Выбрать главу

— N’essaie même pas ! dit-il en levant le poing.

Le Rejeté s’immobilisa. Sur son visage défait, le désespoir et l’envie de vivre encore se livraient un combat sans merci. Et dans ses yeux, la haine et la peur se disputaient la primauté.

— J’adore voir des hommes se battre, mais vous êtes hors d’état de m’épater, tous les deux !

Balayant du regard les ruines éparses, Lanfear entra dans le champ de vision de Rand.

— Du travail impressionnant, cette destruction… Tu sens les traces ? Cet endroit était protégé par une variante de bouclier… Mais tu n’en as pas laissé assez pour que je l’identifie. (Ses yeux noirs brillants de convoitise, Lanfear s’agenouilla devant Rand, fascinée par la statuette qu’il tenait.) Ainsi, c’était ça qu’il cherchait… Je croyais que toutes ces statuettes avaient été détruites. De la seule que j’ai vue, il ne restait plus que la moitié. Un bien beau piège pour une Aes Sedai ignorante et trop confiante…

Lanfear tendit la main, mais Rand serra plus fort son trésor.

— Oui, oui, tu peux la garder… Pour moi, ce n’est rien qu’une statuette…

Lanfear se leva, épousseta sa robe blanche qui n’en avait pas besoin, et recommença à scruter l’esplanade dévastée. Prenant conscience que Rand la regardait, elle cessa et eut un grand sourire qui ne se refléta pas dans ses yeux.

— Pendant le duel, tu as utilisé un des deux sa’angreal dont je t’ai parlé. Tu te souviens ? As-tu senti cette extraordinaire puissance ? Je me suis souvent demandé ce qu’on éprouve, lors de cette expérience… (Lanfear ne parvint pas à travestir la voracité qui faisait trembler sa voix.) Avec ces deux sa’angreal, toi et moi, nous pouvons renverser le Grand Seigneur des Ténèbres en personne ! Lews Therin, ce serait à notre portée ! Ensemble !

— Au secours ! cria Asmodean. (Rampant en direction de Lanfear, il leva vers elle son visage défait.) Tu ne sais pas ce qu’il a fait. Il faut que tu m’aides. Si ce n’était pas pour toi, je ne serais jamais venu ici.

— Ce qu’il a fait ? Il t’a flanqué une correction, et encore, en étant gentil… Tu n’as jamais été destiné à la grandeur, Asmodean, mais à être le larbin de ceux qui la détiennent.

Sans lâcher la statuette, Rand réussit à se lever, car il ne supportait plus d’être à genoux en présence de cette femme.

— Les Élus, dit-il, conscient que défier Lanfear était dangereux, mais incapable de s’en empêcher, donnent leur âme au Ténébreux. Toi, tu as laissé cet homme s’attacher à ta personne.

Des dizaines de fois, Rand avait revécu en pensée son duel contre Ba’alzamon. Un jour, enfin, il avait commencé à deviner ce qu’étaient les cordes noires.

— Je l’ai coupé du Ténébreux, Lanfear ! Voilà ce que j’ai fait !

Stupéfaite, Lanfear regarda alternativement Rand et le Rejeté, dont les yeux s’étaient emplis de larmes.

— Je n’aurais pas cru que c’était possible… Pourquoi ? Tu envisages de le ramener à la Lumière ? Mais tu n’as rien changé en lui…

— Il n’est pas différent de l’homme qui s’est vendu aux Ténèbres, concéda Rand. Un jour, tu m’as parlé de la défiance de mise entre les Élus. Combien de temps Asmodean pourrait-il vous cacher son… malheur ? Et combien d’entre vous croiraient qu’il n’a pas fait ça tout seul, d’une manière ou d’une autre ? Je suis ravi que tu aies cru cette… ablation… impossible. Les autres penseront peut-être comme toi. C’est toi qui m’as donné l’idée, Lanfear : un homme capable de m’enseigner comment contrôler le Pouvoir. Mais mon professeur ne sera pas lié au Ténébreux. C’est exactement ce que je voulais. Il n’a pas changé, c’est vrai, mais a-t-il le choix ? En un sens, oui… Il peut rester avec moi, me former, prier pour que je gagne voire m’y aider… Ou retourner vers vous en espérant que vous ne preniez pas la fameuse ablation comme un prétexte pour vous retourner contre lui. Le connaissant, que va-t-il faire, selon toi ?

Asmodean posa sur Rand un regard incrédule, puis il tendit des mains implorantes vers Lanfear.

— Si tu leur parles, les autres te croiront ! Je suis venu ici pour toi, ne l’oublie pas ! Dis aux autres que je suis fidèle au Grand Seigneur des Ténèbres.

Lanfear dévisagea Rand. Pour la première fois depuis qu’il la connaissait, la Rejetée semblait hésiter.

— De quoi te souviens-tu, Lews Therin ? En toi, quelle est la part du berger et la tienne propre ? C’est exactement le genre de plan que tu aurais conçu à l’époque où nous…

S’interrompant soudain, Lanfear se tourna vers Asmodean :

— Oui, ils me croiront quand je dirai que tu es passé dans le camp de Lews Therin. Tout le monde sait que tu retournes ta veste sans le moindre scrupule. Très bien, ma décision est prise ! (Elle hocha la tête, très satisfaite d’elle-même.) Je viens de te faire un petit cadeau, Lews Therin… Un bouclier qui laissera passer assez de Pouvoir pour qu’il te forme et pas davantage. Avec le temps, il se dissipera, mais ça l’empêchera de te défier pendant plusieurs mois. Et d’ici là, il sera bien obligé de rester à tes côtés. Surtout, ne t’inquiète pas, il n’a jamais été très doué pour traverser un bouclier. Pour réussir, il faut accepter la douleur, et il déteste ça.

— Non ! s’écria Asmodean. Tu ne peux pas me faire ça. Mierin, je t’en prie !

— Je me nomme Lanfear !

Le visage tordu par la rage, la Fille de la Nuit fit léviter Asmodean. Les vêtements du Rejeté l’enserrèrent comme une toile d’araignée, l’étouffant, et ses yeux sortirent de leurs orbites.

Rand ne pouvait pas laisser mourir son professeur. Hélas, il était trop épuisé pour s’unir sans aide extérieure à la Source Authentique. Un instant, ses mains serrèrent plus fort la statuette à la sphère de cristal. Mais s’il se liait au sa’angreal du Cairhien, le flux de Pouvoir risquait de le tuer.

Il passa par la petite figurine à l’épée. Puisant une quantité de Pouvoir dérisoire, il la projeta entre les deux Rejetés avec l’espoir de détourner l’attention de Lanfear.

Nimbée d’une aura bleue et d’étincelles, une colonne de feu blanc de dix pieds de haut passa en trombe entre les deux Élus en creusant dans le sol une tranchée d’un pas de large. Elle continua son chemin à travers la place, y laissant une plaie dans laquelle bouillonnaient la pierre en fusion et la terre, puis percuta le mur veiné de vert d’un palais et explosa, détruisant un bâtiment de plus.

D’un côté de la tranchée, Asmodean tomba à genoux, du sang coulant de son nez et de ses oreilles. De l’autre côté, Lanfear tituba en arrière comme si on venait de la gifler, puis elle se tourna vers Rand.

Vidé par ce dernier effort, le jeune homme ne put maintenir son contact avec la Source.

Dans le regard de Lanfear, il vit une haine au moins égale à celle qui avait visé Asmodean. Conscient que l’heure de sa fin avait sonné, Rand attendit, résigné. Mais la colère disparut, remplacée par un sourire séducteur.

— Non, je ne dois pas le tuer…, souffla la Fille de la Nuit. Pas après tant d’efforts consentis…

Approchant de Rand, elle caressa le côté de son cou où la morsure qu’elle lui avait infligée en rêve continuait à cicatriser lentement.

— Tu portes toujours ma marque. Veux-tu que je la rende permanente ?

— As-tu fait du mal à quelqu’un dans la Coupe d’Or ou dans les camps ?

Lanfear continua à sourire mais ses doigts se raidirent comme si elle envisageait de déchiqueter la gorge de Rand.

— Pour qui t’inquiètes-tu ? N’as-tu pas enfin compris que tu n’aimes pas cette petite paysanne ? Ou cette catin d’Aielle ?

Une vipère… Une vipère amoureuse de Rand.

Que la Lumière me vienne en aide !