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Louis sourit. Il attrapa de la main droite une cigarette et l’alluma. Chercher quelqu’un de nouveau à aimer. Chercher quelqu’un, chercher quelqu’un, toujours la même histoire… Bon, ça allait comme ça, le monde était à feu et à sang, il y penserait plus tard, il entrait en période glaciaire.

Il se gara sur un parking, et ferma les yeux. Dix minutes de repos. En tout cas, il était reconnaissant à toutes ces femmes qui étaient passées dans sa vie, aimées ou pas, d’être passées. Finalement, il aimait toutes les femmes, parce que seul dans sa voiture on a le droit de généraliser, toutes et surtout les trois et demie. Finalement, il éprouvait pour elles une gratitude indistincte, il admirait leur capacité à aimer les hommes, un truc qui lui semblait sacrément difficile, et pire quand on est moche comme lui. Avec ses traits durs et décourageants sur lesquels il s’attardait le moins possible le matin, il aurait dû être seul toute sa vie. Et en fait, non. Ça, ça ne s’invente pas, il n’y a que les femmes pour arriver à trouver beau un type moche. Franchement, oui, il avait de la gratitude. Il lui semblait que Marc n’était pas vraiment le gars au point avec les femmes non plus. Un fébrile, le rejeton de Vandoosler. Il aurait pu l’emmener ici, il y avait pensé, ils auraient cherché des femmes ensemble au bout du Finistère. Mais il avait parfaitement repéré comment Marc s’était crispé à sa table quand il avait parlé du voyage. Pour lui, cette histoire d’os n’avait ni queue ni tête, ce en quoi il se trompait parce qu’on en avait le bout et qu’on cherchait précisément la tête. Mais Marc ne voyait pas cela encore, ou bien il avait peur de dérailler, ou bien l’idée de faire n’importe quoi déplaisait à Marc Vandoosler à moins qu’il n’en ait eu le projet le premier. C’est pourquoi il s’était abstenu de lui demander. Et puis Vandoosler le Jeune était aussi bien à Paris, car pour le moment, cette affaire ne réclamait pas d’homme qui court. Il avait jugé mieux de lui foutre la paix, Marc était à la fois froissable et solide, comme le lin. Si on partait dans les tissus, il était en quoi, lui ? Il faudrait demander à Marthe.

Louis s’endormit, la tête sur le volant, sur une aire de parking.

Il entra dans Port-Nicolas à sept heures du soir. Il roula à vitesse lente dans les rues du port, pour se faire une idée. Demander à droite et à gauche, le bourg n’était pas très grand, pas très beau, et il se gara tout près de la maison de Lionel Sevran. Il en faisait des kilomètres, le chien, pour aller pisser. Il ne voulait peut-être pisser qu’à Paris, un chien snob peut-être.

Il sonna, attendit devant la porte close. Un ami lui avait dit que la grande différence à méditer entre l’homme et l’animal, c’était que l’animal ouvrait les portes mais que jamais il ne les refermait derrière lui, jamais, alors que l’homme, si. Un fossé comportemental. Louis souriait en attendant.

C’est une femme qui ouvrit. Instinctivement, Louis l’examina avec précision, estima, jugea, envisagea si oui ou si non ou si peut-être, comme ça, en idée. Il procédait ainsi avec toutes les femmes, sans même s’en rendre compte. Il trouvait cette manière de faire détestable, mais l’analyseur se mettait en marche malgré lui. À sa décharge, Louis pouvait affirmer qu’il examinait toujours le visage avant le corps.

Le visage était bien, mais très fermé, les lèvres un peu grandes, le corps agréable, sans excès. Elle répondait machinalement aux questions de Louis, ne faisait aucun embarras pour le laisser entrer, et aucun effort dans l’hospitalité. L’habitude des visites, peut-être. S’il voulait attendre son mari, oui, c’était possible, il n’avait qu’à se mettre là, dans la grande pièce cuisine, mais ça pouvait durer un petit moment.

Elle faisait un puzzle sur un grand plateau et elle se remit au travail après avoir installé Louis sur une chaise, et posé devant lui un verre et des apéritifs.

Louis se servit à boire et la regarda faire le puzzle. Il voyait le puzzle à l’envers, ça semblait figurer la Tour de Londres, la nuit. Elle s’attaquait au ciel. Il lui donnait une quarantaine d’années.

— Il n’est pas encore rentré ? demanda-t-il.

— Si, mais il est à la cave avec une nouvelle. Ça peut durer une demi-heure ou plus, on ne peut pas le déranger.

— Ah.

— Vous n’êtes pas tombé un bon jour, dit-elle en soupirant, les yeux collés sur le jeu. Tout nouveau tout beau, c’est toujours la même chose. Et puis, il s’en lasse et il faut qu’il en cherche une autre.

— Bien, bien, dit Louis.

— Mais celle-là, elle peut le retenir une heure. Ça faisait longtemps qu’il en cherchait une de ce genre-là et il semble qu’il ait décroché le bon numéro. Ne soyez pas jaloux, surtout.

— Pas du tout.

— C’est bien, vous avez bon caractère.

Louis se resservit un verre. C’est plutôt elle qui avait bon caractère. Assez fermée, mais on pouvait comprendre pourquoi. Il eut l’idée de l’aider, de lui tenir compagnie en attendant que son mari en ait terminé. Franchement, ça le dépassait. En attendant, il avait repéré un petit morceau de puzzle qui lui semblait être la bonne pièce pour poursuivre le ciel vers la gauche. Il s’aventura et désigna la pièce du doigt. Elle acquiesça et sourit, c’était la bonne.

— Vous pouvez m’aider, si ça vous tente. Les ciels, c’est un sale moment dans les puzzles, mais c’est nécessaire.

Louis déplaça sa chaise et se mit au travail au coude à coude. Il n’avait rien contre un puzzle de temps à autre, sans abuser.

— Il faudrait séparer les bleus nuit des bleus moyens, dit-il. Mais pourquoi la cave ?

— C’est moi qui l’ai exigé. La cave ou rien. Je ne veux pas de pagaille dans la maison, il y a des limites. J’ai posé mes conditions, parce que si on l’écoutait, il les installerait n’importe où. Après tout, c’est ma maison aussi.

— Bien sûr. Ça arrive souvent ?

— Assez. Ça dépend des périodes.

— Où les prend-il ?

— Tenez, ce morceau-là, il irait plutôt de votre côté. Où il les prend ? Ah… Ça vous intéresse, bien sûr… Il les prend là où il les trouve, il a ses circuits. Il cherche un peu partout, et quand il les embarque, croyez-moi, elles n’ont pas fière allure. Personne n’en voudrait, mais lui, il a l’œil. C’est ça, le truc, et je n’ai pas le droit de vous en dire plus. Et après la cave, de vraies princesses. Moi, à côté, on dirait que je n’existe pas.