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Non, ça n’est pas le Bulgare (de champêtre) la raison de ce « tilt ».

Alors, les clebs ?

Je reviens sur mes pas prestigieux. Les danois finissent de boulimiquer leur jaffe. Se pourlèchent avec une langue longue comme le grand tapis de Notre-Dame. Il reste des grains de riz dans les replis noirs de leurs vilaines babines.

Non, ce n’est pas non plus à cause d’eux que je suis devenu pensif.

Mon beau regard pénétrant erre dans leur cage.

Pour lors, un sourire me vient.

Celui du triomphe.

J’adresse un aimable « mfff mff » aux bestiaux, manière de créer entre eux et moi un courant de sympathie. Ils dardent sur mon élégante personne des yeux rouges comme des brandons.

Figure-toi que je prends soif, soudain. Soif d’alcool. Pourtant je ne suis pas un imbibé, moi. M’arrive de faire une galimafre, parfois, en joyeuse compagnie et d’y aller à la beurranche, mais ce sont des cas d’exception. La picole, c’est pas mon violon d’Ingres. Pourtant, à plusieurs reprises au cours d’une enquête, j’ai ressenti l’appel de l’alcool.

Et j’y ai répondu. Trois grands scotch empilés l’un sur l’autre m’ont, dans ces circonstances particulières, donné une sorte de sixième sens. Oh, pour une durée extrêmement limitée, je le confesse. Quelques minutes de « dépassement ». Quelques minutes pendant lesquelles je comprenais mieux la signification des banalités apparentes.

De temps à autre, prends-toi à part, mon gars. Écluse un litre de rouquin et tu connaîtras tes salopes. Elles t’apparaîtront sur écran large, l’espace d’un éclair, mais tu les sauras dans tes tréfonds et, le moment venu, lorsque leur garcerie éclatera, tu ne seras pas pris au dépourvu.

Je pénètre chez Himker. Noble demeure de style Île-de-France, riche et de bon goût. Je te décris pas : tu t’en branles et ça ferait un peu trop « Connaissance des Arts ».

Je pousse la lourde d’un immense livinge, au fond duquel un meuble espagnol admirable de patine et de proportions et bon d’époque, comme ils disent dans l’antiquerie, me paraît propre à héberger des bouteilles.

Gagné, San-A. ! Belle démonstration de ta perspicacité. Elles sont là, ces chéries, groupées comme une équipe de foot au moment où va être tiré un coup franc à proximité de la cage.

Je n’ai que le choix de l’embarras : porto, xérès, whisky, rhum blanc, vodka.

Avec une belle impudence et un sans-gêne effréné, j’emplis un grand verre d’un pur malt blond, ayant 18 years d’âge et je me tire un penalty.

But !

Le shoot était imparable.

Incomparable. Le pied, madame ! Ma calotte à touffe se soulève de dix centimètres pour permettre à mon cerveau de se dilater à son aise. Un torrent de pensées me déboule des combles. La vie me paraît aussi honnête que le prix des bésicles chez Lissac.

Satisfait de moi, ce qui n’est pas un mince compliment, je grimpe à l’appartement du pauvre père Himker.

Cela ressemble à une suite d’hôtel. C’est une sorte d’état dans l’état. Cela comporte trois pièces mieux décorées et meublées que ce que j’ai déjà vu de la maison. Une seule porte commande ces trois pièces dont je te cite : un cabinet de travail, un salon, une chambre avec salle de bains.

Himker est au salon, assis dans un fauteuil, ses cannes métalliques posées sur le tapis.

Il a les mains croisées sur le bas de son visage et garde les yeux clos. On le devine anéanti, ce type. Foudroyé par le sort. Tu crois qu’il l’aimait sa bergère ?

Lhuilier, qui se tenait assis dans le cabinet de travail, se lève en m’apercevant. Je vais droit à lui et lui chuchote mes instructions dans l’oreille gauche, dont j’espère qu’elle est sa meilleure.

Il obaise[9] de la tête, ce qui ne lui est guère facile étant donné son absence de cou, et s’éclipse.

Je reste un bon moment sans me manifester, respectant la profonde détresse du vieux type. Elle a fondu, son arrogance. Il n’est plus qu’un vieillard brisé. Le chagrin d’un homme âgé, c’est franchement épouvantable, camarade. T’as du mal à le contempler…

— Monsieur Himker, excusez-moi…

Je m’approche de lui. Il vient de rouvrir les yeux.

— Je me doute que c’est un coup terrible pour vous, poursuis-je, et je voudrais vous dire d’être courageux, si je ne craignais…

Son regard s’enflamme brusquement.

— Oui, craignez ! s’écrie-t-il. Craignez, monsieur ! Car c’est à cause de vous que tout cela est arrivé…

— J’ai peur que le chagrin ne vous égare, monsieur Himker. Ce n’est tout de même pas de ma faute si votre femme s’est laissé entraîner dans une abominable affaire !

— Sans votre louche intervention, elle n’aurait pas perdu la tête au point de mettre fin à ses jours.

Alors là, je ne puis m’empêcher de sourire. Ce que les époux sont poires, tout de même. Toujours prêts à mordre aux appas de leur bonne femme, n’importe les arnaqueries qu’ils ont endurées d’elle. Toujours parés pour la bicornanche. Bêlant à l’ombre de leurs grands bois de cerfs. Fiers du malheur qu’elles leur apportent en complément de dot, ces morues. Masos à bloc, melons à s’en tenir les côtes !

— Rassurez-vous, Mme Himker ne songe sûrement pas à se suicider.

— Qui vous permet de l’affirmer ?

— Mon sens de l’humain, monsieur Himker. Je n’ai vu votre femme qu’un instant, ce matin, mais cela suffit pour que je puisse vous rassurer sur ses intentions. Jamais une battante de cette trempe se ne supprimera.

Il hausse les épaules et grommelle :

— Imbécile !

Tu parles que s’il n’avait ni chagrin, ni cannes, ni trente carats de plus que moi, je lui ferais bouffer ce mot en tartine de phalangettes, mais quoi… Hein ?… Il est des moments où si tu fais le poing, tu dois le remiser aussitôt dans le hangar de ta poche, non ?

— Monsieur Himker, m’efforcé-je de ne pas gronder, je suis chargé d’assumer une enquête délicate et je dois vous entendre.

— Je n’ai rien à vous dire.

— Je prends note.

— Prenez et foutez le camp. Qu’on m’envoie un de vos confrères, vous, commissaire, vous me sortez par les yeux.

Tu veux parier qu’il va finir par se la décrocher, sa beigne dans le pif, ce vieux cornard ?

— Monsieur Himker, en France tout au moins, on ne choisit pas son policier comme on choisit son pédicure. Si vous refusez de répondre à mes questions, j’envoie chercher immédiatement un mandat d’amener et je vous mets en état d’arrestation.

Il me brave.

— Ah vraiment ?

— Oui, monsieur Himker, vraiment !

— Et sous quel chef d’accusation m’arrêteriez-vous ?

— Quand on a participé à des meurtres, quand on a un cadavre dans le coffre de sa voiture, quand on engage comme chauffeur un étranger en situation irrégulière, les chefs d’accusation ne manquent pas. Voulez-vous prévenir votre avocat afin que tout soit très clair dorénavant entre nous ?

Il se tait.

Lentement, sa tête de fier Sicambre se courbe.

— Inutile, murmure-t-il dans un souffle avec du poil autour.

Content, j’attrape une chaise et la coltine près de son fauteuil. Le verre de scotch bu en catastrophe me tambourine la cocarde. Un miroir du dix-septième siècle, malgré qu’il soit bouffé aux mites, m’annonce que je rougeaude un peu des pommettes.

Je dois me gaffer de pas trébucher de la syllabe. Ça la branlerait mal.

L’homme d’autorité doit conserver une parfaite facilité d’élocution, sinon il vire pelure. Depuis Jésus, le pouvoir s’acquiert par le verbe. Un locdu sachant causer a plus d’impact qu’un génie qui se tait. À preuve en politique, tous les frometons qui sévissent avec un grand courant d’air pour tout bagage, mais qui ont le don du blabla. Le tourbier de la rue écoute, crie bravo et vote pour. Comme ça que se gribouille l’histoire (car elle ne s’écrit pas, je dénie, mais se griffonne avec un doigt trempé dans le sang ou dans la merde).

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9

On ne peut toujours « opiner ».