Par chance, les rues étaient encombrées et l’homme conduisait lentement. Il s’arrêta dans la 79e Rue, gara tant bien que mal son véhicule et entra dans une petite maison à deux étages.
Le lendemain matin, Nathan se leva à cinq heures.
Il prit l’équipement qu’il avait préparé, monta sur son vélo et parcourut les dix miles qui le séparaient de Bensonhurst.
Il arriva sur place peu avant sept heures. Il parcourut la rue à plusieurs reprises et examina les environs avec attention.
L’inspection terminée, il posa son vélo contre un arbre et s’approcha de la Hudson. Il se campa sur ses jambes, arma la batte de baseball qu’il avait emportée et l’abattit à toute volée sur le pare-brise de la voiture.
La vitre se fracassa dans un bruit de tonnerre. Une partie des débris se répandit sur les sièges de la voiture, le reste se dispersa sur le trottoir.
Nathan apprécia le résultat, s’assit sur l’aile avant de la voiture, face à la maison de l’Italien, et observa la façade. Il repéra un mouvement de rideau à l’étage. Des visages inquiets apparurent également aux fenêtres des maisons voisines.
Quelques instants plus tard, le voyou surgit de la maison en boutonnant sa chemise. Il était pieds nus, il avait les cheveux en bataille et le visage tordu dans un rictus de haine.
Il apostropha Nathan en traversant la rue.
— Tu es dingue, mec ! Tu veux mourir ?
Lorsqu’il arriva à deux mètres, il reconnut Nathan.
— Quoi ? C’est toi, sale youpin ! Tu vas me payer ça.
Nathan se tint immobile, les mains sur le manche de la batte posée entre ses pieds.
Au moment où l’homme s’apprêtait à l’empoigner, il souleva la batte et la laissa retomber sur les orteils de l’homme.
Ce dernier ouvrit la bouche, leva le pied, chercha à articuler quelques mots.
Nathan prit la batte à deux mains et la plongea dans son ventre. L’homme se plia en deux, mit un genou à terre et chercha à reprendre son souffle.
Une main posée à chaque extrémité de la batte, Nathan lui asséna un coup de bas en haut dans les mâchoires, suivi d’un second de haut en bas sur le nez. L’homme poussa un hurlement de douleur, s’effondra sur le côté et se mit à vomir.
Un voisin sortit de sa maison, armé d’une pelle.
Nathan comprit qu’il lui fallait quitter les lieux s’il ne voulait pas se faire lyncher.
Il jeta un dernier coup d’œil au voyou étendu à ses pieds. L’homme était recroquevillé sur lui-même, à demi inconscient, le visage couvert de sang.
Nathan s’agenouilla et s’approcha de son oreille.
— En mémoire de ma mère, de mes sœurs et de ceux qu’ils n’ont pas loupés.
Il se releva, grimpa sur son vélo et s’éloigna à vive allure.
9
À nous deux
Je débarque au bureau à dix heures, à l’improviste, comme j’ai pris l’habitude de le faire.
En règle générale, mes arrivées impromptues provoquent un vent de panique. Ils savent que si je déboule de cette manière, c’est que j’ai de bonnes raisons de le faire. Comme ils savent que dans ces cas-là, certains vont en prendre plein la tête. C’est ma façon de maintenir une pression salutaire au sein des équipes.
Je traverse le plateau au pas de course, passe devant mon assistante.
Elle voit que j’ai la tête des mauvais jours.
— Bonjour Stanislas.
— J’ai besoin de vous.
J’entre dans mon bureau, le seul bureau individuel de la société, et je claque la porte, la seule de l’étage, excepté celle des chiottes.
Au réveil, ma boîte de réception était inondée de messages.
Une attaque perpétrée par des hackers basés en Europe de l’Est avait été détectée. Plusieurs milliers de clients de grandes banques auraient été touchés. Selon les premières analyses, le logiciel malveillant était planqué dans une application de jeu sur Facebook.
L’attaque a été contrée par nos services et le préjudice devrait être négligeable, mais nos clients nous paient pour que de telles choses ne se produisent pas. Dans ce domaine, les succès s’oublient, mais les échecs ont la vie dure.
En mars, nous avions été les premiers à détecter un cheval de Troie qui s’installait dans les Mac via une fausse mise à jour d’Adobe. Un développeur d’antivirus avait quantifié l’attaque et estimé que plus d’un demi-million de bécanes avaient été infectées.
C’était une belle réussite de notre part. Aujourd’hui, plus personne n’en parle.
En revanche, les deux ou trois misérables millions d’euros détournés par cette attaque risquent de nous coller au cul pendant deux ans.
Clémence, mon assistante, entre dans le bureau, son carnet de notes à la main. Elle est aussi belle qu’efficace, aussi loyale que dévouée. Je ne l’ai jamais baisée, ceci explique sans doute cela.
— Asseyez-vous.
Pour des raisons inconnues, nous ne sommes jamais passés au tutoiement.
Elle s’exécute.
Je lui communique les instructions qui me viennent en tête sans ralentir le rythme, me reprendre ou m’assurer qu’elle a eu le temps de les enregistrer. Elle connaît mon mode de fonctionnement. S’il lui manque des éléments, elle prendra une voie détournée pour me poser des questions.
— C’est noté, Stanislas. Autre chose ?
— C’est tout.
Elle se lève.
Je l’interpelle avant qu’elle ne quitte le bureau.
— Non, ce n’est pas tout. J’ai besoin d’un nouveau portable, configuré selon mes paramètres et mis à jour avec ma dernière sauvegarde. Avant midi.
— Ce sera fait.
— Demandez à Jean-Charles de venir me voir.
— Je m’en occupe.
Jusqu’il y a cinq ans, j’engueulais moi-même le personnel. Depuis, j’ai engagé un directeur général. Aujourd’hui, je centralise mes coups de gueule et il se charge de la distribution.
De nombreuses sociétés développent des trésors de créativité pour fidéliser leur personnel. Leur prodigalité va du plan de pension à la voiture toutes options en passant par un salaire de présidentiable, des primes de fin d’année, des bonus, des assurances, des participations bénéficiaires, des voyages de motivation, des formations de toutes sortes, des chèques repas, une crèche pour les mouflets et un service de repassage. À quand la pute de service ou le gigolo de fonction ?
Malgré ces largesses, il suffit qu’un concurrent fasse de l’œil à l’un de leurs assistés et lui propose cent euros de mieux pour que le gaillard fasse sa valise dans l’heure. L’entreprise flouée réagit en augmentant l’enveloppe salariale de tout le personnel pour éviter que cela ne se reproduise. Ils se plaignent ensuite que leurs employés sont des enfants gâtés ou des fonctionnaires syndiqués.
Bande de cons.
Les rares sociétés performantes sont dirigées par des patrons tyranniques qui imposent un style de management directif.
Le salaire des gens qui travaillent pour moi est décent, sans plus, mais ils sont traités à la dure. Le succès de ma boîte est dû à la motivation des gens que j’emploie, pas au fric que je leur laisse. La passion les anime. Je n’engage que des passionnés.
Je me fiche de leur âge, de la couleur de leur peau, de leur look, de leurs préférences sexuelles, de leurs diplômes ou de leur niveau social, je sais d’où je viens. Ils bossent comme des dingues et ne comptent pas leurs heures.
Je n’ai jamais eu de suicide, de dépression, de grève ou de burn out, parce que mes collaborateurs prennent leur pied.
Quand nous recrutons quelqu’un, je ne lui pose pas les habituelles questions bateau : quels sont vos points forts ? vos faiblesses ? vos motivations ? et tout ce blabla. Le candidat les connaît et a préparé ses réponses. Je le reçois dans mon bureau, je l’installe à la table de réunion et je pose une bécane devant lui.