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Le soleil faisait s’évaporer à une impensable vitesse l’humidité de ses vêtements et de ses cheveux. Regardant autour de lui, Rand constata qu’il était dans le désert des Aiels – plus précisément, au pied du mont Chaendaer, dans la vallée où se dressait Rhuidean, et à moins de cinquante pas de son dôme de brouillard. Derrière lui, le portail n’était plus en vue nulle part.

Rand fit un pas vers le mur de brume… puis il s’immobilisa et leva le pied gauche. Le talon de sa botte avait été coupé net. La sensation que quelque chose avait tiré sur son pied… C’était le passage ! En se refermant, il avait abîmé une de ses bottes. Mais à quelques pouces près…

Rand prit conscience, comme de très loin, qu’il frissonnait malgré la chaleur. Il ne s’était pas douté un instant que c’était si dangereux. Les Rejetés détenaient toute la connaissance. Asmodean ne lui échapperait pas.

Plus que morose, Rand défroissa ses vêtements, remit en place dans sa ceinture la petite figurine, ajusta la position de son épée sur sa hanche et regarda devant lui. Le brouillard l’enveloppait, désormais. Il n’y voyait plus rien, et le Pouvoir lui-même ne pouvait pas l’aider.

Il courut à l’aveuglette.

Soudain, il émergea en trombe du brouillard, se jeta par terre et finit sa course sur le ventre, cette fois sur des pavés rugueux. Restant au sol, il leva les yeux et découvrit trois rubans brillants – d’un bleu argenté, sous la lumière de Rhuidean – qui flottaient dans l’air derrière lui. Quand il se leva, il constata que ces bandes scintillantes se trouvaient respectivement à la hauteur de sa taille, de sa poitrine et de son cou – des rubans si fins qu’on les distinguait à peine quand on les regardait en « coupe ». Les étudiant, Rand comprit comment ils avaient été fabriqués et suspendus là, mais ça ne l’aida pas à deviner pourquoi. Durs comme de l’acier et si coupants qu’un rasoir serait en comparaison passé pour une douce plume, ces curieux pièges lui auraient lacéré le torse et la gorge s’il les avait percutés.

D’un filament de Pouvoir, Rand réduisit en poussière les trois rubans. À l’extérieur du Vide, la colère se déchaînait. À l’intérieur régnait un calme résolu qui cohabitait sans peine avec le Pouvoir de l’Unique.

Comme lors de sa précédente visite, la lueur bleue de la brume éclairait – sans projeter d’ombres – les palais de marbre, de cristal et de verre taillé éternellement inachevés, leurs tours et leurs minarets perçant presque toujours la voûte de brouillard. Devant Rand, dans une large avenue, Asmodean courait vers la grande esplanade sans accorder la moindre attention aux fontaines asséchées qu’il dépassait.

Rand dut lutter pour canaliser le Pouvoir, mais il parvint à s’emplir de saidin et à le contrôler dans une certaine mesure. Des éclairs jaillirent de la voûte vaporeuse, percutant le sol dans une gerbe d’étincelles. Pas à l’endroit où était Asmodean, mais juste devant lui, d’énormes lances incandescentes faisaient s’écrouler d’antiques et majestueuses colonnes qui tombaient comme des quilles sur le chemin du Rejeté.

Derrière des fenêtres en verre coloré, les spectres d’hommes et de femmes d’une indestructible sérénité semblaient poser sur Rand un regard plein de reproches.

— Je dois l’arrêter, se justifia le jeune homme, sa voix ayant un écho bizarre à ses propres oreilles.

Asmodean s’immobilisa pour regarder le champ de ruines, dans son sillage. La poussière qui tourbillonnait dans sa direction ne touchait jamais sa veste rouge brillante. Se divisant devant lui comme auraient pu le faire des eaux, elle ne pénétrait jamais dans son espace vital.

Une colonne de feu entoura Rand, transformant en flammes l’air qu’il respirait. Mais cet incendie se volatilisa avant même qu’il ait compris ce qu’il faisait pour le neutraliser.

Ses vêtements secs et chauds, ses cheveux semblant roussis, Rand s’aperçut en outre que de la terre jaune, comme cuite dans un four, tombait de son corps à chaque enjambée.

Asmodean tentait de se frayer un passage dans le champ de débris qui s’étendait devant lui. Une pluie d’éclairs martelait maintenant les édifices, en arrachant des blocs entiers et éventrant les structures en cristal les plus délicates.

Le Rejeté ne ralentit pas. Alors qu’il disparaissait à la vue de Rand, d’autres éclairs jaillirent du ciel. Ceux-ci visaient le jeune homme, et ils étaient à l’évidence prévus pour tuer. Sans ralentir non plus, Rand tissa un bouclier autour de lui. Alors qu’il zigzaguait entre les débris, sautant par-dessus les trous que les éclairs creusaient dans le sol, des gravats rebondirent sur son invisible protection.

L’air crépitait d’étincelles. Tous les poils du corps de Rand se hérissèrent, comme ceux d’un chat pendant un orage.

Il y avait un tissage dans le champ de colonnes effondrées. Un tissage étranger à Rand et à Asmodean. Pour s’en protéger, le jeune homme renforça le bouclier qui l’entourait. Alors qu’il se frayait à son tour un chemin parmi les débris, les escaladant parfois, d’énormes fragments de pierre blanc et rouge explosèrent en une pluie d’éclats mortels. En parfaite sécurité dans son tissage, Rand continua son chemin, le bruit des bâtiments qui s’effondraient atteignant à peine ses oreilles et sa conscience. Il devait arrêter Asmodean, et rien d’autre ne comptait. Au prix d’un gros effort, il fit jaillir de nouveaux éclairs et des boules de feu – tout ce qui pouvait ralentir le fuyard à la veste rouge, et tant pis pour les dégâts !

Gagnant du terrain, Rand déboula sur l’esplanade une dizaine de pas derrière le Rejeté. Sans cesser d’essayer de ralentir sa proie, il tenta de courir plus vite. En fuyant, Asmodean cherchait toujours un moyen de le tuer.

Les ter’angreal et les autres trésors que les Aiels avaient apportés ici au péril de leur vie étaient carbonisés par des éclairs, éventrés par des explosions ou disloqués par des tourbillons de vent mauvais. Des artefacts d’argent et de cristal se désintégraient tandis que d’étranges structures en métal s’écroulaient, tordues et torturées, finissant par se briser sur le sol.

Asmodean fuyait toujours. Acharné à trouver un moyen de tuer Rand, il s’arrêta pour ramasser ce qui semblait être l’objet le plus insignifiant de la gigantesque « décharge » d’artefacts. Une statuette blanche d’un pied de long, gisant sur le dos, et qui représentait un homme avec une boule de cristal dans la main. Quand ses mains se refermèrent sur l’artefact, Asmodean eut un cri de triomphe.

Une fraction de seconde plus tard, les mains de Rand saisirent également la statuette. Comme si le temps avait suspendu son cours, Rand dévisagea enfin son ennemi. Un homme d’âge moyen assez beau qui n’était en rien différent du trouvère Natael, à part peut-être le désespoir furieux qui brillait dans son regard. Mais à le voir ainsi, rien n’indiquait qu’il était un Rejeté…

Puis le temps reprit son cours et les deux adversaires, à travers la statuette – un ter’angreal, bien entendu –, tentèrent de se connecter à un des deux plus puissants sa’angreal qui aient jamais existé.

Rand eut vaguement conscience de l’existence d’une grande statue à demi enfouie dans le lointain Cairhien, la sphère de cristal qu’elle tenait brillant comme un soleil – et vibrant du Pouvoir de l’Unique. Alors, le Pouvoir qui coulait en lui déferla comme si toutes les mers et tous les océans du monde se déchaînaient en un seul raz-de-marée. Investi d’une telle puissance, plus rien n’était hors de sa portée – il aurait même pu sauver la fillette morte, dans la Pierre de Tear.