Elles ne tempèrent pas mes pulsions, elles les encouragent, les exacerbent du geste et de la voix : lèche-moi, baise-moi, encule-moi, défonce-moi.
Je les baise pour soigner le mal qui me ronge.
J’en perds en cours de route. Après le galop d’essai, elles se dérobent, me qualifient de monstre, de pervers ou de détraqué. Celles qui franchissent le pas se laissent aller à leur penchant, certaines le découvrent à la faveur des épreuves que je leur fais subir.
Lorsque l’aventure se poursuit hors du lit, notre climat relationnel se met au diapason. Le moindre sujet de discorde tourne en confrontation, dégénère en conflit. La tension est constante. Nous nous défions, nous poussons l’autre dans ses ultimes retranchements. La rupture est rapidement consommée.
Le désastre qu’a été mon mariage en atteste. Après huit ans de déchirement, ma femme est partie en abandonnant le fils qu’elle m’avait donné.
Il est marié à présent. Je le vois peu. Un contentieux nous oppose.
Après la trahison de ma femme, je me suis créé un portefeuille de maîtresses occasionnelles, frivoles, promptes à répondre à mes aspirations.
La plupart sont mariées et s’emmerdent avec leur mari asthénique ou leur amant désœuvré, oscillant dans le meilleur des cas entre la position du missionnaire et une levrette occasionnelle.
Elles ne sont pas en quête de tendresse, elles n’attendent ni fleurs ni compliments, n’escomptent ni empathie ni compassion. Elles veulent être bousculées, se sentir vivre. Elles veulent de la salive, du sperme et des larmes.
Je ne suis pas là pour les aimer et je ne veux pas qu’elles m’aiment. Je veux les baiser. Simplement les baiser. Les baiser pour oublier que je souffre.
4
New York l’avait adopté
Nathan Katz arriva à New York par une chaude matinée de l’été 1948, à quelques jours de son dix-huitième anniversaire.
Depuis que le Congrès américain avait adopté la loi sur les personnes déplacées, des milliers d’immigrants venus d’Europe débarquaient chaque semaine dans les grandes villes des États-Unis.
De nombreux rescapés des camps se trouvaient parmi eux, mais aussi des réfugiés d’Europe de l’Est transférés à la suite des bouleversements de frontières qui avaient eu lieu en 1945. Plusieurs milliers de Polonais, d’Ukrainiens, de Yougoslaves, de Roumains et de Hongrois avaient refusé de retourner dans leur région d’origine. Ils y avaient connu la dictature nazie, la mort de leurs proches et l’humiliation. En outre, la plupart craignaient le régime communiste.
En attendant que les autorités alliées se penchent sur leur sort et trouvent une issue à leur situation, ils avaient vécu dans des camps ou des centres urbains depuis la fin de la guerre. La plupart de ces sites étaient d’anciens camps de concentration nazis libérés, en Allemagne, en Italie ou en Autriche.
Les conditions de vie restaient précaires, mais beaucoup gardaient l’espoir de retrouver une partie de leur famille. Les émissions de la radio publique diffusaient régulièrement des listes de survivants ainsi que l’endroit où ils se trouvaient. Certains journaux publiaient les photos de personnes prises dans ces camps, une pancarte portant leur nom dans les mains.
Pour Nathan et son père, stationnés depuis 1945 dans le camp de Feldafing, près de Munich, l’attente avait été vaine et l’espoir déçu.
En mai 1948, à la suite de la reconnaissance d’Israël par les États-Unis et des nouvelles dispositions de la loi américaine, la chance leur avait enfin souri. Bernard Katz, le père de Nathan, avait reçu une lettre d’un parent éloigné établi à New York depuis la fin de la Première Guerre mondiale.
Comme la loi le prescrivait, son arrière-cousin, Alexandre Katz, garantissait qu’un logement et un travail les attendaient sur place. Bernard Katz avait aussitôt introduit une demande de visa.
Début juillet, ils avaient quitté le camp de Feldafing et pris le train vers Hambourg pour embarquer à bord du MS Italia, un paquebot sur lequel les autorités leur avaient trouvé des places sur l’entrepont.
Dix jours plus tard, ils avaient enfilé les plus beaux vêtements qu’ils possédaient pour saluer la statue de la Liberté et mettre pied sur Ellis Island.
Alexandre Katz tenait une boulangerie dans le quartier de Williamsburg. En attendant des jours meilleurs, il leur avait trouvé une chambre située au dernier étage d’un immeuble de briques rouges au coin de Rutledge Street et de Harrison Avenue. La pièce n’excédait pas trois mètres sur quatre, la seule fenêtre donnait sur l’arrière-cour et la lumière du jour y entrait à peine, mais ils s’y sentirent d’emblée chez eux.
Le père de Nathan se mit au travail dès la semaine suivante. Il reprit son métier de plombier pour le compte d’un ami d’Alexandre. Ce dernier lui offrit un salaire de quarante dollars par semaine, ce qui était insuffisant pour loger et nourrir deux personnes, mais la communauté entreprit de les aider en leur fournissant vêtements, victuailles et produits de première nécessité.
Dès la fin de l’année 1945, Nathan avait repris des études à Feldafing. Quatre mille personnes vivaient dans le camp et une école y avait été créée. Des professeurs étaient venus de Palestine et des États-Unis pour enseigner.
Au début du mois d’août, Nathan fit une visite au Brooklyn College et remplit la demande d’inscription. Sa bonne connaissance de l’anglais et sa vive intelligence lui permirent de répondre favorablement aux conditions d’admission.
La rentrée étant programmée pour la mi-septembre, Nathan mit à profit le temps qu’il lui restait pour aider Alexandre et rapporter quelques dollars supplémentaires.
Ce dernier le mit à l’ouvrage dans la boulangerie. Tôt le matin, il était chargé de placer les marchandises dans les présentoirs, d’effectuer quelques livraisons dans le quartier et de nettoyer l’officine.
Son travail terminé, il passait le reste de la journée à parcourir Brooklyn du nord au sud et d’est en ouest, à la découverte du sentiment de liberté qui lui était jusqu’alors inconnu.
Il flânait, le nez au vent, respirait l’air doux, laissait le soleil réchauffer sa peau. Il ne savait où porter son regard tant la vie new-yorkaise lui semblait trépidante.
Les gens qu’il croisait le dévisageaient, les filles pouffaient et se retournaient sur son passage, interpellées par ses vêtements rapiécés et ses yeux clairs.
Dès ses premiers émois, un soir d’orage, dans la bibliothèque de Feldafing, il avait pris conscience que les filles de son âge n’étaient pas insensibles à son charme. Après la belle et délurée Judith, d’autres filles avaient suivi, toutes s’étaient attachées à lui.
Faute de retrouvailles, de nombreux couples s’étaient formés dans le camp. Il ne se passait pas un mois sans qu’une naissance soit célébrée. Certaines femmes mûres, restées seules, cherchaient au travers de relations épisodiques un moyen de soulager leur détresse et ne s’étaient pas embarrassées de précautions pour lui faire des avances.
Nathan aimait déambuler dans South Brooklyn, un petit quartier situé entre la 14e Rue et la 5e Avenue, bordé d’une part par le quartier italien, sur la rue du Président, de l’autre par les premières boutiques du quartier scandinave.