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Je distingue une entrée de service au fond de la cour. J’actionne la poignée. À ma surprise, elle répond à ma sollicitation. J’entre dans un entrepôt creusé en partie en sous-sol. Il y fait frais. Une odeur de moisi flotte dans l’air.

Je crie à pleins poumons.

— Il y a quelqu’un ?

Ma voix résonne dans l’obscurité.

Je me dirige à tâtons, repère un couloir, m’y engage.

J’accède à l’avant de l’immeuble, à proximité de la porte d’entrée, à ce qui fut la réception, un guichet défoncé sur lequel traînent des câbles métalliques.

Une cabine d’ascenseur dessert les étages. Je la contourne et m’engage dans la cage d’escalier. Je grimpe les marches et parviens au premier étage.

Un plateau d’une centaine de mètres carrés occupe la superficie. Il est meublé de bureaux métalliques antédiluviens, la plupart renversés. Quelques fauteuils se décomposent à leurs côtés. Des tiroirs gisent au sol.

Je m’arrête, tends l’oreille. Aucun bruit.

Je poursuis mon avancée, accède au second.

Je pousse une nouvelle gueulante.

— Il y a quelqu’un dans ce bordel ?

Je gravis les marches, arrive au niveau suivant.

Même type de plateau. Quelques tables plus vastes, sans doute des planches à dessin.

Le quatrième étage est vide.

Je place mes mains en porte-voix, dirige le son vers le dernier étage, là où se trouve mon homme.

— Je vous ai vu. Je sais que vous êtes là. Je dois vous parler.

Le silence me répond.

Je pose un pied sur la première marche. Degré par degré, je monte en prenant soin de ne faire aucun bruit. Je m’arrête à quelques marches du niveau. Mon visage est à la hauteur du sol. Le plateau semble désert.

Un léger bruit me parvient. Je reconnais le cliquetis caractéristique d’un disque dur qui travaille.

Je franchis les dernières marches et débouche sur un plateau de la même dimension que les précédents. Ni meuble ni personne. Seule une chaise est plantée au milieu de la surface.

J’éprouve un sale pressentiment.

Près du mur du fond, quelques diodes électroluminescentes clignotent.

Je fais quelques pas et distingue une tour d’ordinateur surmontée d’un modem et d’un routeur. Pas d’écran ni de clavier en vue.

Comme je le craignais, je me suis fait avoir comme un gamin. Je suis tombé dans le piège. L’endroit est un leurre, une adresse relais pour fausser les pistes et amener le pigeon dans une impasse.

Je fais demi-tour.

Trois hommes me font face. Je n’ai pas capté le moindre bruit, mais je ne rêve pas. Ils sont là, immobiles dans la pénombre. Ils me dévisagent sans complaisance.

La chaise m’est destinée, ils vont me cuisiner et je pourrai hurler tout mon soûl sans perturber le voisinage.

Ils avancent d’un pas, à l’unisson.

Je me prépare au combat, un pied légèrement en avant, les poings fermés à hauteur du visage. Ma posture ne semble pas les impressionner. Ils continuent à me jauger en silence.

Le type avec la chemise blanche se trouve au centre.

Il prend la parole.

— Pas essayer.

Je pressens que je n’ai aucune chance, ces gaillards sont des bêtes de combat, ils ne vont faire de moi qu’une bouchée.

Il répète, sur le même ton.

— Pas essayer.

Je compte malgré tout vendre chèrement ma peau et en amocher un ou deux avant de mettre un genou à terre.

Je hoche la tête, grimace un sourire.

— Bien sûr, ducon, pas essayer.

La meilleure défense est l’attaque. Je fais mine de reculer et d’une poussée, je me rue en avant en lui décochant un grand coup de pied dans les couilles.

D’un geste posé, il bloque l’attaque et s’empare de ma cheville. Il la tord d’un geste sec et me retourne comme une crêpe.

Toujours sans un mot, un second sbire avance et m’agrippe par le col. Je tente de me soustraire. Il brandit une seringue et plonge l’aiguille dans ma nuque. L’homme en blanc lâche aussitôt ma cheville.

Je me reprends, cherche mon équilibre. Je suis debout, face à eux. Je lutte contre la syncope.

Les images se désynchronisent devant mes yeux.

Le trio se dédouble.

Les six types me regardent vaciller.

Je jette un coup d’œil derrière eux. À quelques encablures, la grande roue de la kermesse se découpe dans le crépuscule.

64

La sagesse de tes conseils

Le retour de Nathan fut marqué par un coup d’éclat et une situation préoccupante.

Dès son arrivée en Allemagne, il partit rejoindre la cellule centrale du Chat à Berlin. Aaron avait jugé que l’adresse du bureau de Karlsruhe avait été découverte et avait fait évacuer les lieux.

Il avait demandé à Nathan de partager son temps entre Berlin et Francfort où travaillait Andrzej Zawadzki, un jeune Polonais rescapé de la marche de la mort de Flossenbürg.

Nathan insista pour garder la maison de Weingarten, attache dérisoire de sa vie passée. Seules certaines personnes de confiance en connaissaient l’existence. Il avança qu’il en allait de son équilibre et qu’il acceptait les risques liés à sa demande.

Aaron lui fit part de ses réticences, mais appuya sa requête à condition qu’il accepte la présence d’un garde du corps lorsqu’il y séjournerait.

Nathan reçut pour nouvelle mission de coordonner les recherches entre Berlin et Francfort et de trouver les moyens d’augmenter l’efficacité des équipes sur le terrain. Il lui fut également demandé de mettre tout en œuvre pour réduire les risques qui pesaient sur les membres et leurs proches.

En juin 1953, il mit à jour la piste de Paul Bredow, le SS-Oberscharführer qui avait collaboré au programme d’euthanasie avant d’aller à Sobibor.

En 1945, il avait réussi à passer entre les mailles du filet et s’était réfugié en Argentine, à San Carlos de Bariloche, un lieu de villégiature situé au bord d’un lac, au pied des Andes. Avec ses montagnes et ses chalets, le village rappelait quelque peu la Bavière.

Le Chat considérait qu’un millier de nazis s’y étaient réfugiés, dont Eduard Roschmann, le Boucher de Riga, devenu Federico Wegener par la complaisance de l’immigration argentine, et Walter Rauff, l’inventeur des Gaswagen, les camions utilisés pour asphyxier les Juifs.

Le soir, ils se réunissaient pour boire de la bière au Deutscher Club, et le 20 avril, ils fêtaient l’anniversaire d’Adolf Hitler au dernier étage de l’hôtel Colonial.

Un assaut d’envergure avait été envisagé, mais une analyse de la situation avait démontré qu’il avait peu de chances de réussir, les nazis étaient armés jusqu’aux dents et bénéficiaient de la protection du gouvernement Perón.

En revanche, Paul Bredow, alias Paolo Martinez, se rendait deux fois par an en Allemagne, en été et à Noël, pour voir sa fille à Neu-Isenburg, dans la région de Francfort.

La capture eut lieu le 30 juillet 1953. Nathan avait monté l’opération, mais n’était intervenu sur le terrain qu’au dernier moment, pour procéder à l’exécution.

À l’issue du procès durant lequel Bredow n’avait cessé de clamer son innocence, il était resté plus d’une heure en tête-à-tête avec lui. Il s’était assis et avait entamé un dialogue.

Avec calme et détermination, il lui avait posé de nombreuses questions et l’avait confronté à des faits concrets. Il l’avait progressivement poussé dans ses derniers retranchements.

Au bord de l’épuisement, l’homme avait fini par avouer sa culpabilité. Il l’avait alors exécuté en le fixant dans les yeux.