’avait pas menti. Convaincue de vaincre, elle n’avait pas jugé nécessaire de travestir la vérité.

Comment s’est-elle libérée, au nom de la Lumière ?

Et maintenant, que faire avec ces… ces horreurs ? Pas question que n’importe qui puisse s’en emparer !

— Maître Domon, connais-tu un endroit, sur la mer, où l’eau est particulièrement profonde ?

— Oui, maîtresse al’Meara.

Du bout d’un index, en luttant pour ne pas sentir les émotions déchirantes, Nynaeve poussa le collier et les bracelets vers le contrebandier.

— Alors, va les y jeter, afin que personne ne puisse jamais les repêcher.

Domon hésita un peu avant de hocher la tête.

— Je le ferai, oui…

Répugnant à toucher des objets liés au Pouvoir, il empocha très vite les artefacts.

— Dans les abysses, près de l’Aile Somera, voilà où je les jetterai…

Les yeux baissés, Egeanin plissa le front, sans doute parce que l’Illianien allait bientôt partir. Nynaeve n’avait pas oublié qu’elle le trouvait à son goût, pour ainsi dire…

Pour sa part, elle était euphorique. C’était presque fini ! Dès que Domon appareillerait, le collier et les bracelets ne seraient plus que de mauvais souvenirs. Il serait alors temps de regagner Tar Valon, puis de partir pour Tear – ou tout autre endroit où se trouvait Lan Mandragoran.

Avoir affronté Moghedien et frôlé la mort, voire un sort pire encore, avait décuplé son envie de pousser plus loin cette relation. Bien sûr, il lui faudrait en quelque sorte « partager » cet homme avec une femme qu’elle détestait. Mais Egeanin n’avait-elle pas un faible pour un homme qu’elle avait récemment fait prisonnier – et qui lui rendait bien son intérêt, semblait-il ? Elayne n’était-elle pas capable d’aimer un homme susceptible de perdre la raison à tout moment ?

Alors, pourquoi n’aurait-elle pas pu être heureuse avec ce que Lan voudrait bien lui donner ?

— Si nous descendions voir comment Thera se sent dans la peau d’une domestique ? proposa-t-elle.

Bientôt, ce serait le départ pour Tar Valon. Oui, très bientôt…

56

Yeux Jaunes

N’était le grattement de la plume de Perrin, pas un bruit ne troublait le silence dans la salle commune de l’Auberge de la Cascade à Vin. À part l’inévitable Aram, Perrin était seul dans la vaste salle où la lumière de la fin de matinée, filtrant des fenêtres, formait sur le sol toute une série d’îlots de clarté. Aucune odeur de cuisson ne montait de la cuisine et il n’y avait pas un seul feu allumé dans le village, où on avait pris soin d’arroser même les braises qui couvaient sous les cendres. Pourquoi donc aurait-on facilité la tâche de l’adversaire, après tout ?

Le Zingaro – en supposant qu’il faille l’appeler comme ça, mais un homme, épée ou non, ne changeait jamais au point de cesser d’être lui-même – était appuyé au mur, près de la porte principale, et il regardait l’ancien apprenti forgeron. Qu’attendait-il donc ? Que voulait-il ?

Trempant sa plume dans l’encrier, Perrin écarta la troisième feuille de parchemin et entreprit d’écrire sur la quatrième.

Un arc au poing, Ban al’Seen poussa la porte, entra et se gratta le nez pour dissimuler sa gêne.

— Les deux Aiels sont revenus, annonça-t-il d’un ton égal. (Mais il ne pouvait s’empêcher de sauter d’un pied sur l’autre.) Des Trollocs arrivent du nord et du sud. Seigneur Perrin, ils sont des milliers.

— Arrête de m’appeler comme ça…, marmonna distraitement Perrin, concentré sur son travail d’écriture.

Comment aurait-il pu adopter le style romantique qu’adoraient les femmes ? Pour lui, écrire revenait à coucher sur le papier ce qu’il ressentait, sans se soucier de la forme. Trempant de nouveau sa plume dans l’encre, il ajouta quelques lignes à sa lettre.

« Je ne te demanderai pas de me pardonner. Ce que j’ai fait, je devais le faire. M’accorderais-tu ton pardon ? Puisque je ne l’implorerai jamais, cette question restera sans réponse. Tu comptes plus pour moi que la vie. Surtout, ne va jamais croire que je t’ai abandonnée. Quand le soleil brille sur toi, j’en souris de bonheur. Chaque fois que tu entendras le vent murmurer dans les branches en fleur d’un pommier, dis-toi que c’est ma voix qui souffle que je t’aime. Mon amour t’appartient pour l’éternité.

Perrin »

Un moment, le jeune homme relut sa prose. Ça ne disait pas tout, loin de là, mais il faudrait faire avec. Le temps pressait, et de toute façon, il lui manquait les mots justes pour exprimer certaines choses.

Quand il eut séché l’encre avec du sable, il plia soigneusement les quatre feuilles. Puis il faillit écrire « Pour Faile Bashere » et se reprit à temps, ajoutant « Pour Faile Aybara » sur la missive. Au Saldaea, une épouse adoptait-elle le nom de son mari ? Il n’en savait rien, mais dans certains pays, ça ne se faisait pas. Cela dit, le mariage avait eu lieu à Deux-Rivières et l’élue de son cœur devrait s’adapter aux coutumes locales.

Posant la lettre sur le manteau de la cheminée – qui sait ? elle parviendrait peut-être un jour à Faile –, il tira sur le large ruban rouge de jeune marié qu’il portait autour du cou, afin qu’il tombe bien droit sur les revers de sa veste. Selon les coutumes, il était censé le porter durant sept jours, histoire que tout le monde sache qu’il venait de se marier.

— J’essaierai de ne pas le perdre, murmura-t-il, les yeux baissés sur la lettre.

Faile avait tenté de nouer un ruban dans sa barbe. À présent, il regrettait de l’en avoir empêchée.

— Je vous demande pardon, seigneur Perrin, fit Ban, toujours très agité, mais je n’ai pas compris ce que vous venez de dire.

L’angoisse voilant son regard, Aram se mordait nerveusement la lèvre inférieure.