Выбрать главу

Comme on lui apporte son café, elle le sucre et le touille en ayant l’air de songer à autre chose.

Le goûte. On dirait une chatte. Dedieu ce que cette frangine est sublime. Je lui souris.

Elle sort un fin mouchoir de son sac en croque Odile, s’en tamponne délicatement la commissure des lèvres.

— En somme, vous êtes un policier véreux ? demande gentiment Dora.

— Pas encore, mais il ne dépend que de votre mari que je le devienne. La vocation ne suffit pas, il faut aussi trouver un partenaire disposant de moyens suffisants.

— Cent millions ?

— Tout rond.

— En échange de quoi ?

— De mon silence.

— Et il consiste en quoi, votre silence, monsieur le commissaire ?

— À ne pas laisser sortir la vérité du puits, madame Himker.

Le plus fort, c’est qu’elle n’a pas l’air de comprendre mon astuce ; à moins qu’elle n’ait une force de caractère exceptionnelle ? Qu’en penses-tu, toi, la Dorure ? Rien ? T’es comme un député centriste, t’as pas d’opinion ?

La belle jeune femme contemple ses ongles en amande, délicatement vernis dans les tons mauves.

— Je crois, monsieur le commissaire, que vous vous compromettez bien inutilement. Mon mari n’a rien à cacher. Ses affaires sont saines et il ne redoute aucun contrôle financier.

Alors là, je vais te dire, il commence à me débarquer des idées peu banales dans le cerveau de gauche. Pas à proprement parler « des » idées, mais « une ».

Je me dis courageusement ceci :

« Cette femme n’est au courant de rien. Son mari me l’a dépêchée parce que, précisément, elle ignore tout de sa vie criminelle. Une parfaite innocente constituait le trait d’union idéal entre le gredin qu’il est et le vilain maître chanteur que je suis censé être. Car, de deux choses l’une : ou bien je lui mets les points sur les « i » ou bien pas. Si je les lui mets, Himker saura l’étendue de ce que je sais. Si je ne les lui mets pas et exige de le rencontrer personnellement, il aura gagné du temps !

Gagner du temps ! N’est-ce pas l’objectif de cet homme depuis quelques heures ? S’il a tué le premier adjoint, c’est parce qu’il n’avait pas les moyens de composer. Parce que le temps pressait.

Et voilà que ton San-A., mon fils, se pose d’autres questions encore, et bien plus troublantes.

Des questions le concernant.

Il se demande, le stupéfiant San-Antonio (les superlatifs non utilisés ne seront ni repris ni échangés), pourquoi, en découvrant le cadavre de Merdanflak dans le coffre de la Mercédès, il n’a pas simplement appelé des renforts et procédé à l’arrestation de Himker. Et surtout, oui, combien surtout, pourquoi il s’est emparé du cadavre au lieu de laisser le mari de la belle Dora se dépatouiller avec cette encombrante pièce à conviction. C’est contraire à toute logique, ça !

Il est vrai que la logique et San-A., hein ?

Quel instinct étrange a guidé ma conduite ?

Quelle obscure impulsion ?

Drôle d’homme, ce San-A., je passe ma vie à me le répéter.

— Voyez-vous, madame Himker, je crois qu’il est indispensable que je rencontre votre mari le plus rapidement possible.

Je griffonne mon fil du bureau sur une page d’agenda et la lui tends.

— Qu’il m’appelle avant midi à ce numéro, ensuite, il sera trop tard.

Ayant ainsi causé, je règle les consommations. Ma compagne de guéridon m’observe avec le plus grand calme.

— C’est très déroutant, murmure-t-elle en renfilant ses gants de jolie bourgeoise.

— Qu’est-ce qui est déroutant ?

— Votre personnalité. Vous ne faites pas canaille, et cependant vous en êtes une, très cynique, même. Laissez-moi vous avertir d’ores et déjà, monsieur le… commissaire, que mon mari n’est pas le genre d’homme qui céderait à un chantage s’il avait quoi que ce soit à se reprocher.

Preste, alerte et autres synonymes, elle se lève et part comme un oiseau quitte sa branche. Je te laisse savourer la beauté de l’image pendant que le loufiat déplumé m’atrique la morniflette.

Appellera, appellera pas ?

Que ferais-je à sa place ?

Il est coincé entre les mâchoires puissantes du doute le plus affreux, Himker (ce que j’exprime bien, ce matin !). Suis-je un vrai flic-maître chanteur ? Ou s’agit-il d’un piège ?

Je mate la grosse aiguille de ma tocante. Elle est posée (très provisoirement) sur le 1 de midi cinq ! (Comprenne qui peut, c’est pas moi qui ai inventé l’heure.)

Himker ne m’a donné aucun signe de vie. Sage politique. Décidément, je suis une nave.

Véreuse.

Ce mec devrait être embastillé depuis plusieurs heures et subir un interrogatoire serré. Au lieu de ça, débarrassé d’un cadavre encombrant, il guette ma réaction, me laissant engager le fer…

Le bignou grelotte. Faudra que j’avertisse la compagnie des téléphones, car, depuis quelques semaines, mon appareil déconne. Le signal d’appel chevrote et la voix de mes correspondants trépide comme un tramway qui descendrait l’escalier du Sacré-Cœur.

— C’est lui ! exulté-je.

Manque de pot, il s’agit du Vieux.

— San-Antonio, je vous attends d’urgence dans mon bureau !

C’est tout. Il a déjà raccroché. Il paraît du plus mauvais poil, le Chpountz. Dans les noires grincheries. Le papier teigneux d’un grand canard, ou le rappel à l’ordre du ministre, est probablement la cause de sa maussaderie.

Je rajuste mon nœud de cravtouze et je pars vers ses hauteurs.

— Toc, toc !

Deux fois, c’est toujours un subordonné. Plus, ça ferait impatient, tu comprends. Trop véhément. Tandis que là, bien posé et mesuré : toc, puis toc, ça exprime la réserve respectueuse. Y’a un côté : « Si vous ne répondez pas, j’attendrai votre bon vouloir. »

Donc : toc, toc.

Le Vieux ne crie pas « entrez » quand il furaxe. Il lance simplement un « oui ! » très bref, très cassant qui démoralise l’arrivant avant qu’il ait ouvert la lourde.

Je me dis textuellement ceci, enfanté par la haulte sagesse béruréenne : « Qu’est-ce que tu risques ? On n’te fera pas un trou au c… t’en as déjà un. »

J’entre délibérément.

Le big boss n’est pas seul. Un vieux monsieur élégant de partout, avec des cheveux d’argent, longs et ondulés ; la décoration sur canapé d’abord, puis sur revers de soie sauvage ensuite, se tient assis en face de lui, deux cannes d’acier à embout de caoutchouc sont calées entre ses genoux.

Il me regarde entrer, d’un œil sombre et grave. Ce mec, je te parie ce que tu voudras contre n’importe quoi de bon marché que c’est une huile lourde.

La façon dont il est positivement « installé » chez le Dabe l’indique.

À tout hasard, je lui vote une courbette d’inspiration germanique qui devrait satisfaire l’homme le plus exigeant. Elle le laisse de marbre. Il ne cille même pas. J’attends que le Dear Vioque nous présente, lui tellement féru de courtoisie, mais ça ne paraît même pas lui venir à l’esprit. Et puis, présente-t-on le chat de la concierge au Nonce apostolique ?

J’espère encore qu’on me désignera un siège vacant, que nenni ! Dans l’état où est le Dirluche, même un siège à l’Académie française, il me le refuserait.

Le v’là qui croise ses mains hors de prix sur son buvard de cérémonie et qui me louche contre à force de me regarder trop fixement.

J’sais pas si tu me connais bien parfaitement, mais je peux t’assurer que ce genre de cérémonie, je ne suis pas preneur. Leur attitude, à ces deux bonzes artistiques, commence à me battre les testicules.

— Monsieur le directeur, déclaré-je en essayant de contenir mon indignation, j’ai l’impression déprimante que vous ne me reconnaissez plus.