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Nathan intervint.

— Ce soldat allemand s’appelait Werner Volker, le frère de Rudolf ?

— Vous avez une bonne mémoire. Il avait vingt-deux ans, ma femme en avait quinze. Ils sont tombés amoureux l’un de l’autre. C’étaient des enfants.

Nathan sourit.

— À vingt ans, on est encore un enfant, ou déjà un homme, tout dépend de l’enfance qu’on a eue. Que s’est-il passé ensuite ?

— Ils se sont mariés en juillet de l’année suivante. À la demande de son frère, Rudolf Volker est intervenu pour rendre ce mariage possible, sans quoi il aurait été interdit. Il avait ses entrées à Berlin. Il a aidé la famille de ma femme à obtenir le statut de Volksdeutsche, ce qui n’a pas empêché les deux familles de s’opposer à leur union. Les parents Volker ne sont pas venus au mariage, la mère de ma femme non plus. Seul son père a accepté d’y assister.

— Nous connaissons ces préjugés.

— En juin 1943, un enfant est né. Ils l’ont appelé Reinhard. Ma femme avait à peine dix-sept ans. Elle a élevé son enfant à Lwów, son mari était retenu à cinq cents kilomètres.

— Elle a dû connaître des moments difficiles.

— En juillet 1944, l’offensive russe a été lancée. Elle a provoqué le sauve-qui-peut à Lwów. Ma femme a dû fuir avec sa famille. Elle a eu peur pour Reinhard. S’ils se faisaient arrêter par les Russes, c’était la mort ou les camps. De l’autre côté, les Allemands haïssaient les Polonais et le risque pour une famille non accompagnée était grand. Beaucoup d’Allemands ne reconnaissaient pas les Volksdeutsche.

Nathan embraya.

— Elle a demandé à Rudolf Volker de s’occuper de l’enfant.

— Son mari lui a proposé cette solution et elle a donné son accord. Ils ont convenu que Rudolf Volker viendrait le chercher à Lwów pour l’emmener dans sa famille, en Allemagne. Rudolf est venu et a pris l’enfant. Ma femme n’a plus eu de nouvelles de lui depuis.

— Qu’est devenu son mari ?

— Il a été envoyé au front. Il n’avait jamais combattu. Il a été tué au début du mois d’août 1944.

— Qu’a fait votre femme ?

— Elle est allée dans la famille de son mari. Ils l’ont accueillie comme une pestiférée. Ils lui ont dit qu’ils ne savaient rien de cet enfant et ne voulaient rien en savoir. Pour eux, c’était un bâtard. Ils l’ont accusée d’être responsable de la mort de leur fils.

— Ils n’avaient pas compris que la défaite était proche. Votre femme a fait des recherches à la fin de la guerre ?

— Bien sûr. Sur le plan administratif, il n’y avait aucune trace d’un enfant dénommé Reinhard Volker. Quant à Rudolf Volker, il s’était volatilisé. Après la défaite allemande, la région où habitait la famille Volker est devenue la RDA et l’accès aux documents a été rendu très difficile, surtout pour une femme polonaise qui recherchait un enfant allemand.

— Les Russes détestaient autant les Allemands que les Polonais.

— Au fil des mois et des années, elle s’est découragée.

— Quand avez-vous connu votre femme ?

— En été 1945. Elle ne m’a pas parlé de son mariage et de son fils. Elle avait honte, elle a eu peur que je ne la quitte. Je ne l’ai appris que plus tard. Il lui arrivait d’être mélancolique. Elle restait prostrée dans un fauteuil, les larmes aux yeux. Lorsque je l’interrogeais, elle me répondait que tout allait bien, que ce n’était que le spleen slave, que ça allait passer. Ce n’est qu’au moment où je l’ai demandée en mariage, à la fin de l’année 1948, qu’elle m’a tout avoué, son premier mariage, son veuvage, son enfant disparu.

— Elle vous a demandé de vous mettre à la recherche de l’enfant ?

— Non, au contraire. Elle ne voulait pas que je m’en occupe. Elle avait assez souffert de cette rupture. Elle ne voulait plus être confrontée à l’angoisse, aux humiliations et aux faux espoirs.

— Qu’a-t-elle fait ?

— Elle m’a demandé de lui faire un enfant.

Nathan fut ému par cette révélation.

— J’imagine sans peine ce que votre femme a dû subir et ce qu’elle a dû éprouver, mais un enfant ne remplace pas un autre enfant.

— Je sais. Elle ne l’a réalisé qu’après la naissance de Milosz. Nous avons deux enfants, monsieur Katz, si je lui en donnais sept ou huit, il lui en manquerait toujours un.

— Je comprends. Ma fille se trouve loin d’ici, en Israël. Je pense à elle souvent.

Il marqua un temps avant de poursuivre.

— Mais je pense sans arrêt au fils que j’aurais dû avoir.

Robert Kervyn acquiesça.

— Je sais ce que vous avez vécu. Élie m’en a parlé. Vous savez ce que sont la douleur et l’absence.

— Je sais ce qu’est le vide dans le cœur laissé par l’enfant et la femme que l’on a aimés.

— Je suis désolé.

Nathan battit l’air d’un geste fataliste.

— Cela fait donc cinq ans que vous recherchez cet enfant ?

— Sans que ma femme le sache. Je ne veux pas lui donner de faux espoirs et la décevoir.

Nathan le dévisagea quelques instants.

— Vous devez beaucoup l’aimer.

— Je l’aime, simplement.

— J’ai de l’estime pour vous. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour vous aider, je vous donnerai les informations que je trouverai, mais ne prenez pas de risques insensés.

— Je n’ai pas l’intention de me faire tuer, je serai prudent.

Nathan glissa la main dans sa poche et en ressortit un objet enveloppé dans une bande de tissu.

— Prenez ceci.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Un pistolet. De très petite taille. Vous pourrez facilement le dissimuler dans vos affaires ou le fixer le long de votre jambe. Le numéro de série a été effacé par nos soins. Vous savez manier une arme, si j’ai bien compris ?

Kervyn glissa l’arme dans son manteau.

— Je vous remercie.

Ils se serrèrent la main.

Avant de se séparer, Nathan l’interpella en souriant.

— Une question, monsieur Kervyn, pourquoi portez-vous ce vieux chapeau troué ?

Kervyn rit de bon cœur.

— C’est un porte-bonheur. J’ai mis ce chapeau pour la première fois quand nous avons attaqué le convoi dans lequel se trouvait Élie. Un Allemand m’a tiré dessus, la balle a traversé le chapeau sans m’atteindre. Depuis, je le porte quand je pars à la recherche de Reinhard.

Au moment où ils se levèrent, Nathan remarqua la présence de Moshe. Il s’était mêlé à un groupe de touristes. Pour faire bonne figure, il tenait un appareil photo dans les mains et faisait mine de prendre des clichés du parc.

75

Avec moi

Je parcours les allées du cimetière.

Le soleil est voilé. Le temps est à l’orage. La chaleur alourdit ma marche.

Cette fois, je sais où se trouve le caveau de famille.

Je m’arrête au pied de la tombe. Les noms sont alignés les uns en dessous des autres, par ordre de disparition.