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— Trions.

Darnas leva la tête et observa le visage de Louis.

— Vous m’examinez ? Quelque chose qui ne va pas ?

— Je me fais une idée, j’évalue le risque.

Darnas plissa ses petits yeux et considéra Louis sans bouger. Finalement, il hocha la tête et dérangea du pied les aiguille de pin qui tapissaient le sol.

— Alors ? demanda Louis.

— Le danger n’est pas à négliger. Il faut que je réfléchisse.

— Moi aussi.

— Alors à bientôt, Kehlweiler, dit Darnas en lui tendant la main. Soyez sûr que je vous suivrai pas à pas, pour l’enquête comme pour Pauline. Si je peux vous aider pour la première et vous desservir pour la seconde, ce sera avec grand plaisir. Vous pouvez compter sur moi.

— Merci. Vous n’avez aucune idée de ce que Marie aurait pu trouver dans les poubelles ?

— Hélas, non. Je l’ai vue faire, c’est tout. Le maire doit être le seul informé, ou Lina Sevran, peut-être, Marie l’a élevée comme sa gosse. Mais avant d’obtenir des renseignements de l’un ou l’autre, il vous faudra passer beaucoup d’heures au Café de la Halle.

— Lina Sevran vient au café ?

— Tout le monde vient au café. Lina y est souvent, pour voir son mari au billard, pour voir les amis. C’est le seul endroit où ça bavarde, l’hiver.

— Merci, répéta Louis.

Il s’éloigna vers la sortie du parc en tirant sa jambe droite, et il sentait dans son dos Darnas qui l’observait, qui devait juger si oui ou non le boiteux avait une chance. C’était en tout cas la question que Louis se posait sur lui-même. Il n’aurait pas dû revoir Pauline, c’était évident. Elle n’avait pas changé, sinon de lieu et de nom, et maintenant, un léger chagrin lui embarrassait la tête. Et elle l’avait fui, en plus. Ce qui était normal, à considérer qu’il s’était comporté comme un mufle. Le plus embêtant avec tout cela, c’est que Darnas lui plaisait aussi. Si c’était lui qui avait tué Marie, ça pourrait arranger les choses, évidemment. Darnas avait été bien empressé à lui fournir des pistes, intéressantes d’ailleurs. Une petite pluie se mit à tomber, ce qui fit plaisir à Bufo. Louis ne hâta pas le pas, il ne le faisait presque jamais, et respira l’odeur des pins qui sortait avec l’humidité. L’odeur des pins, c’était très bien, il n’allait pas penser à cette femme toute la journée. Il voulait une bière.

18

Le centre de thalassothérapie était assez loin du Café de la Halle et Louis marchait lentement sur une petite route vide, sous une pluie froide qui commençait à détremper l’herbe des bas-côtés. Son genou lui faisait mal. Il avisa une borne en pierre et s’y posa avec Bufo pour quelques instants. Pour une fois, il essayait de ne pas réfléchir. Il passa sa main sur son front pour en essuyer l’eau et il vit Pauline devant lui. Le visage n’était pas conciliant. Il voulut se remettre debout.

— Reste assis, Ludwig, dit Pauline. Puisque c’est toi qui as fait le con, c’est toi qui restes assis.

— Bien. Mais je n’ai pas envie de parler.

— Non ? Alors qu’est-ce que tu es venu foutre chez moi, ce matin ? Entrer comme ça, parler comme tu l’as fait ? Pour qui te prends-tu, nom de Dieu ?

Louis regardait l’herbe se mouiller. Autant laisser parler Pauline quand elle était en colère, c’était le meilleur moyen pour que ça se tasse. Et de toute façon, elle avait entièrement raison. Et Pauline parla pendant cinq longues minutes, et elle l’engueula avec l’énergie qu’elle savait mettre dans un quatre cents mètres. Mais au bout des quatre cents mètres, il faut bien s’arrêter.

— Tu as tout dit ? demanda Louis en levant le visage. Bon, c’est bien, je suis d’accord, tu as raison en tous points, inutile que tu poursuives. Je voulais te rendre visite, ce n’était pas grave et ce n’était pas indispensable de me faire mettre à la porte. Te rendre visite, rien de plus. Maintenant c’est fait, c’est bien, ce n’est pas la peine de crier des heures, je n’ai plus l’intention de te déranger, parole d’Allemand. Et Darnas n’est pas si mal que ça. Pas mal du tout même, et plus que ça encore.

Louis se remit debout. Son genou détestait la pluie.

— Tu as mal ? demanda sèchement Pauline.

— C’est la pluie.

— Tu n’as pas pu faire arranger cette jambe ?

— Non, pas de regrets, c’est resté tel qu’après ton départ.

— Pauvre con !

Et elle partit. Franchement, se dit Louis, ce n’était pas utile qu’elle se soit donné la peine de le rattraper. Enfin si, elle l’avait engueulé, elle avait eu raison. Il voulait une bière.

De loin, Marc arrivait à vélo.

— J’ai loué ça pour la journée, dit-il en freinant près de Louis. J’aime ça. Tu as fini avec la femme ?

— Complètement fini, dit Louis. Nos rapports sont tendus et inexistants. Le mari est très intéressant, je vais te raconter ça.

— Tu vas où ?

— Boire une bière. Voir au café où en sont les flics.

— Monte, dit Marc en lui désignant le porte-bagages.

Louis réfléchit une demi-seconde. Avant, il pouvait faire du vélo, il ne s’était jamais fait transporter. Mais Marc, qui était déjà en train de retourner la bécane pour la remettre dans la bonne direction, ne mettait visiblement aucune intention blessante dans sa proposition. Il voulait aider, un point c’est tout. Marc n’était pas comme lui, il n’était jamais blessant.

Il freina cinq minutes plus tard devant le Café de la Halle. En route, il avait eu le temps en criant dans le vent et la pluie de raconter à Louis qu’après avoir abandonné provisoirement le seigneur de Puisaye, il avait été louer un vélo pour faire un tour du pays et qu’il avait trouvé là, en face du camping, en face de la grande surface commerciale, un truc hallucinant. Une espèce de machine de quatre mètres de hauteur, une immense et magnifique masse de ferraille et de cuivre, organisée dans ses plus petits détails, bourrée de leviers, d’engrenages, de disques, de pistons, et le tout ne servant strictement à rien. Et comme il restait hébété devant ce machin hors du commun, un type du coin était passé et il lui avait montré comment ça marchait. Il avait donné un coup de manivelle en bas, et l’énorme machine s’était mise à bouger, pas un piston qui ne bougeait pas, ça avait grimpé en tous sens en haut de ces quatre mètres d’articulations, redévalé par les flancs, et tout cela pour quoi ? Je te le donne en mille, avait gueulé Marc la tête tournée vers le porte-bagages, tout cela pour qu’au bout, un levier s’abatte sur un rouleau de papier et imprime : C’est très possible. Souvenir de Port-Nicolas. Et le type a dit qu’on pouvait prendre le papier, que c’était pour moi, gratuit, qu’il y en avait cent un modèles différents. Après ça, Marc avait fait tourner plein de fois la manivelle, fait trembler l’immense machine à rien et recueilli plein de petites maximes et souvenirs de Port-Nicolas. Il avait eu, dans le désordre, Vous brûlez. Souvenir de Port-Nicolas, puis Point trop n’en faut. Souvenir de Port-Nicolas, puis Pourquoi non ? Souvenir de Port-Nicolas, puis Idée ingénieuse, puis Pourquoi tant de haine ? puis Non, c’est froid et d’autres dont il ne se souvenait pas. Une machine unique. Pour son dernier coup de manivelle, Marc avait saisi le principe, il fallait se poser une question dans sa tête et actionner l’oracle. Il avait hésité entre : « Aurai-je terminé à temps l’étude des comptes du seigneur de Puisaye ? », qu’il avait trouvée mesquine, et — « Une femme m’aimera-t-elle ? », mais il avait préféré ne pas savoir la réponse si c’était non, et avait opté pour une question simple et qui n’engage à rien telle que : « Dieu existe-t-il ? »