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— Tu es hystérique, ce matin, dit Marthe en haussant les épaules.

— Ah, tu reconnais toi-même que quelque chose cloche.

— Tu bavardes trop pour un homme, ça fait tort à ton image. Écoute mon conseil parce que moi, je m’y connais en hommes.

— Eh bien, je m’en fous de mon image.

— Tu t’en fous parce que tu ne sais pas y faire.

— Peut-être. Et qu’est-ce que ça change ?

— Je t’expliquerai un jour comment ne pas te mettre en charpie dans le bavardage. Tu abuses. Tiens, la prochaine fois que tu voudras te choisir une femme, montre-la-moi d’abord, parce que je m’y connais en femmes. Je te dirai si elle est bonne pour toi, comme ça, si tu abuses ou si tu t’emballes, ça sera pas perdu.

Curieusement, cette idée ne déplut pas à Marc.

— Comment faudrait-il qu’elle soit ?

— Il n’y a pas de règles, ne rêve pas. On en parlera quand tu m’en apporteras une. À part ça, je ne vois pas pourquoi tu t’énerves comme ça, ce matin. Ça fait un quart d’heure que tu racontes ta vie, personne ne sait pourquoi.

— Je te l’ai dit. Je n’ai pas l’intention de partir avec Louis.

— Tu ne trouves pas que le boulot vaut le coup ?

— Mais si, Marthe, bon Dieu ! Et puis ce boulot, je l’ai déjà fait une fois.

— Ludwig a dit que tu t’en étais bien tiré.

— Je n’étais pas seul. Et puis ce n’est pas la question. Je suis cerné d’ex-flics pourris ou de faux juges et je ne veux pas qu’on me tire par un anneau dans le nez, j’ai fait ça toute la semaine, c’est assez.

— Décidément, quand tu ne pense qu’à toi, tu ne comprends rien aux autres.

— Je sais. C’est un problème.

— Montre voir ton nez ?

Sans réfléchir, Marc tendit son visage vers Marthe.

— Il n’y a pas la place pour un anneau là-dedans, c’est trop mince. Crois-moi, je m’y connais en hommes. Et puis, t’avoir tout le temps dans les jambes, ça ne doit pas être un cadeau.

— Ah, tu vois.

— Et personne ne te demande d’accompagner Ludwig.

— Tout comme. Il m’appâte avec une merde de chien, assez efficace, subtil, et puis il me tire jusqu’en Bretagne parce qu’il sait que je ne peux pas abandonner un truc commencé. C’est comme une bouteille de bière, tu l’ouvres, t’es foutu, faut que tu la termines.

— C’est pas de la bière, c’est un crime.

— Je me comprends.

— Ludwig est parti hier. Et parti sans toi, Vandoosler le Jeune. Il t’a laissé à tes études, très respectueusement.

Marthe le regardait en souriant et Marc resta muet. Il avait chaud, il avait trop parlé. Au premier janvier, il prendrait des résolutions. Il demanda calmement si ce n’était pas l’heure du café, par hasard ?

Ils se firent leur petit café routinier sans un mot. Ensuite, Marthe demanda de l’aide pour son mots croisés. Exceptionnellement, parce qu’il se sentait en léger état de faiblesse, Marc accepta de déroger au travail. Ils s’installèrent tous les deux sur le lit replié en canapé, Marc se cala un coussin dans le dos et en fourra un derrière le dos de Marthe, se leva pour chercher une gomme, on ne peut pas faire un mots croisés sans gomme, renouvela la manœuvre des coussins, ôta ses bottes et réfléchit à la définition du 6 horizontal en dix lettres : « forme d’art ».

— Il y a le choix, dit Marc.

— Ne commente pas, cherche.

14

Avant d’aborder la mairie, Louis prit un petit déjeuner au Café de la Halle qui lui faisait face, de l’autre côté de la place. Il attendait que sa veste sèche un peu. Au premier coup d’œil, Louis avait jugé le café à son goût, pas touché depuis quarante années. Il contenait un flipper d’origine et un billard avec une pancarte en carton crasseux : « Attention, le tapis est neuf ». Toucher une boule pour atteindre l’autre, un système dont la subtilité lui avait toujours plu. Calculer les bandes, les angles, le retour, viser vers la gauche pour atteindre la droite. Très malin. La salle de jeux était vaste et obscure. On ne devait allumer que si on venait jouer, et ce lundi matin, vers onze heures trente, c’était trop tôt. Les petits joueurs du baby-foot avaient les pieds rognés par l’usage. Bon, les pieds, ça recommençait. Il fallait qu’il s’occupe de ce doigt de pied, et non pas qu’il se laisse aller tout de suite à une partie de catéchisme sur ce flipper qui lui tendait les bras.

— On peut voir le maire aujourd’hui ? demanda Louis à la vieille dame en gris et noir qui tenait le comptoir.

La vieille femme réfléchit, posa doucement ses mains fines sur le comptoir.

— S’il est à la mairie, il n’y a pas de raison. Mais dame, s’il n’y est pas…

— Oui, dit Louis.

— Sinon, il vient pour son apéritif vers midi et demi. S’il est sur un chantier, il ne vient pas. Mais s’il n’y est pas, il vient.

Louis remercia, paya, ramassa sa veste encore détrempée et traversa la place. Une fois dans la petite mairie, on lui demanda s’il avait rendez-vous, parce que monsieur le Maire travaillait dans son bureau.

— Pouvez-vous l’informer que je suis de passage et que je souhaite le voir ? Kehlweiler, Louis Kehlweiler.

Louis ne s’était jamais fait faire de cartes de visite, ça le dérangeait.

Le jeune homme téléphona, puis il lui fit signe qu’il pouvait y aller, premier étage, la porte au fond. De toute façon, il n’y avait qu’un étage.

Louis n’avait aucun souvenir du sénateur-maire, hormis son nom et son étiquette divers. Le type qui le reçut était assez épais, un peu mou, de ces visages sur lesquels il faut se concentrer fort pour se les rappeler, mais très élastique. Il marchait en bondissant légèrement, il se retournait tous les doigts de la main avec l’autre, sans rien faire craquer, avec une souplesse dérangeante. Comme Louis observait ce mouvement, le maire mit la main dans sa poche et le pria de s’asseoir.

— Louis Kehlweiler ? Que me vaut l’honneur ?

Michel Chevalier souriait, mais pas tant que ça. Louis était habitué. La visite impromptue d’un émissaire officieux de l’Intérieur ne mettait jamais à l’aise les élus, quels qu’ils fussent. Apparemment, Chevalier n’était pas au courant de son éjection, ou bien cette éjection ne suffisait pas à le rassurer.

— Rien qui puisse vous donner des soucis.

— Je veux bien vous croire. On ne cacherait pas une épingle dans Port-Nicolas. C’est trop petit.

Le maire soupira. Il devait tourner en rond dans cette mairie. Rien à cacher et pas grand-chose à bricoler.

— Alors ? reprit le maire.

— Port-Nicolas est sans doute petit mais il essaime. Je suis venu vous rapporter quelque chose qui pourrait lui appartenir, quelque chose que j’ai trouvé à Paris.