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Et si elle décidait de mordre, lui ou une autre proie, il ne savait pas comment l’en empêcher.

— Je ne veux pas que tu nuises à ces gens. J’ai encore besoin d’eux. Ils peuvent me servir.

Un mensonge difficile à dire à cause du volume de vérité qu’il contenait. Mais garder Egwene, Moiraine, Aviendha et tous ses fidèles loin des griffes de Lanfear valait bien un mensonge.

Renversant la tête, Lanfear eut un rire cristallin.

— Je me souviens du temps où tu étais trop gentil pour utiliser qui que ce soit. Retors au combat, dur comme le fer et plus arrogant que les montagnes, mais tendre et doux comme une fille. Non, je n’ai pas fait de mal à ta précieuse Aes Sedai ni à ton Aielle adorée. Je ne tue jamais sans une bonne raison, Lews Therin. Même pour torturer, il me faut des motifs valables.

Rand prit garde à ne pas poser les yeux sur Asmodean. Blanc comme un linge, le souffle court, le Rejeté se tenait sur une main pour ne pas tomber, et l’autre essuyait le sang sur sa bouche et son menton.

Lanfear pivota sur elle-même pour scruter les ruines.

— Une armée n’aurait pas fait mieux !

Mais les bâtiments dévastés n’intéressaient pas la Fille de la Nuit, malgré l’impression qu’elle tentait de donner. Non, elle cherchait quelque chose sur l’esplanade jonchée de débris de ter’angreal et d’autres artefacts mystérieux.

— Profite de son enseignement, Lews Therin, dit-elle en regardant de nouveau Rand, les lèvres pincées. Les autres ne sont pas très loin… Sammael meurt de jalousie dès qu’il pense à toi, Demandred brûle de haine et Rahvin est assoiffé de Pouvoir. Quand ils sauront que tu détiens la statuette, ils seront plus déterminés que jamais à t’abattre.

Lanfear baissa les yeux sur le trésor que Rand serrait contre lui. Un instant, il redouta qu’elle essaie de le lui prendre. Pas pour que les « autres » renoncent à le poursuivre, mais parce qu’il risquait de devenir trop puissant pour qu’elle le contrôle. Et si elle tentait le coup, même sans recourir au Pouvoir, Rand n’était pas sûr de résister plus de quelques secondes.

Lanfear évalua d’abord l’état de fatigue du jeune homme, puis elle parut peser le pour et le contre. Même si elle multipliait les déclarations d’amour à l’intention de Rand, elle aurait sûrement envie d’être très loin de lui dès qu’il aurait recouvré assez de force pour se servir du ter’angreal.

Lanfear sonda de nouveau l’esplanade. Puis une porte apparut à côté d’elle. Pas un passage donnant sur l’obscurité, mais la porte d’une belle chambre de palais, avec du marbre partout et des rideaux de soie aux fenêtres.

— Laquelle étais-tu ? demanda-t-il tandis que la Fille de la Nuit se dirigeait vers cette issue.

Elle s’immobilisa et jeta à Rand un regard presque… timide.

— Qu’en dis-tu, suis-je assez humble pour avoir pris l’apparence de la grosse et laide Keille ? (Elle suivit les courbes de son corps du plat de ses mains, pour ponctuer son propos.) Isendre, à présent… La belle et svelte Isendre. J’ai parié, si tu avais des soupçons, qu’ils se porteraient sur elle. Eh oui, je suis assez humble pour m’envelopper de graisse, quand il le faut. (Elle eut un rictus mauvais.) Isendre croyait avoir affaire à de simples Suppôts des Ténèbres. Il ne m’étonnerait pas beaucoup qu’elle soit en train d’essayer d’expliquer à des Aielles furieuses pourquoi tant de leurs bijoux se sont retrouvés au fond de son coffre personnel. En réalité, elle en a volé quelques-uns elle-même…

— N’as-tu pas dit que tu n’avais fait de mal à personne ?

— Quel doux agneau tu es ! Quand j’en ai envie, je peux être adorable, sais-tu ? Tu ne pourras pas empêcher qu’elle reçoive le fouet – une bonne punition pour la façon dont elle me regardait – mais si tu te dépêches, tu arriveras à temps pour lui épargner d’être abandonnée seule dans le désert avec une outre d’eau. Les Aiels ne sont pas tendres avec les voleurs. (Lanfear eut un rire de gorge.) Ils ont tellement changé ! Quand on giflait un Da’shain, il demandait ce qu’il avait bien pu faire de mal. Une autre gifle, et il s’excusait d’avoir été impoli. Et ça pouvait continuer toute une journée…

Avec un dernier regard méprisant pour Asmodean, Lanfear conclut :

— Apprends vite et bien, Lews Therin. Je veux régner avec toi, pas te voir tuer par Sammael ni savoir que Graendal t’a ajouté à sa collection d’éphèbes. Oui, apprends vite et bien !

Lanfear entra dans la chambre et la porte se dématérialisa après être devenue une fente presque invisible.

Rand prit sa première véritable inspiration depuis qu’il était en face de la Fille de la Nuit. Mierin… Un nom qu’il avait entendu au milieu des colonnes de verre. La femme qui avait trouvé la prison du Ténébreux, durant l’Âge des Légendes, et qui y avait ménagé une brèche. Savait-elle de quoi il s’agissait ? Comment s’était-elle évadée du dôme de feu qu’il avait vu ? S’était-elle unie au Ténébreux à cet instant ?

Asmodean tenta de se redresser et manqua s’étaler. Il ne saignait plus, mais du sang lui maculait le visage, et sa veste rouge comme son col de dentelle n’étaient plus que des haillons.

— Mon lien avec le Grand Seigneur me permettait de manier le saidin sans perdre la raison. Désormais, je suis aussi vulnérable que toi. Tu aurais aussi vite fait de me laisser partir, parce que je suis un très mauvais professeur. Elle m’a choisi parce que…

Trop tard, Asmodean tenta de ravaler ses paroles.

— Parce qu’il n’y a personne d’autre, acheva Rand avant de se détourner du Rejeté.

Les jambes encore mal assurées, il traversa l’esplanade, se frayant un chemin parmi les débris. Durant leur duel, Asmodean et lui s’étaient approchés de la forêt de colonnes, s’éloignant du même coup d’Avendesora. Sur cette partie de l’esplanade, des socles de cristal renversés gisaient à côté de statues d’hommes et de femmes couchées sur le sol, certaines brisées et d’autres même pas écaillées. Un grand anneau plat en argent avait été propulsé sur des sièges de métal et de pierre, composant une étrange scène de désolation vaguement poétique. Sur cette œuvre d’art naturelle qui reposait elle-même au sommet d’un tas de gravats, ce qui semblait être la hampe noire d’une lance tenait miraculeusement en équilibre.

L’esplanade entière offrait ce spectacle de désolation.

Autour du grand arbre, Rand n’eut pas besoin de retourner longtemps les débris pour trouver ce qu’il cherchait. Écartant du pied ce qui semblait être des fragments de tubes de verre – peut-être les restes d’un alambic –, il poussa sur le côté un fauteuil en cristal rouge somme toute assez banal, puis ramassa une statuette d’environ un pied de haut. Une femme en robe longue, le visage serein, qui tenait une sphère transparente dans une main. Intacte ! Et parfaitement inutile pour Rand ou n’importe quel autre homme, comme son double masculin l’était pour Lanfear.

Un instant, Rand envisagea de fracasser la statuette sur les pavés.

— C’était ça qu’elle cherchait, dit Asmodean, qui avait suivi le jeune homme. (Toujours sonné, il essuya sa bouche ensanglantée d’un revers de la main.) Pour l’avoir, elle t’arracherait le cœur.

— Ou elle arracherait le tien, parce que tu ne lui as rien dit… Moi, elle m’aime.

Que la Lumière me vienne en aide ! Autant être aimé par une louve enragée !

Rand posa la statuette au creux de son bras, à côté de l’autre. Un jour, ces artefacts pourraient lui servir.

Et je ne veux plus rien détruire.

Pourtant, en regardant autour de lui, il ne vit pas qu’un paysage dévasté. Le brouillard presque dissipé, quelques volutes seulement s’accrochaient aux bâtiments encore debout. Alors que le soleil sombrait à l’horizon, Rand remarqua quelque chose d’étrange : le sol de la vallée n’était plus droit mais très incliné, vers le sud, et de l’eau jaillissait désormais de la tranchée qui ne s’était pas arrêtée aux limites de la cité, contrairement à ce qu’il avait cru. Un lac était en train de se former. Bientôt, il viendrait lécher les « pieds » de la ville – un immense lac, dans un désert où la moindre mare attirait des centaines de gens. Très vite, cette vallée serait habitée. Des cultures en terrasses couvriraient le flanc des montagnes – en plissant les yeux, il avait l’impression de déjà les voir – et la population prendrait soin d’Avendesora, le dernier arbre chora. Avec un peu de chance, Rhuidean serait reconstruite et le désert des Aiels aurait enfin une capitale.