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Ça prie. Ça promet des ex-voto (pas de « s », mot invariable comme la connerie humaine). Ça réclame : sa mère, des ambulances, des remises d’impôt, la police, du secours, police-secours, la Légion d’horreur (chic : je l’aurai jamais), un miracle lourdais, des dommages (ils y sont) et intérêts, la sortie, le droit de vivre, du plasma sanguin, de l’oxygène, la lune, Naples, un prêtre, une pelle, le téléphone, la une de France-Soir et la Marseillaise interprétée par la musique de la Garde Républicaine sous la conduite du Maître Paul Paray.

Devant moi : plus rien ! Si, qu’est-ce que je raconte : la cour de la mairie avec ses beaux platanes dorés par le soleil d’été, car le mur a fait relâche, et puis aussi, entre elle et moi, les deux jambes du maire. Le reste du magistrat (ses restes plutôt) a disparu. Il ne reste rien de ses restes. Il est parti sans demander ses restes.

Par contre, sa tourneuse de page, son page en jupon, sa derviche tourneuse, sa paire de miches tourneuse est là, elle. En chair (à pâté) et en os (à moelle). Perforée de mille parts. Drôlement morte, tiens donc.

De la table, ne subsiste qu’un peu de bois dont on fait les flûtes ; du gros registre, qu’un tas de papier racorni.

Je raconte bien, hein ? Consciencieusement. Pas feignant, l’homme de lettres ! Le Zola du pauvre, San-A. Le Balzac vermotien. La seule différence entre moi et Flaubert, c’est que je ne suis pas normand. Ça c’est du travail, non ? Je te parie une édition du Coran sur papier bible contre les œuvres posthumes de Maurice Druon que pour le prix, personne peut te donner mieux, question conscience professionnelle. J’ai des confrères, ils se demandent comment je m’en sors pour le prix de revient. Faire complet et perdurable à ce point, ça leur coupe les pieds, si bien qu’ils se retrouvent au chômage.

Bref, je reviens à ce qu’on causait : la salle des mariages. À ma droite, Zoé. Elle est couverte de sang. La mariée était en rouge ! Elle a une épaule en compote, ma chère chérie bien-aimée. Tu la devines d’une pâleur de cierge sous son hâle naturel.

Maman ! Et maman ? Félicie, ma vieille…

Verte mais intacte. Elle me visionne avec toute l’apprêté de son amour.

Me constate pareillement indemne. Virgule à mon unisson une action de grâces au Barbu qui n’est pas cotée en Bourse.

Toinet n’a rien, lui non plus.

Je vais te dire : l’engin a explosé en éventail, le plus large de l’ouverture d’icelui étant orienté du côté du défunt maire (vive le premier adjoint !). Trois photographes qui se tenaient en bout de table pour nous flasher sont morts, quelques personnes, dont ma Zoé, ont morflé à la lisière de l’explosif.

Triste bilan, comme on dit dans la presse du lundi.

— J’ai été touché, clame Béru, mon futal est fendu de la tête au pied, par derrière…

Il se penche pour montrer la fente pantalonienne antérieure à l’explosion et qu’il va se faire rembourser par l’assurance.

— Zoé, ma chérie, comment te sens-tu ?

— J’ai mal, soupire-t-elle.

Et l’effort d’avoir dit la fait s’évanouir.

Quelle noce, madoué ! On se le rappellera, le mariage à San-Antonio.

Les secours s’organisent. V’là les pompiers qui pompent, les ambulanciers qui déambulancent ; des journalistes qui journaleusent à qui mieux mieux, photographient leurs collègues morts et affûtent des épithètes. La cohue, le chorus, le chœur russe !

M’man pleure en tenant la main de Zoé. Toinet se marre comme un follingue dans les décombres. La mère Bérurier donne des ordres aux uns et aux autres. À quoi bon t’en narrer plus ? Si tu n’imagines pas la scène, grâce aux éléments ci-dessus, c’est que tu as un pot de rillettes en guise de cervelle, auquel cas tu n’as rien à foutre dans un ouvrage de cette qualité.

Un peu tendue, l’atmosphère, dans le bureau du Vieux. Le message qui me fut glissé en main est maintenant étalé sur son bureau. Pépère n’arrête pas de l’examiner. Il le lit, le relit, le relie, l’apprend par cœur, le récite, le déclame.

On dirait qu’il s’agit d’une œuvre de lui.

D’un poème épique. D’ailleurs, n’en est-ce point un ?

Un poème de mort.

Enfin il repousse le feuillet et soupire :

— Effarant !

J’approuve.

Stimulé, il trouve immédiatement la surenchère :

— C’est carrément dément, un acte pareil.

— Je n’osais le dire, monsieur le directeur.

— Comment va votre fiancée ?

— C’est grave, mais ses jours ne sont pas en danger.

Je l’ai eue, mon opération de l’appendicite, tu vois, gros Malin ? Si je t’avouais que je ressens du remords, un peu comme si les événements avaient obéi à ma volonté subconsciente… Je suis toujours célibataire. J’ai un sursis. La vie qui en est un autre n’est faite que de sursis placés bout tabou.

— Parlons net, San-Antonio, cet attentat ne tient pas debout !

Je lui riposterais bien que, vu l’état de la salle des mariages il aurait du mal, mais l’heure n’est point à la galéjade.

Il a intérêt à se verrouiller le museau, le beau commissaire, car enfin, c’est son étourderie qui est responsable de la catastrophe. Se laisser baisouiller de la sorte par une question du second degré. « Vous avez bien dit non ? Réponse : « Oui ! » Quel œuf ! Ce serait encore un technicien façon Bellemare qui m’aurait piégé, j’aurais des circonstances atténuantes. Mais ce brave homme de maire, classique, et moins rotor qu’un hélicoptère, ne paraissait pas semeur d’embûches (de Noël).

— En effet, Patron, cet attentat ne tient pas debout.

— À votre avis, il était dirigé contre vous ou contre votre fiancée ?

Cette question, tu penses que je n’ai pas attendu le Décapé de la Coupole pour me la poser.

Mon silence, mieux que des mots, exprime mon incertitude. Plus complètement, plus éloquemment.

Le Vioque le tient pour acquis et continue :

— Car enfin, si l’on voulait s’opposer à votre mariage, il y avait des méthodes plus simples. Puisque ces gens (je les appelle « ces gens » faute de mieux, mais peut-être s’agit-il d’une seule personne), puisque ces gens étaient décidés d’aller jusqu’au carnage, ils se seraient épargné bien des peines en abattant votre charmante fiancée, par exemple. Rendez-vous compte qu’il leur a fallu opérer un travail délicat à la mairie pour fixer la bombe à la table. Et quelle bombe ! Un objet délicat, fonctionnant à modulation sonore. Seul, le mot oui prononcé par vous pouvait la faire exploser…

Il se tait.

— Dites donc, mon petit, il a fallu qu’on vous enregistre ce oui pour régler le détonateur ?

Premier point intéressant.

Je sursaute.

— L’enregistrement a eu lieu la semaine passée, monsieur le directeur.

Big Chief joint ses sourcils, ce qui est sa façon de se coiffer bas.

— Je vous écoute.

— Vendredi dernier, assez tard dans la soirée, j’ai été appelé téléphoniquement chez moi par un anonyme qui s’est ingénié à me faire prononcer un maximum de « oui ». Vous savez, le côté : « Vous êtes bien tel numéro ?… Monsieur le commissaire Untel ?… Vous habitez bien à telle adresse ?… etc. J’ai dû proférer une bonne douzaine de « oui ». Et au moment où, impatienté, je commençais à prendre le mors aux dents, mon correspondant a raccroché. J’ai cru à quelque mauvais plaisant prenant plaisir à se moquer d’un flic.

Le Dabuche semble satisfait.

— Ne cherchons pas plus loin, déclare l’éminent personnage. On vous a butiné des « oui » pour exécuter une synthèse sonore destinée au réglage du détonateur acoustico-décibélien. Content d’avoir eu l’occasion de placer dans une conversation un paragraphe de « Sciences et Techniques », le Boss (fort)[1] consent à torver un sourire.

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Comme un Turc.