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Je me lève, m’habille à la hâte.

Mon rêve récurrent est revenu me hanter. Je n’ai jamais su si c’était un effet de mon imagination ou la résurgence d’un fait enfoui dans mon inconscient. La forme varie, le fond est immuable.

Je suis assis dans le salon, je joue avec mes cubes de bois. Le téléphone sonne. Ma mère entre dans la pièce, me regarde, sourit, décroche, écoute quelques instants, dit non, s’effondre.

Cette nuit, le rêve ne s’est pas arrêté à ce moment-là.

Ma mère a rouvert les yeux.

Elle a articulé quelques mots, mais aucun son n’est sorti de sa bouche. J’ai délaissé mes jouets et j’ai marché vers elle, à quatre pattes.

J’ai posé mon oreille contre sa bouche.

Les yeux dans le vide, elle répétait la même phrase, d’un ton monocorde, à l’infini.

Je regrette tellement.

Je descends l’escalier. Je prends mes clés, mon portefeuille et mon téléphone sur la commode du hall. Je sors de la maison et referme la porte sans bruit.

Le jour se lève.

Mes pas crissent sur le gravier de l’allée.

Un chien aboie dans un jardin voisin.

16

Un acte de vengeance personnelle

Le jeudi 4 mai 1950, l’agent de garde de la police de Neuhof, une petite ville de dix mille habitants située non loin de Fulda, reçut un appel téléphonique peu avant six heures du matin.

Un homme l’informa qu’un cadavre se trouvait sur le parvis de l’église Saint-Laurent. Il refusa de dévoiler son identité, ne donna aucun renseignement complémentaire et raccrocha.

Une voiture de patrouille fut aussitôt envoyée sur les lieux.

Les policiers découvrirent le corps d’Otto Kallweit, un bibliothécaire au chômage, âgé de cinquante ans, domicilié à Neuhof depuis quatre ans.

Le médecin légiste estima que Kallweit était mort vers vingt-deux heures, tué d’une balle dans la tête tirée à bout portant.

L’autopsie, réalisée plus tard dans la journée, permit de récupérer le projectile. Il s’agissait d’une balle de 9 mm, provenant vraisemblablement d’un Luger Parabellum, un pistolet très répandu en Allemagne.

Le rapport d’autopsie spécifia que Kallweit n’avait pas bu, qu’il n’était pas sous l’emprise de drogues et qu’il n’avait subi aucune violence corporelle avant d’être exécuté. Il mentionnait en outre que l’homme avait eu recours à la chirurgie esthétique quelques années auparavant.

Interrogée par les policiers, la femme de la victime déclara que son mari avait quitté la maison vers vingt heures quarante-cinq pour promener son chien comme il avait coutume de le faire chaque soir.

À minuit, comme il n’était pas encore rentré, elle s’était inquiétée et avait appelé la police.

Le préposé avait noté l’information et lui avait conseillé de ne pas s’alarmer. Selon lui, ce genre de situation se produisait régulièrement. Il était fort probable que son mari ait été pris d’un malaise ou ait eu une perte de connaissance. Il se trouvait vraisemblablement au service de garde d’une clinique et lui donnerait signe de vie dans les heures qui suivraient.

Deux inspecteurs de la police criminelle de Francfort furent chargés de l’affaire et arrivèrent à Neuhof en fin de matinée.

Ils convoquèrent l’épouse de Kallweit et l’interrogèrent plus longuement. Elle précisa qu’elle n’avait pas trouvé son mari plus nerveux ou tourmenté que d’habitude et qu’elle ne lui connaissait pas d’ennemi.

Ils conclurent que le vol ne pouvait être le mobile du crime, Kallweit avait toujours ses papiers sur lui et son argent ne lui avait pas été dérobé.

Les voisins déclarèrent n’avoir rien vu ni entendu et aucun indice ne fut relevé sur la scène de crime. Les enquêteurs en déduisirent que le meurtre avait eu lieu à un autre endroit et que le corps avait été transporté par la suite.

Après quelques jours, ils se rendirent compte que les informations qu’ils avaient recueillies concernant le passé d’Otto Kallweit contenaient de nombreuses contradictions. Les explications concernant l’intervention chirurgicale qu’il avait subie ne les avaient pas plus convaincus.

Ils entreprirent des recherches approfondies et mirent la main sur l’acte de décès d’un certain Otto Kallweit, sergent de la Wehrmacht, né en mai 1900 à Cologne et tué dans un bombardement en 1945.

Ils poussèrent plus avant leurs investigations et découvrirent la véritable identité d’Otto Kallweit. Le paisible bibliothécaire de Neuhof n’était autre que Heinrich Müller, l’homme qui avait dirigé la Gestapo durant la Seconde Guerre mondiale.

Né à Munich en avril 1901, Heinrich Müller avait abandonné ses études à l’âge de seize ans et s’était engagé comme volontaire dans l’armée allemande en 1917. Il avait obtenu la Croix de fer pour sa bravoure.

À la fin de la guerre, il était entré dans la police bavaroise et s’était spécialisé dans la surveillance de membres du parti communiste.

Son opiniâtreté et son expérience du terrain avaient attiré l’attention de Reinhard Heydrich qui l’avait engagé au sein de la Gestapo pour mener la lutte anticommuniste.

En juillet 1936, il avait été nommé officiellement chef des opérations de la Gestapo, puis directeur en 1939. Il était resté à la tête de la Geheime Staatspolizei jusqu’en 1945.

Sous sa direction, la police secrète de l’État avait renforcé ses campagnes contre les Juifs, les communistes et les Églises catholiques et protestantes. En 1938, il avait créé la Reichszentrale für jüdische Auswanderung, le service aux Affaires juives, et en avait confié la direction à Adolf Eichmann.

Durant la Seconde Guerre mondiale, il avait été promu SS-Brigadeführer en 1940 et SS-Gruppenführer en 1941.

Heinrich Müller avait joué un rôle majeur dans l’Holocauste. Il était considéré par les Américains comme l’un des hauts responsables du plan d’extermination des Juifs en Europe.

En ce sens, il était plus impliqué dans la Solution finale que ses supérieurs directs, Reinhard Heydrich, Heinrich Himmler et Ernst Kaltenbrunner.

Il avait été vu pour la dernière fois le 29 avril 1945, à Berlin, dans le bunker d’Adolf Hitler, alors que l’Armée rouge encerclait la ville.

D’après Hans Baur, le pilote personnel d’Hitler, il aurait tenu les propos suivants : « Je connais mieux que personne les méthodes russes, je n’ai pas la moindre intention d’être fait prisonnier. »

De ce jour jusqu’au 4 mai 1950, il n’avait laissé aucune trace de lui.

À la lueur de ces informations, les responsables de la police criminelle de Francfort estimèrent que le meurtre d’Otto Kallweit était un acte de vengeance personnelle.

17

Autant être fixé sur la question

Le moteur de la Mercedes ronronne. Je file à plus de cent quatre-vingts sur la portion qui relie Coblence à Hockenheim.

La dernière fois que j’ai fait cette route, la neige tombait à gros flocons.

C’était en 2003, décembre approchait. J’y allais pour faire mes adieux à ma tante. Je l’ai également prise à l’occasion de ses soixante-cinq ans, une autre fois lors de son départ à la retraite, en avril 1987.

Tout était différent. Nous étions quatre dans la voiture ; ma femme, ma mère et mon fils m’accompagnaient.

Une Porsche me colle au cul, tous phares allumés. J’enfonce l’accélérateur. Elle serre à gauche, fait une brusque embardée et me passe par la droite. Le schleu au volant brandit son majeur au passage.