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Marc regardait le groupe. Lina tremblait encore, et Louis ne faisait plus sa tête de Goth mérovingien.

— Et vous, reprit Lina, vous faites votre métier de quoi ? Je sais qui vous êtes, la femme du maire me l’a dit. Je ne vois pas la différence avec Guerrec.

— Moi, je la vois. Mieux vaut me parler.

— Non.

Louis fit un signe à Mathias et il emmena Lina à l’écart. Elle tremblait tout en ayant l’air de n’avoir rien à foutre de quoi que ce soit et ça n’allait pas ensemble.

Une heure plus tard, les lieux étaient déserts. Les gendarmes de Fouesnant étaient passés, Guerrec était passé. Il était reparti avec Lina Sevran à son domicile. Gaël avait été emmené, inconscient, à l’hôpital de Quimper.

— Je veux une bière, dit Louis.

Les trois hommes s’étaient regroupés dans la chambre de Kehlweiler. Marc refusa d’aller chercher les bières parce que Louis les avait rangées dans la salle de bains avec Bufo. Louis rapporta trois bouteilles. Marc regardait dans le goulot.

— Lina Sevran, dit-il doucement, l’œil collé à la bouteille, couche avec Gaël. C’est le couple de la cabane Vauban. Marie les surprend, elle la tue. Pourquoi ?

— Peur du divorce, dit Mathias.

— Oui, elle a besoin du fric de l’ingénieur. Ensuite, elle tue l’amant fragile, pour qu’il la boucle.

— Sors de cette bouteille, dit Louis. Si elle couche avec Gaël, pourquoi ne pas attendre que l’ingénieur soit à Paris ? Pourquoi aller s’emmerder dans une cabane glacée à cinq heures quand on peut trouver un bon lit à huit heures ?

— On peut trouver des raisons. Elle était là quand Gaël est tombé. Et elle a flingué le chien.

— J’y pense, dit Louis.

— Qu’est-ce qu’elle t’a dit ?

— Je ne lui ai plus parlé de la falaise, ni du chien. Je lui ai parlé de son premier mari. Il est mort en tombant du balcon, tu te rappelles ?

— Un accident, non ?

— Une chute, comme celle de Gaël. Si c’est un meurtre, il est simple et parfait.

— Qu’est-ce qu’elle en dit ?

Louis haussa les épaules.

— Elle dit qu’elle ne l’a pas poussé, comme pour Gaël. Et elle tremble plus fort que jamais. Il me semble qu’elle a cette histoire en horreur. Je l’ai travaillée sur Diego Lacasta qui, dans cette affaire, était passé en une semaine de la défense vibrante d’un torero au mutisme d’un homme blessé. Elle confirme, elle ajoute même que Diego semble l’avoir constamment soupçonnée. Avant l’accident, il était bavard et confiant avec elle, et il s’est démené à l’enquête. Puis, changement à vue, regards fuyants, silence et défiance. Elle dit que sans la confiance absolue de Marie, de Sevran et des enfants, elle ne s’en serait pas sortie.

— Elle sait où est Diego ?

— Non, mais elle est sûrement satisfaite d’en être débarrassée. Il pesait sur elle comme un vieux fantôme taciturne.

Marc souffla dans sa bouteille.

— Et le vieux fantôme a disparu aussi, dit-il.

— Oui, dit Louis.

Louis marcha dans la petite chambre et alla se planter devant la fenêtre. Il était plus de deux heures du matin. Mathias s’endormait sur un des deux lits.

— Faudrait savoir qui est le couple, dit enfin Louis.

— Tu penses qu’il y en a vraiment un ?

— Oui. Une fois qu’on l’aura, on verra si c’est du solide ou si c’est un leurre. Et si l’auteur du billet versifié est un simple dénonciateur ou un assassin qui nous agite un chiffon rouge. Il doit y avoir ici quelqu’un capable de nous fournir le nom de la maîtresse de Gaël.

— Darnas ?

— Non. Darnas devine, il ne sait pas. Il nous faut quelqu’un qui ait l’œil sur toutes les combines pour son propre profit.

— Le maire ?

— Chevalier n’est pas brillant, mais ce n’est pas un rat d’égout. S’il était capable de s’informer, il n’en serait pas réduit à faire fouiller les poubelles de ses adversaires. Non. Je pense à cette raclure de Blanchet.

— Il ne te rendra pas le service de te documenter.

— Et pourquoi non ?

Louis se retourna. Il resta quelques secondes immobile puis attrapa sa veste, l’enfila lentement.

— Tu m’accompagnes ?

— Où vas-tu ? dit Marc mollement.

— Chez Blanchet, où veux-tu que j’aille ?

Marc sortit brusquement l’œil de sa bouteille. Il avait une marque rouge sur la paupière.

— À cette heure ? T’es dingue ?

— On n’est pas là pour protéger le sommeil de ce type. Deux meurtres, ça va bien comme ça. Ça tourne à l’éradication dans ce bourg.

Louis passa dans la salle de bains, renonça à prendre Bufo, ramassa les papiers sur la table et les fourra dans sa poche intérieure.

— Grouille-toi, dit Louis. T’as pas le choix, parce que si je me fais étendre par Blanchet pendant que tu roupilles à l’hôtel, tu te tortureras la cervelle de remords spectraux jusqu’à la fin des temps, et ça t’empêchera de faire ton Moyen Âge.

— Blanchet ? Tu le soupçonnes ? Tu fais ça comme ça, à la gueule, parce qu’il a une tronche de pisse-froid ?

— Et tu trouves cela normal, toi, de pisser froid ? Et pourquoi tu parles de sa pisse ? T’en sais quelque chose de sa pisse ?

— Tu m’emmerdes ! cria Marc en se mettant debout.

Louis se planta devant Marc et l’examina calmement. Il lui sortit le col de sa veste, lui redressa les épaules, lui leva le menton.

— Comme ça, c’est mieux, murmura-t-il. Prends l’air dangereux, voir. Allez, prends l’air dangereux, on ne va pas y passer la nuit !

Marc regrettait. Il aurait dû rester au tiède dans le XIIIe siècle dans la baraque dans la chambre dans Paris. Le Goth mérovingien était cinglé. Néanmoins, il essaya de prendre l’air dangereux. S’il avait été un homme, ça aurait été facile comme tout, et justement il était un homme, ça tombait bien.

Kehlweiler secoua la tête.

— Pense à quelque chose de moche, insista-t-il. Je ne te parle pas de bouffe ou de crapaud, quelque chose à grande échelle.

— Le massacre des Albigeois par Simon de Montfort ?

— Si tu veux, soupira Louis. Voilà, ce n’est pas mal, presque crédible. Pendant tout le temps de notre visite, pense à ce Simon. Prends-le, ajouta Louis en montrant Mathias endormi. Ce ne sera pas de trop.

26

Louis frappa plusieurs coups à la porte de Blanchet. Marc était tendu, des petits muscles bougeaient tout seuls dans son dos. Tous les éléments du massacre des Albigeois lui défilaient dans la mémoire, il serrait sa bouteille de bière, un doigt enfoncé dans le goulot. Mathias n’avait pas posé de question, il se tenait dans l’ombre, géant, nu-pieds dans ses sandales, immobile et dispos. Il y eut du bruit derrière la porte. Elle s’entrebâilla, bloquée par une chaîne.

— Laissez entrer, Blanchet, dit Louis. Gaël a été balancé de la falaise, on va en parler.

— Qu’est-ce que j’en ai à foutre ? dit Blanchet.

— Si vous voulez votre place de maire, vous avez intérêt à vous en mêler.

Blanchet dégagea la porte, hostile, méfiant, intéressé.

— S’il est mort, je vois pas l’urgence.

— Justement, il n’est pas mort. Il pourra parler s’il sort de la vase. Vous voyez l’ennui ?

— Non. Je n’y suis pour rien.

— Emmenez-nous ailleurs. On ne va pas rester debout dans cette entrée toute la nuit. Elle est moche, cette entrée.

Blanchet secoua la tête. Le coup de l’homme bonasse, comme tout à l’heure, de mauvais poil mais bon bougre, dans le fond. Marc pensa que la taille de Mathias et le regard gothique de Louis étaient pour quelque chose dans sa résignation. Blanchet les poussa dans un petit bureau, désigna des chaises, et s’installa derrière une grande table à pieds dorés.