Je passais le restant de la soirée dans la cuisine, à faire des réussites en les écoutant.
Je garde de ces moments le souvenir de leurs conversations. Ils se parlaient avec une infinie douceur. Słodki revenait souvent dans leur vocabulaire. Je ne comprenais rien à ce qu’ils disaient, mais je me laissais bercer par leurs paroles. Ils ne parlaient pas le polonais que j’entends aujourd’hui. Leur langue était mélodieuse, gracieuse et chargée d’intonations chantantes.
Il leur arrivait de s’arrêter de parler, de se mettre à pleurer, de se prendre dans les bras. Ce n’était pas une marque de tristesse, mais un témoignage d’affection. Ces gens avaient l’âme à fleur de peau. Il leur arrivait de baisser le ton et de me guetter du coin de l’œil. Je savais alors qu’ils parlaient de mon père.
J’arrive à l’Espinette Centrale. Je prends à droite et me gare devant la maison. Je présume que les enfants sont chez leur père, sans quoi elle ne m’aurait pas demandé de venir.
Je remonte l’allée.
Elle m’attend à la porte.
— Salut, Stan.
— Salut.
Laetitia m’arrive au menton. Elle a de petits seins pointus, des yeux rieurs et un sourire désarmant. Je ne l’ai jamais vue autrement que de bonne humeur.
Elle s’enroule autour de moi, s’accroche à mon cou et passe sa langue sur mes lèvres.
— J’ai mis un plat au four, tu as faim ?
— Pas trop.
— Soif ? J’ai du Perrier.
— Ça ira.
En juillet 68, j’allais vers mes quinze ans. J’avais compris qu’ils ne m’avaient pas légué leur sensibilité, mais je m’en fichais. La seule chose qui m’importait était de rompre la monotonie de cet interminable mois de vacances.
Depuis mon arrivée, je ne pensais qu’à Annette, la sœur de Carl, le fils d’un fermier à qui je donnais un coup de main pour traire les vaches et donner à bouffer aux cochons.
Elle avait un an de plus que moi, de longs cheveux blonds et une paire de seins qui m’ensorcelait. Les coups d’œil que nous nous lancions à la dérobée en disaient long sur nos aspirations respectives.
Un jour, nous nous sommes débrouillés pour ne pas monter dans le tracteur et rentrer à pied. Il faisait chaud, le soleil était impitoyable.
Un petit cours d’eau traversait la campagne, quelque trois cents mètres avant l’entrée du village. L’un des points de passage longeait un moulin à eau. Il n’était plus en service depuis longtemps et tombait en ruine. Une petite pelouse ombragée s’étendait derrière le bâtiment.
Annette a prétexté avoir mal aux pieds. Elle s’est arrêtée, a ôté ses chaussures et a plongé ses jambes dans l’eau.
Je me suis assis à côté d’elle. J’étais tétanisé. Je savais qu’il fallait que je tente quelque chose et qu’une telle occasion ne se représenterait plus.
Je me suis penché vers elle, nos épaules se sont touchées. Elle n’a pas cherché à échapper au contact. J’ai posé une main sur sa cuisse.
Nous nous asseyons dans la cuisine.
Laetitia me sert un verre de Perrier, dépose une assiette devant moi.
— Poulet à la citronnelle, tu aimes ?
— Pas trop.
Elle ne me posera pas d’autres questions, elle sait que j’ai horreur de ça et que je n’y répondrai pas.
Pendant que je grignote son poulet, elle prend un ton enjoué et me raconte ses aventures, sa vie au bureau, ses tracas. Elle me parle de son boss, une couille molle, incapable de prendre ses responsabilités, qui hésite, tergiverse, pour finalement choisir la plus mauvaise option.
Je prends un comprimé et l’avale avec une gorgée d’eau.
Elle repère le geste.
— Migraine ?
— Oui.
— Tu veux baiser ?
— J’aimerais que tu me masses.
Elle se lève, me tend la main.
— D’accord, viens.
À son tour, Annette a posé une main sur ma jambe. Elle a tourné son visage vers le mien et m’a tendu ses lèvres. J’ai posé ma bouche sur sa bouche. Elle a passé ses bras autour de mon cou et a enfoncé sa langue au fond de ma gorge. Le contact était visqueux, sa salive amère.
L’une de mes mains a remonté le long de son ventre, s’est glissée sous sa blouse et a emprisonné l’un de ses seins. Le sang battait dans mes tempes.
Je suis à poil, allongé sur le ventre. Laetitia est assise à califourchon sur mon dos, à poil elle aussi. Ses doigts s’enfoncent dans ma chair, descendent le long de ma colonne vertébrale, remontent le long de mes omoplates. Elle traque les nœuds qui contractent ma nuque, les dénoue à l’aide de légers mouvements circulaires.
Les effets de l’Imitrex commencent à se faire sentir.
Elle s’est allongée sur l’herbe, le feu aux joues. Une lueur d’affolement brillait dans ses prunelles. Elle a regardé à gauche, à droite, a remonté sa jupe et a ôté sa culotte.
Mes yeux sortaient de leurs orbites. Elle avait une toison magnifique, épaisse, frisottante, blonde comme les blés, assortie à ses cheveux.
Je me suis redressé, j’ai ouvert mon froc et l’ai descendu à mi-cuisse. Je bandais tellement que ma bite sortait de mon caleçon.
Elle m’a interpellé.
— Geh’rechtzeitig raus !
J’ai compris qu’elle me priait de me retirer à temps.
Je me suis vautré sur elle. Elle m’a guidé et je l’ai pénétrée. C’était chaud, humide et merveilleusement bon.
— Mets-toi sur le dos.
Je m’exécute.
Elle siffle entre les dents.
— Tu bandes plutôt bien pour un mec qui n’a pas envie de baiser.
Elle s’assied sur mon ventre, pose une main sur ma poitrine et soulève ses fesses. De l’autre main, elle empoigne mon sexe, le fourre dans son vagin et entame des mouvements du bassin.
J’avais à peine exécuté deux va-et-vient que je n’en pouvais plus. C’était le sauve-qui-peut. Je me suis retiré dare-dare, au moment même où j’éjaculais, aspergeant le ventre et les cuisses d’Annette.
Laetitia se mord les lèvres, rejette la tête en arrière.
— Je viens.
Elle pousse un long gémissement, arrime son bassin contre mon pubis pour profiter au mieux de la pénétration.
La douleur se dissipe. Un halo lumineux se forme dans la pièce.
— Vas-y, Stan, donne-moi tout.
14
Des choses que ma conscience réprouvait
Malgré ce relatif fiasco, j’étais fier de moi. L’objectif que je m’étais fixé pour l’été était rempli. Il me restait à apprendre comment rester là-dedans plus de quinze secondes.
Je ne suis pas rentré tout de suite à la maison. J’avais besoin de me remettre les idées en place, de revivre la scène, de réaliser ce qui m’était arrivé. Je savais que je n’oublierais jamais cette première fois.
J’ai fait le détour par la clinique pour saluer ma tante.
Pour elle aussi, cette journée était particulière, mais je ne l’ai su qu’en arrivant.
Quelques mois auparavant, un fonctionnaire zélé du ministère de la Santé avait remarqué qu’elle ne possédait pas le diplôme requis pour exercer son métier. Elle avait été sommée de se rendre sans délai à Munich pour suivre les cours ad hoc et passer l’examen, faute de quoi elle ne pourrait plus assumer ses fonctions.
Le médecin-chef de la clinique était intervenu. Il avait rétorqué que l’absence de ma tante, même momentanée, équivaudrait à une paralysie générale de la clinique. D’échanges de lettres en prises de bec téléphoniques, l’affrontement avait duré plusieurs semaines.
En définitive, le toubib avait eu gain de cause. Elle venait de l’apprendre et fêtait cette victoire avec son équipe. Son sourire béat et son regard trouble indiquaient qu’elle avait un léger coup dans le nez. Elle a salué ses collègues et nous avons quitté la clinique.