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— On peut toujours lui proposer.

— Marc, moins on comprend ce dossier, mieux on se trouve, dis-le-lui.

— Bien. Les consignes pour le trouver ?

Louis tira Marc dans un coin de la pièce. Marc enregistrait en hochant la tête.

— Va, dit Louis. Si Mathias peut et dès qu’il peut, et merci à lui. Et préviens Marthe de sa visite. Va, grouille.

Marc n’essaya pas de comprendre. Trop d’hermétisme, inutile de se cabrer, mieux valait attendre que ça se dissolve tout seul. Il chercha une cabine téléphonique isolée et appela le café de la rue Chasle à Paris, qui servait de point de communication. Il attendit cinq minutes et c’est son oncle qu’il eut en ligne.

— C’est Mathias que je veux, dit Marc. Qu’est-ce que tu fous au téléphone ?

— Je me renseigne. Raconte.

Marc soupira et lui exposa brièvement la chose.

— Un dossier M, dis-tu ? Dans le bunker ? Quel rapport ?

— Un rapport avec l’assassin, que veux-tu que ce soit ? Je crois que Louis a mis le doigt sur un truc, il a la gueule décapée.

— Je vais te chercher Saint Matthieu, dit Vandoosler le Vieux, mais si tu le peux, ne vous foutez pas trop là-dedans.

— J’y suis déjà.

— Laisse Kehlweiler courir ses lièvres, laisse-le courir seul.

— Impossible, dit Marc, je sers de jambe droite. Et on n’a qu’un lièvre, à ce qu’il semble.

Vandoosler marmonna et quitta le téléphone. Dix minutes après, Marc avait Mathias en ligne. Comme le chasseur-cueilleur comprenait vite et parlait peu, Marc en avait terminé trois minutes plus tard.

21

Donc, il y a un minable qui a mis le nez dedans. À cause de ce con de chien. Et à présent, les flics sont là. C’est sans importance, je m’en fiche, tout était prévu en cas d’embrouille. Pas si bête. Le petit rechigné, Guerrec, ira où on lui dira. Il a l’air de l’homme qui n’en fait qu’à sa tête. Il est comme tout le monde, il en a seulement l’air. Avec une petite poussée, il ira où on voudra, comme une fourmi. Le rechigné ne fera pas exception. On raconte beaucoup de niaiseries sur l’intelligence de la fourmi. Mais ce n’est qu’une esclave abrutie, rien d’autre. Il suffit de poser le doigt devant sa route pour qu’elle tourne. Ainsi de suite jusqu’à ce que la lumière change. Le résultat est infaillible. Elle ne sait plus où est la maison, elle est perdue, elle meurt. Je l’ai fait des tas de fois. Guerrec, pareil. Il n’y aura qu’à lui poser le doigt devant. Ce n’est pas à la portée du premier venu. Un assassin ordinaire, qui se tasse à l’arrivée du premier flic, qui n’a jamais songé à l’histoire de la fourmi et du soleil, se ferait épingler dans les deux jours.

Pas si bête. Et l’homme qui s’est ramené de Paris avec sa merde de chien va connaître sa douleur s’il ne décramponne pas. Il ne va pas décramponner. Il veut être partout, tout voir tout savoir tout pouvoir. Pour qui se prend-il, ce minable ? Moins minable que les autres, prendre garde. N’importe, je connais la catégorie. L’humaniste galonné, il n’y a pas plus borné. S’il veut mettre le feu partout pour dératiser, il va prendre un coup d’extincteur. Ce sera rapide et précis. Il partira dans le décor sans avoir le temps de voir venir. Je tiens le fil. Quand on se sera occupé de la petite andouille, je me farcirai le poète. Ce sera grand. Au fond, si je n’avais pas fait autre chose, j’aurais fait assassin. Je le suis déjà, je me comprends, mais j’aurais fait assassin de métier. J’ai le génie de la chose. Et tuer décontracte l’intérieur. Prendre garde, ne rien donner à voir. Faire ce qu’il y a à faire. De temps à autre, prendre l’air pensif, s’intéresser. Veiller à tout laisser tomber mollement, les yeux, les joues, les mains.

22

Pendant que Marc hésitait entre aller chercher le seigneur de Puisaye sur la table de nuit et donner un tour de manivelle à la grande machine de Port-Nicolas — histoire d’obtenir une réponse à « comment tirer la Terre hors du système solaire quand le Soleil explosera dans cinq milliards d’années ? » —, le maire avait fermé la porte de l’arrière-salle du Café de la Halle et rendait compte à Louis de son entrevue avec l’inspecteur de Quimper, Guerrec. Guerrec avait épuisé le maire de questions sur Marie Lacasta, il avait pris le registre des habitants de la commune et il voulait voir Kehlweiler pour son témoignage et pour récupérer l’os.

— Ils sont à la gendarmerie de Fouesnant. Ensuite, il démarrera les interrogatoires.

— Et pourquoi vous me racontez ça ? demanda Louis.

— Guerrec me l’a demandé. Il veut vous interroger avant ce soir. Je transmets.

— Il a un plan, une idée ?

— Guerrec ne voit qu’une seule chose à retenir dans la vie de Marie, c’est la disparition de son mari Diego, il y a cinq ans.

— L’homme est mort ?

— On ne sait pas, on ne l’a pas revu, mort ou vif. Son fusil était abandonné sur le port et une barque manquait. Ce qu’il y a de certain, c’est que Marie en parlait le moins possible et qu’elle l’attendait toujours. Elle n’avait pas touché à un seul objet de son bureau.

— Ils s’étaient mariés tard ?

— Ils avaient bien tous deux soixante ans.

— Il l’avait connue ici ?

Le maire fit un petit bond impatient. C’est agaçant de ressasser des histoires banales que tout le monde connaît par cœur. Mais Guerrec l’avait engagé à ne pas braquer Kehlweiler, on pourrait en avoir besoin, il connaissait l’homme par ouï-dire, il s’en méfiait.

— Il avait rencontré Marie chez Lina, évidemment, quand elle habitait encore à Paris. Du temps du premier mari de Lina, Marie travaillait chez eux, elle s’occupait des deux enfants, c’est simple.

— Comment s’appelait ce premier mari ?

— Un professeur de physique, cela ne vous dira rien. Marcel Thomas.

— Et Diego connaissait aussi Lina ?

— Mais non, bon sang, Diego travaillait avec Sevran, c’est pour cela.

— Le rapport avec Lina ?

Le maire s’assit et se demanda comment ce type pouvait avoir fait tout ce qu’on racontait sur lui, alors qu’il n’était pas foutu capable de saisir l’histoire de Diego et Marie.

— Sevran, scanda le maire, était un vieil ami du couple, de Marcel Thomas surtout. Ils collectionnaient tous les deux des machines et l’ingénieur n’allait jamais à Paris sans passer les voir, lui et sa collection. Diego travaillait pour Sevran. Donc il l’accompagnait chez Lina. Donc Diego a connu Marie chez eux.

— Qu’est-ce qu’il faisait pour Sevran, Diego ?

— Il sillonnait la France à la recherche de machines. Sevran avait connu Diego végétant dans la brocante et il l’avait pris à son service. Bref, Diego a épousé Marie deux mois après que Sevran a épousé Lina. Ils sont tous venus s’installer ici.

Louis s’assit à son tour, patient. Il se demandait comment on pouvait raconter une histoire aussi mal. Chevalier avait décidément un esprit confus.

— Lina avait divorcé pour épouser Sevran ?

— Mais, bon sang, non, c’était après l’accident. Son mari est tombé du balcon, un malaise. Elle était veuve.

— Ah. Racontez-moi ça.

— Veuve, quoi. Son mari est tombé de la terrasse. Je ne sais l’histoire que par Marie, car Lina ne supporte pas qu’on en parle. Elle et Marie étaient seules avec les enfants. Lina lisait dans sa chambre, Thomas en fumait une dernière sur la terrasse. Lina se reproche encore de l’avoir laissé seul alors qu’il avait beaucoup bu. C’est idiot, comment aurait-elle pu prévoir ?