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— Monsieur est un homme très compréhensif. J’ai fini par lui confier que j’aspirais à ne pas rentrer dans mon pays. Il m’a proposé de me prendre à son service et de s’occuper des formalités pour m’obtenir un permis de séjour en France. Ces formalités sont en cours.

— Si bien que, pour l’instant, vous êtes en position de travailleur clandestin.

Il pâlit, hoche la tête.

— Évidemment, je ne suis pas encore déclaré, il fallait que je peuve me débrouiller en attendant le règlement de mon dossier. C’était un arrangement amical, très temporaire.

Sa main frémit sur le bord de mon bureau. Elle convoite le passeport prisonnier. C’est son magistral tourment à Krakzecs : un opuscule à méchante couverture de carton souple.

— Quelles sont vos fonctions, chez Himker ?

— Eh bien, chauffeur…

— Valet de chambre ?

Il opine :

— Oui, j’aide la femme qui fait le ménage. Je tonds les pelouses aussi…

— C’est qui, cette femme ?

— Une vieille beaucoup sourde.

— Vous logez à la propriété ?

— Dans la maison de personnel, oui.

— La vieille femme également ?

— Oui. Elle s’y croit chez elle et me considère comme un intrus.

— Le secrétaire ?

— Non, lui il habite la maison principale.

— Son nom ?

— Fred Von Schuppen.

— Allemand ?

— Oui.

— Quel genre de garçon ?

Le Bulgare hausse les épaules.

— Dynamique, brillant.

— Bel homme ?

— Il me semble, mais une femme vous donnerait un meilleur avis sur la question.

— Il est l’amant de Mme Himker ?

Ça lui cristoupe les mandibules, une question pareillement abrupte.

Le voici qui passe deux doigts nerveux entre son col de limouille et sa pomme d’Adam pour se faciliter l’admission d’oxygène.

Qui renifle petit, en zig qu’un sournois courant d’air enrhume.

Qui ricoche du regard pour escamoter sa pensée à ma sagacité.

— Comment je peuve le dire ? demande-t-il enfin.

Son seul problème, à Césarin, c’est le verbe pouvoir. À part cela, il parle mieux français qu’un député-maire auvergnat.

— Vous en avez tout au moins l’impression, n’est-ce pas ? insisté-je.

Le chauffeur clandestin hausse les épaules.

— Je n’ai pas d’impression et je ne sais rien.

— Von Schuppen sort beaucoup, le soir ?

— Je suppose que cela lui arrive, oui.

— Vous ne lui servez pas de chauffeur ?

— Pas à titre privé, seulement lorsque ses déplacements concernent les affaires de Monsieur.

— Ce matin, il est parti en voyage ?

— Je l’ai conduit à Orly, en effet. Nous sommes partis de la maison à 6 heures.

— Avec la Mercédès ?

— Nous avons pris une autre voiture, il y en a trois en tout.

— Et Madame ?

Il fronce les sourcils.

— Eh bien ?

— Parlez-moi d’elle, je vous prie.

— Je n’ai rien à dire.

— Elle sort beaucoup ?

— Elle fait des courses à Paris, le tantôt, oui.

— Le soir ?

— Il lui arrive de se rendre au théâtre ou au cinéma.

— Seule ?

Surprise. Brusquement Krakzecs perd patience.

— Demandez-lui. Je ne peuve pas vous parler d’elle mieux qu’elle le ferait personnellement. Pourquoi toutes ces questions ? Rendez-moi mon passeport, peut-être que Monsieur m’attend déjà et il déteste attendre.

— Il sort peu, n’est-ce pas ?

— Presque jamais. Il est en mauvaise santé et passe sa vie enfermé dans sa chambre.

— Si bien que vous avez surtout affaire à son épouse et à son secrétaire ?

— En effet.

Il avance la main vers moi.

— Je vous en prie, rendez-moi mon passeport, monsieur.

Le grelottement du bigophone crée une diversion. Je décroche d’un mouvement rafleur.

L’organe flageolant de Pinuche s’accommode admirablement de la déficience de mon appareil. Leur chevrotement va de pair.

— Quoi, l’oiseau ? De quel oiseau parles-tu, Savate ? m’impatienté-je n’ayant saisi que ce mot dans la phrase qu’il vient de me virguler.

— … envolé…

— Écoute, Nœud-flasque, rapproche le trou de balle qui te sert de bouche de l’émetteur et articule.

— Je te disais… l’oiseau s’est envolé.

— Tu veux parler de la gonzesse ?

— … actement. Elle a laissé une lettre… tion de son mari.

— La lettre est cachetée ?

— Oui. Sur l’enveloppe, il y a écrit : « À mon mari. »

— Décachète.

— Tu crois ?

— Et lis-moi.

— Tu sais que nous n’avons aucun mandat et que…

— Pinaud, tu n’es qu’une colique trop longtemps retenue, lis-moi immédiatement cette bafouille.

Bruit de papier froissé.

Le Pinaud-occulte se décamote le gosiard. Une vraie diva s’apprêtant à te montrer son contre-ut.

— Allô, tu m’écoutes ?

— À en attraper le vertige, Banane !

Il lit :

« Léopold,

Tu vas apprendre à mon propos des choses effroyables. J’aurais tant voulu que tu ne saches jamais rien. J’ai été folle. Je ne te demande pas pardon. Seule la mort peut m’apporter l’absolution. Courage. Adieu. Dora. »

Ma pensée butine…

Je revois la magnifique créature, si altière, devant moi, ce matin. Si sûre d’elle. Pourquoi ce brusque effondrement ?

— Qu’en penses-tu ? demande le Pinaud des Charentes.

— C’est beau mais c’est triste.

— Que dois-je faire ?

— Une perquise en règle dans la chambre de la donzelle et celle du secrétaire.

— Mais…

— Sois sans crainte : tu ne prendras pas froid, je te couvre.

Je raccroche.

Ça filoche, hein ?

Béru entre dans mon bureau sans frapper.

— Salut, beau monde ! épanouit le radieux.

Il louche sur Krakzecs dont la livrée impec le déconcerte :

— Il appartient à quelle arme, ce fringant militaire ? demande-t-il.

Il est rutilant ; beau de bonheur, Bérurier. Il sent l’ail, le beaujolais, les pieds, qui sont, tu le sais, autant d’odeurs vivifiantes.

— Artillerie de luxe motorisée, réponds-je.

Le Bulgare grogne :

— Mon passeport !

Un obstiné.

— Nous verrons cela plus tard, monsieur Krakzecs, réponds-je, lorsque votre situation se sera éclaircie.

— Je me plaindrai à Monsieur.

— Non, ricané-je, c’est plutôt Monsieur qui est à plaindre, il va falloir bien s’occuper de lui et l’entourer de beaucoup de chaleur humaine, mon vieux. Vous pouvez partir, nous nous reverrons bientôt, c’est promis.

Alors il tape du pied.

— Je ne quitterai pas cette pièce sans avoir mon passeport !

Que je te dise, mon pote : ne jamais tenir de semblables propos devant Béru. Il est toujours sous pression, le Mastar. Un gros nerveux. Les pires !

Tu verrais cette tornade rouge.

Y’a un remous. Un remue-ménage. Un déménagement en accéléré. Le temps de compter jusqu’à un et demi, me voici seulâbre dans mon antre.

Plus rien.

Si : du bruit dans le couloir. En cascade.

Je peux me tromper, mais il me paraît probable que le sieur Krakzecs est en train de dévaler l’escalier de pierre sur ses fesses bulgares.

Béru réapparaît, un peu plus violet qu’à l’état normal.