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La Chaire d’Amyrlin semblait pleine de compassion, mais Min ne se laissa pas abuser. Siuan Sanche ne faisait jamais de sentiment, elle l’aurait juré sous la torture.

— Je courrai le risque… Qui sait ? je pourrai peut-être l’aider. Par exemple, avec mes visions. De toute façon, la Tour Blanche n’est pas un endroit beaucoup plus sûr, et ça ne changera pas tant qu’il y aura des sœurs rouges. En Rand, ces femmes verraient un homme capable de canaliser, et elles oublieraient sur-le-champ l’Ultime Bataille et les prophéties du Dragon.

— Elles ne seraient pas les seules à réagir ainsi, dit Siuan. Les anciennes façons de penser collent à la peau des gens, c’est comme ça…

Min ne cacha pas sa surprise. La Chaire d’Amyrlin semblait être de son côté… Vraiment étrange…

— Il est de notoriété publique que je suis amie avec Egwene et Nynaeve, qui viennent du même village que Rand. Pour l’Ajah Rouge, ça suffira à établir ma « complicité ». Si je reste ici, on m’arrêtera dès qu’on saura qui est Rand. Egwene et Nynaeve subiront le même sort, si tu ne les as pas envoyés se cacher quelque part.

— Dans ce cas, il ne faut pas qu’on t’identifie. Si tu oubliais pour un temps tes vêtements d’homme ? Comme dit le proverbe, on n’attrape pas les poissons quand ils ont vu le filet.

La Chaire d’Amyrlin eut l’expression rusée d’un chat en train de jouer avec une souris.

— Quel poisson songes-tu à pêcher grâce à moi ? demanda Min.

Elle avait sa petite idée, en réalité, mais elle aurait tout donné pour se tromper.

Mais Siuan dévasta ses dernières illusions.

— L’Ajah Noir… Treize de ces femmes se sont enfuies, mais il en reste à la tour. Je ne sais plus à qui me fier, et je crains fort que ça ne change plus. Tu n’es pas un Suppôt des Ténèbres, je le sais, et ton don pourrait m’être utile. Au minimum, tu pourrais être une paire d’yeux aussi fiables que les miens.

— Tu as prévu ça depuis le début, n’est-ce pas ? C’est pour ça que tu veux réduire au silence Gawyn et Sahra.

Min sentit la moutarde lui monter au nez. Quand cette femme disait le mot « grenouille », elle s’attendait à voir les gens faire des bonds. Le plus souvent, c’était le cas, mais ça n’excusait rien. Min n’était ni une grenouille ni une marionnette.

— C’est ce que tu as fait à Egwene, Elayne et Nynaeve ? Tu les as envoyées aux trousses de l’Ajah Noir ? Voilà qui te ressemblerait bien !

— Occupe-toi de tes filets, mon enfant, et laisse tes amies se charger des leurs. Pour autant que ça te regarde, elles font pénitence dans une ferme. Me suis-je bien fait comprendre ?

Le regard de Siuan fit frissonner Min. Au fond, il était facile de défier l’autorité de la dirigeante – jusqu’à ce que cette lueur glaciale passe dans ses yeux bleus.

— Oui, mère…

Min eut honte se plier si facilement, mais un coup d’œil à Siuan la convainquit que c’était plus prudent.

— J’imagine que porter cette robe un peu plus longtemps ne me tuera pas…

Siuan parut soudain amusée, une réaction qui inquiéta son interlocutrice.

— J’ai peur que ça ne suffise pas… Min en robe, c’est toujours Min, pour une personne physionomiste. Et tu ne peux pas porter en permanence une cape à la capuche relevée. Pour que ça marche, tu vas devoir changer tout ce qui peut l’être. Primo, tu resteras Elmindreda. Après tout, c’est ton nom. Secundo, tes cheveux sont assez longs pour qu’on te fasse des boucles. Quant au maquillage… Je n’ai jamais eu recours au fond de teint, à la poudre et au fard, mais Leane doit se rappeler comment on s’en sert…

Depuis la mention des boucles, Min écarquillait les yeux d’horreur.

— Oh ! non ! ne put-elle s’empêcher de souffler.

— Quand Leane aura fait de toi une parfaite Elmindreda, personne ne te confondra avec Min la garçonne.

— Non, non et non !

— Il faudra aussi expliquer pourquoi une délicate jeune femme qui ne ressemble en rien à Min séjourne à la tour…

Siuan plissa pensivement le front.

— Oui, j’ai trouvé ! Je laisserai filtrer que dame Elmindreda a encouragé deux prétendants au point de devoir se cacher avant de faire son choix… Chaque année, quelques femmes nous demandent le droit d’asile, et certaines pour des raisons aussi ridicules. (Siuan durcit soudain le ton.) Si tu penses encore à Tear, pèse bien le pour et le contre. Seras-tu plus utile à Rand là-bas ou ici ? Si l’Ajah Noir détruit la tour ou en prend le contrôle, il aura perdu l’aide, même minime, que je peux lui apporter. Alors, es-tu une femme raisonnable ou une gamine amoureuse ?

Piégée, Min eut le sentiment qu’on venait de lui passer les chaînes aux pieds.

— Mère, tu parviens toujours à plier les gens à ta volonté ?

— Presque toujours, mon enfant, presque toujours…, concéda Siuan avec un sourire glacial.

Tirant sur son châle aux franges rouges, Elaida contemplait la porte du bureau de la Chaire d’Amyrlin. Des deux jeunes femmes qui l’avaient franchie, la novice fut la première à la repasser dans l’autre sens – très vite après être entrée.

Quand elle aperçut Elaida, la novice eut une sorte de bêlement de brebis effrayée. La sœur rouge eut l’impression de l’avoir déjà vue, même si elle était incapable de se rappeler son nom.

— Comment t’appelles-tu ?

— Sahra, Elaida Sedai…, couina la jeune fille.

Jugeant indigne d’elle d’enseigner à des filles stupides, Elaida se désintéressait des novices. Mais les malheureuses n’ignoraient rien d’elle et de sa réputation.

Elaida situa enfin Sahra. Une tête en l’air sans grand talent qui n’atteindrait jamais un haut niveau de Pouvoir. Presque à coup sûr, elle n’en savait pas plus long que ce qu’Elaida avait vu et entendu. Et à part le sourire de Gawyn, elle avait sans doute déjà tout oublié. Une idiote qu’il convenait de congédier d’un geste agacé.

La fille se fendit d’une révérence qui la plia en deux, puis elle déguerpit sans demander son reste.

Elaida ne perdit pas de temps à la regarder s’éloigner. Se détournant, elle descendit le couloir, la novice déjà effacée de son esprit. Extérieurement impassible, mais bouillant à l’intérieur, elle ne remarqua pas les domestiques, les novices et les Acceptées qui s’écartèrent vivement de son chemin en la saluant maladroitement. À un moment, elle faillit percuter une sœur marron qui marchait le nez plongé dans ses notes.

Surprise, la sœur plutôt replète poussa un cri qu’Elaida n’entendit même pas.

Robe ou pas, elle avait reconnu la visiteuse de la Chaire d’Amyrlin. C’était Min, une jeune femme qui avait déjà passé beaucoup de temps avec Siuan Sanche lors de son premier séjour à la tour. Pour quelles raisons ? Personne ne le savait…

Min, la grande amie d’Elayne, d’Egwene et de Nynaeve. Trois femmes au sujet desquelles la Chaire d’Amyrlin ne disait pas tout, ça tombait sous le sens. Tous les rapports affirmant qu’elles faisaient pénitence dans une ferme étaient des comptes-rendus de troisième ou de quatrième main qui avaient pour origine Siuan Sanche en personne et permettaient de noyer le poisson – une expression particulièrement bien choisie, dans ce cas précis – sans se rendre coupable d’un véritable mensonge.

Malgré tous ses efforts, Elaida n’avait jamais pu localiser la ferme où les trois jeunes femmes étaient censées se réhabiliter. Une preuve de plus qu’il s’agissait d’une fumisterie.