Выбрать главу

Me ravisant, je rouvre le coffre de l’auto pour fouiller le mort. Mais mon exploration ne donne rien.

Il n’a même pas un faf sur soi, le patron des « Coccinelles ». Faut dire que pour aller là où il est maintenant, il n’avait pas besoin de passeport.

Déçu, je l’abandonne à ses problèmes du moment.

Dans un certain sens, les miens sont plus durailles à résoudre.

Car il me va falloir sortir d’ici en loucedé, sans me laisser égorger ni émicher par les redoutables fauves que j’entends rôdailler autour du hangar.

T’as une idée à me souffler, toi ?

Naturellement pas. Faut que je me dépatouille tout seul, quoi ! Comme toujours.

Je regarde autour de moi, cherchant l’objet susceptible de me tirer de là. Car, tu ne l’ignores pas, l’objet inanimé possède souvent une âme qui captive notre âme et la force de machiner.

Écoute, je ne sais pas si je suis vraiment intelligent, mais je peux t’assurer que je fais rudement bien semblant. Y’a des moments, tu t’y méprendrais, parole.

Tout me vient dans un éclair d’ultra-lucidité.

En technicolor, même !

Faut te dire que l’une des deux autres bagnoles est une Aston-Martin, ancien modèle, carrossée en break, avec une porte à l’arrière. T’enregistres ? O.K.

J’empare une grande planche servant d’étagère, au fond du garage, et je la place sur le sol, appuyée à la porte du garage au niveau de l’ouverture. Ensuite de quoi, je relève la porte arrière de l’Aston-Durand (pardon : Martin). À la main, je pousse l’auto contre la porte, l’arrière ouvert de la voiture étant tourné vers l’entrée ; puis, je rabats la portière arrière de manière à ce qu’elle s’appuie contre la porte du garage, tout en restant ouverte, tu saisis ? Pas bien ? Attends, ça va viendre. Question de patience, la rééducation cérébrale, ça prend toujours du temps, mon gars, faut rien bousculer, garder sa confiance et au besoin faire brûler des cierges…

Ce petit turbin exécuté, la situation est la suivante : Je vais doucettement faire coulisser la porte du garage. Pas en grand, juste assez pour permettre le passage des danois. Ces bêtes, espère, vont se ruer comme des mendiants napolitains sur un car de touristes. Elles ne pourront pas entrer par le bas, à cause de la planche posée en travers, donc elles se jetteront à l’intérieur de l’Aston-Dupont (pardon : Martin). Moi, dès lors, arc-bouté, je pousserai l’auto en avant et la portière maintenue relevée par la porte incomplètement ouverte du garage retombera sur ces deux connards de molosses. Ça va mieux ? Ça point ? Ça se décante ? Tu entrevois ? Tu pressens ?

Le seul danger que je cours, c’est que, lorsque la voiture sera décollée de la porte pour permettre la retombée du trappon arrière, l’un des clébards — ou les deux — sautent du véhicule avant que d’en être prisonniers. Donc, pour pousser, je dois me placer à l’avant de l’Aston-Dubois (pardon : Martin).

J’abaisse légèrement une vitre avant de manière à pouvoir exciter ces deux monstres de la voix pendant l’opération.

Laquelle, tu n’en as pas douté j’espère, se déroule formidadmirablement.

VII

Ils ont l’air un peu glandu, les deux médors, dans la chignole, à me vitupérer contre de l’autre côté des vitres. Je leur adresse un baiser, ensuite de quoi, je bande mes muscles (je suis un bandeur-né) et charge le cadavre de mon ami Wladimir sur ces épaules dont la robustesse donne du vague à l’âme des dames affligées de maris étiolés.

Rapt de cadavre, faut le faire, non ?

À quoi cela correspond-il ?

Bouscule pas le marin, ma crêpe, tu vas l’apprendre bientôt.

Je ne sais pas qui a dit, un jour de pleine lune, qu’il n’y avait rien de plus lourd qu’un mort, si ce n’est Bérurier évanoui. Eh ben ! crois-moi : y’a du vrai. Je te recommande ce genre d’exercice à la place de tes piètres mouvements abdominaux du morninge.

Ma voiture n’est pas loin, mais je suis à bout de souffle lorsque je l’atteins. Je dépose Merdanflak dans mon propre coffre (lui, on peut dire qu’il se sera fait la malle en mourant !), et je déhotte en direction de chez Bibi.

Bien entendu, tout est noir, silencieux et endormi lorsque j’y parviens.

Mon premier soin est de me laver les mains, puis d’écluser un fort scotch agrémenté d’un glaçon auquel je ne laisse pas le temps de fondre.

Ces humbles satisfactions corporelles m’ayant été accordées (par moi-même dont pourtant l’indulgence est partielle), je téléphone au dénommé Himker, me réjouissant cruellement de le réveiller à cette heure ultra-tardive. Une forme impressionnante ma bite, pardon : m’habite. Je mangerais du fer sans recracher les noyaux, tant tellement je suis en éblouissante forme.

La sonnerie retentit, longuement. Très longuement, comme toujours chez les gens qui en écrasent avec la satisfaction irremplaçable du devoir accompli.

Enfin, une voix brouillée avec la terre entière, ronchonne un « Mouais, allô, quoi ? » qui guérirait le hoquet d’un crocodile enfermé dans l’arrière-boutique de chez Hermès. Voix de femme.

— Je veux parler à Himker, dis-je calmement.

— Il dort ! riposte la donzelle.

— Ça doit pouvoir s’arranger, riposté-je, vous le secouez un peu fort, et si ça ne donne pas de résultat, flanquez-lui un seau d’eau sur la tête.

— Qui est à l’appareil ?

— Le contraire d’un somnifère, madame. Je vous promets que lorsque j’aurai parlé à M. Himker il n’aura plus sommeil.

Un léger silence.

C’est le vide intégral, sûr que la dame doit obstruer l’émetteur de la main.

Une voix masculine la relaie.

— Qu’est-ce que c’est ?

Le ton est âpre, presque rude. Je connais ce genre de timbre maniéré et insolent ; en général il appartient aux snobs blasés. J’en sais. J’ai parfois l’occasion de les détester.

— Un nouveau venu dans votre vie, monsieur Himker, réponds-je. Je voudrais avoir une conversation sérieuse avec vous, en tête-à-tête.

— Je ne donne pas de rendez-vous aux gens qui m’appellent en pleine nuit et qui se permettent de me parler sur ce ton.

Je sens qu’il va raccrocher. Alors je m’écrie :

— Hé ! un instant, pensez au monsieur qui se trouve dans le coffre de la 600 !

Mon z’aïeul, pour un succès franc et massif, c’en est un ! Un silence pareil à une chute de pierres dans le cosmos (remarque qu’on ne choit pas dans le cosmos : on s’y promène) retentit (si je puis me permettre cette hardiesse inouïe).

Moi, pas dingue, j’en profite pour lui refiler ma seconde botte de Nevers.

— Je devrais plutôt dire : le monsieur qui s’y trouvait, rectifié-je. Un petit tour à votre garage vous prouvera qu’une conversation avec moi est indispensable. En conséquence, je vous attendrai demain matin à neuf heures précises chez Lipp. Je serai à la première table à gauche de la porte. Bonne nuit.

J’hésite sur la conduite à tenir. Me zoner ou continuer sur ma lancée ?

La voix inquiète de M’man tombe du haut de l’escalier.

— Tu as besoin de quelque chose, Antoine ?

— Non, M’man, merci, tout est au poil. Fallait pas te lever…

Elle ne peut pas se retenir de descendre jusqu’à moi. Ce sont des instants chouettes, resquillés au néant. Des particules de bonheur qu’on gobe comme un comprimé de jouvence quand l’occasion se présente.