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Le bruit caractéristique d’une flèche qu’on SORT de son carquois – mais multiplié par mille – pétrifia les deux hommes. Sur la circonférence du cercle, tous les archers levèrent leur arc, chacun le braquant sur la poitrine d’un Cape Blanche.

Sur toute la longueur de la colonne, les cavaliers bougèrent fébrilement sur leur selle.

Bornhald ne semblait pas avoir peur, et son odeur confirmait cette hypothèse. De lui, il n’émanait plus que la puanteur de la haine. Les yeux maintenant embrasés, il balaya du regard le cercle de défenseurs, puis se concentra de nouveau sur Perrin.

Le « général » fit signe aux archers de baisser leur arme. À contrecœur, tous lui obéirent.

— Vous ne nous avez pas aidés…, lâcha Perrin, glacial. Depuis que vous êtes sur le territoire, vous n’avez jamais rien fait pour sa population. Pendant que les gens mouraient, leur ferme incendiée, vous cherchiez des « Suppôts des Ténèbres » parfaitement imaginaires.

Bornhald eut un frémissement d’inquiétude.

— Cape Blanche, il est temps que tes hommes et toi vous en alliez ! Pas seulement de Champ d’Emond, mais de Deux-Rivières ! Et si j’étais toi, Bornhald, je ne traînerais pas une minute de plus.

— Je te verrai mort…, siffla Bornhald.

Il fit néanmoins signe à la colonne de se remettre en route. Puis il lança sa monture au trot, manquant percuter Perrin.

Le jeune homme tira sur les rênes de Trotteur, qui s’écarta docilement. Tant pis pour cette dernière provocation du Fils de la Lumière. L’important, c’était que ces hommes s’en aillent, afin qu’il n’y ait plus de tueries.

Bornhald ne tourna pas la tête. En revanche, Byar riva longtemps son regard haineux sur Perrin – Farran, lui, pour une raison inconnue, sembla dévisager le « général » avec quelque regret.

Les autres Fils passèrent devant Perrin sans lui accorder un regard. En silence, le cercle de défenseurs s’ouvrit pour laisser les soldats s’éloigner vers le nord.

Une dizaine d’hommes à pied approchèrent de Perrin. Quelques-uns arborant des pièces d’armure mal assorties, ils regardaient passer les derniers Fils de la Lumière avec un mélange de déplaisir et de soulagement. Dans ce groupe, le jeune homme ne reconnut personne. Armé d’un arc, le gaillard au nez proéminent qui semblait en être le chef – un homme aux cheveux blancs et à la peau tannée revêtu d’une cotte de mailles d’où dépassait cependant le col d’une veste de fermier – vint s’incliner devant Perrin.

— Seigneur Perrin, je me nomme Jerinvar Barstere, mais tout le monde m’appelle Jer. Désolé de vous déranger, mais si vous n’y voyez pas d’inconvénient, certains d’entre nous vont suivre les Fils pour s’assurer qu’ils fichent bien le camp. Vous savez, pas mal d’entre nous aimeraient rentrer à la maison, même s’ils savent qu’ils n’y arriveront pas avant la tombée de la nuit. À Colline de la Garde, il y a une garnison de Capes Blanches. À peu près autant d’hommes que cette colonne… Bien entendu, ces lâches n’ont pas voulu nous accompagner. Prétendument parce qu’ils ont ordre de tenir leur position. Un tas d’imbéciles, si je puis me permettre, et nous en avons assez de leur présence. Ils ne servent à rien, en revanche, ils sont toujours bons à farfouiller dans la vie des gens, les incitant à accuser leurs voisins des pires abominations. Nous nous assurerons qu’ils lèvent le camp, si vous le voulez bien.

Jer jeta un regard confus à Faile, mais ça ne tarit pas son flot de paroles.

— Désolé, dame Faile. Je ne veux surtout pas vous déranger, votre seigneur et vous. Mais je veux qu’il sache que nous sommes avec lui… Au fait, seigneur, vous avez une épouse formidable. Oui, formidable… Le compliment vient du cœur, dame Faile. Hum… Il fait encore jour, et comme on dit chez nous, bavarder n’a jamais tondu un mouton. Encore toutes mes excuses de vous avoir dérangés…

Jer s’inclina, les autres l’imitèrent, puis tous partirent vers le nord, à la traîne des Capes Blanches.

— Allons, allons, qu’est-ce qui nous a pris d’embêter comme ça le seigneur et sa dame… ? murmura Jer en s’éloignant. Nous avons encore tant de pain sur la planche !

— Qui était-ce ? demanda Perrin, encore traumatisé par la logorrhée du brave Jer. (Daise et Cenn, les deux plus grands bavards de Champ d’Emond, ne lui arrivaient pas à la cheville.) Faile, tu le connais ?

— Maître Barstere est le bourgmestre de Colline de la Garde. Les autres sont les membres du Conseil. Dès que les hommes auront annoncé que le calme est revenu, le Cercle des Femmes nous enverra une délégation dirigée par la Sage-Dame. Afin de voir si « ce seigneur Perrin » est une bonne chose pour Deux-Rivières – officiellement, en tout cas. Mais ces femmes m’ont demandé de leur montrer comment s’incliner devant toi, et leur Sage-Dame, Edelle Gaelin, a l’intention de t’apporter une de ses célèbres tartes aux pommes séchées.

— Que la Lumière me brûle ! s’écria Perrin.

Ces histoires de « seigneur » se répandaient dans tout le territoire. Il aurait dû y mettre bon ordre dès le début, mais voilà ce qu’on récoltait à être trop mou…

— Je suis un forgeron ! Vous m’entendez ? Un forgeron !

Jer Barstere se retourna, hocha sentencieusement la tête puis continua son chemin.

Coquine, Faile tira sur la barbe du jeune homme.

— Tu es un adorable idiot, seigneur forgeron. Il est bien trop tard pour revenir en arrière… (La jeune femme eut un sourire… vraiment coquin.) Mon époux, envisages-tu de passer un moment en tête à tête avec ta femme ? Le mariage semble m’avoir rendue aussi audacieuse et aussi provocante qu’une Domani. Je sais que tu es fatigué, mais…

S’interrompant, Faile poussa un petit cri et s’accrocha à la veste de Perrin lorsqu’il talonna Trotteur, le lançant au galop vers l’auberge. Pour une fois, les vivats qui saluèrent le jeune homme ne lui firent ni chaud ni froid.

— Seigneur Perrin ! Yeux Jaunes !

Oui, oui, il verrait ça plus tard…

Perché sur la plus grosse branche d’un chêne, à la lisière du bois de l’Ouest, Ordeith braquait un regard haineux sur Champ d’Emond. Enfin, ce qui venait de se passer était impensable !

Les rayer de la carte ! Oui, tout s’est déroulé selon le plan…

Même Isam avait joué dans la main d’Ordeith, ce qui n’était pas peu dire.

Mais pourquoi a-t-il cessé de faire venir des Trollocs ? Le territoire aurait dû en être noir, s’il avait fait son travail !

Ordeith bavait, mais il ne s’en aperçut pas. Pareillement, il ne s’avisa pas que sa main fourrageait le long de sa ceinture.

Les harceler jusqu’à ce que leur cœur explose ! Les enterrer vivants et se délecter de leurs cris !

Tout était prévu pour attirer Rand ici, vers lui, et pour quel résultat ? Une catastrophe. Deux-Rivières n’avait même pas été égratigné. Que valaient quelques fermes brûlées ? Et une poignée de paysans découpés vifs pour garnir les chaudrons des Trollocs ?

Je veux que Deux-Rivières brûle et que le souvenir des flammes se grave dans la mémoire des hommes pour les dix siècles à venir.

Ordeith étudia l’étendard qui flottait au milieu du village, puis celui qui oscillait au vent devant lui. Une tête de loup rouge et un aigle tout aussi écarlate. Du rouge pour le sang que ce territoire verserait pour faire hurler à la mort Rand al’Thor.

Manetheren… C’est donc ça, l’étendard de Manetheren ?

Quelqu’un avait parlé du passé à ces gens. Mais ces crétins, que savaient-ils de la gloire de Manetheren ?

Manetheren, oui…

Il y avait plusieurs façons de rayer cette vermine de la carte. Éclatant de rire, Ordeith faillit tomber de sa branche, à laquelle il ne se tenait pas à deux mains. Parce que la droite, constata-t-il, cherchait le long de sa ceinture la dague qui aurait dû y être accrochée. Du coup, son rire se transforma en un ricanement. La Tour Blanche détenait ce qu’on lui avait volé. Ce qui lui revenait selon des droits aussi anciens que la guerre des Trollocs.