Выбрать главу

— Ce n’est pas très marrant, dit Louis.

— Question d’habitude. Ce bout-là, il n’irait pas là par hasard ?

— Si. Et ça raccroche avec tout ce bout-là. Vous n’êtes pas jalouse ?

— Au début, oui. Mais vous devez connaître ça, c’est pire qu’une manie, une véritable obsession. Quand j’ai compris qu’il ne pourrait pas s’en passer, j’ai décidé de faire avec. J’ai même essayé de comprendre, mais honnêtement, je ne vois pas ce qu’il leur trouve, toutes pareilles, grosses avec ça, lourdes comme des vaches… Si ça lui plaît… Il dit que je ne comprends rien à la beauté… C’est possible.

Elle haussa les épaules. Louis voulait abandonner le sujet, cette femme le mettait mal à l’aise. Elle semblait avoir perdu toute chaleur à force de vivre au-delà des barres de la révolte et de la lassitude. Ils continuèrent à jouer avec le ciel de Londres.

— Ça avance, dit-il.

— Tenez, le voilà qui remonte.

— Ce morceau-là ?

— Non, c’est Lionel, il remonte. C’est fini pour ce soir.

Lionel Sevran entra, l’expression satisfaite, en se frottant les mains sur une serviette de toilette. On se présenta. Mathias avait dit juste, le type avait bonne allure, et même, en cet instant, un visage d’adolescent ravi par la nouveauté.

Sa femme se leva, déplaça le plateau du puzzle. Louis eut l’impression qu’elle n’était plus aussi détachée. Quelque chose se tendait, quand même. Elle observait son mari en train de se servir à boire. La présence de Louis dans sa cuisine n’avait pas l’air de le surprendre, pas plus que sa femme une heure avant.

— Je t’ai déjà dit de laisser les serviettes en bas, dit-elle. Ça me déplaît dans la cuisine.

— Excuse-moi, ma chérie. Je tâcherai d’y penser.

— Tu ne la remontes pas ?

Sevran fronça les sourcils.

— Pas encore, elle n’est pas prête. Mais elle te plaira, j’en suis sûr, très douce, de jolies courbes, un bon toucher, ferme, docile. Je l’ai bouclée pour la nuit, c’est plus prudent.

— C’est humide en bas en ce moment, dit sa femme à mi-voix.

— Je lui ai mis une bonne couverture, ne te fais pas de souci.

Il rit, se frotta les mains, les passa plusieurs fois dans ses cheveux, comme un type qui se réveille, et se tourna vers Louis. Oui, il avait une bonne tête, un visage clair, ouvert, franc, une assise décontractée sur sa chaise, une belle main autour de son verre, tout le contraire de sa femme, on ne l’aurait pas cru capable du coup de la cave. Et pourtant, le menton assez rentrant, et dans les lèvres, peut-être, quelque chose de mince, d’économe, de déterminé, et rien de sensuel en tous les cas. Le type lui plaisait, lèvres exceptées, mais son affaire de cave, pas du tout. Et l’abandon morne de sa femme ne lui plaisait pas non plus.

— Alors ? demanda Lionel Sevran. Vous avez quelque chose pour moi ?

— Quelque chose ? Non, c’est à propos de votre chien.

Sevran fronça les sourcils.

— Ah bon ? Vous n’êtes pas là pour affaire ?

— Affaire ? Pas du tout.

Sevran et sa femme eurent l’air aussi surpris l’un que l’autre. Ils avaient cru à un homme d’affaires, un démarcheur. C’était pour ça qu’on l’avait laissé s’installer librement.

— Mon chien ? reprit Sevran.

— Vous avez bien un chien ? Moyen, poil ras, beige… Je l’ai vu entrer ici tout à l’heure. Alors, je me suis permis de passer.

— C’est exact… Qu’est-ce qui se passe ? Il a encore déconné ? Lina, le chien a déconné ? Il est où, au fait ?

— À la cuisine, bouclé.

Donc, il l’appelait Lina. Très brune, la peau mate, les yeux noirs, elle venait peut-être du Sud.

— S’il a déconné, reprit Lionel Sevran, je paierai. Je le surveille, ce clébard, mais c’est un fugueur terrible. Une seconde d’inattention, une porte entrouverte, et il se fait la malle. Un jour, je le retrouverai sous une bagnole.

— Ce ne sera pas un mal, dit Lina.

— Je t’en prie, Lina, ne sois pas cruelle. Voyez-vous, reprit Sevran en se tournant vers Louis, le chien ne peut pas encaisser ma femme et vice versa, ça ne se commande pas. À part ça, pas méchant, sauf si on l’emmerde, bien sûr.

Quand les gens ont un chien, pensa Louis, il arrive qu’ils disent des conneries. Et si leur chien mord un type, c’est la faute du type, toujours. Tandis qu’avec un crapaud, on n’a rien à dire, c’est l’avantage.

— Faut voir ce qu’il ramène, dit Lina. Il bouffe tout.

— Donc, c’est un fugueur ? dit Louis.

— Oui, mais à vous, il a fait quoi ?

— Il ne m’a rien fait, j’en cherche un du même genre. Je l’ai vu et je suis venu me renseigner, parce que ce n’est pas si courant. C’est bien un pit-bull ?

— Oui, dit Sevran, comme on avoue une sale habitude.

— C’est pour une vieille amie. Elle veut un pit-bull pour se protéger, c’est son idée. Mais je me méfie des pit-bulls, je ne tiens pas à ce qu’il la mange dans son lit. C’est comment ?

Lionel Sevran parla longuement du chien, ce dont Louis n’avait réellement rien à foutre. Ce qui l’intéressait, c’était d’avoir appris que ce clebs se tirait tout le temps et qu’il ramassait n’importe quoi. Sevran en était à se débattre dans la vieille affaire de l’inné et de l’acquis, et parvenait à la conclusion : une solide éducation pouvait faire d’un pit-bull un agneau. Sauf quand on l’emmerdait bien sûr, mais ça, c’est tous les chiens, pas que les pit-bulls.

— Il n’empêche que l’autre jour, il a attaqué Pierre, dit Lina. Et Pierre assure qu’il ne l’avait pas emmerdé.

— Forcément, oui. Pierre l’a forcément emmerdé.

— Il l’a mordu fort ? Où ça ?

— Au mollet, mais pas profond.

— Il mord beaucoup ?

— Mais non. Il montre les dents, surtout. C’est rare qu’il attaque. Sauf si on l’emmerde, bien sûr. Pierre mis à part, ça faisait un an qu’il n’avait mordu personne. En revanche, c’est vrai que quand il s’échappe, il fait du dégât. Il renverse les poubelles, il bouffe les pneus des bicyclettes, il dépèce les matelas… C’est vrai que pour ça, il est fort. Mais ça n’a rien à voir avec la race.

— C’est bien ce que je dis, reprit Lina. Il nous a déjà coûté cher en dédommagements. Et quand il ne démolit rien, il file sur la grève, il se roule dans tout ce qu’il peut trouver, de préférence du goémon pourri, des oiseaux pourris, des poissons pourris, une vraie puanteur quand il rentre.

— Écoute, ma chérie, tous les chiens font ça, et ce n’est pas toi qui le laves. Attendez, je vais vous le chercher.

— Et il part loin ? demanda Louis.

— Pas très. Lionel le retrouve toujours dans le coin, sur la grève, ou au bout du village, ou sur la décharge publique…

Elle se pencha vers Louis pour murmurer.

— Moi, il me fait peur, au point que j’ai demandé à Lionel de l’emmener avec lui quand il va à Paris. Pour votre amie, trouvez-lui autre chose qu’un pit-bull, c’est mon conseil. Ce n’est pas du bon chien, c’est une création infernale.

Lionel Sevran entra avec le chien, en le tenant ferme par le collier. Louis vit Lina se contracter sur sa chaise, ramener ses pieds sur le barreau. Entre les affaires de la cave et les affaires du chien, cette femme ne menait pas une existence très détendue.

— Va, Ringo, va, mon chien. Le monsieur veut te voir.

Il lui parlait aussi bêtement que lui-même parlait à son crapaud. Louis fut content d’avoir laissé Bufo dans la bagnole, ce clebs l’aurait avalé aussi sec. On avait l’impression qu’il avait trop de dents, que ses crocs lui gonflaient les babines, prêts à sortir de sa gueule déformée.