Louis suspendit sa phrase et étira ses bras. Il regarda Marc et Mathias.
— Je m’énerve, moi, comme dirait Marthe. Faut qu’on en termine. Lina t’a suivi quand tu es sorti à la nuit pour rejoindre Gaël. Et si Lina t’a suivi, c’est qu’elle te soupçonne. Et si elle te soupçonne, son sort est réglé. Tu laisses monter les doutes contre elle. L’arrestation de Jean te paraît mal assurée. Guerrec t’a semblé mou, ce matin, à l’église, quand le dévot sanglotait la perte de son ami Gaël. C’est donc Lina qui va payer, avant qu’elle ne flanche. Tu as dû tout faire pour qu’elle ne parle pas, je suppose que tu as été au plus simple, tu as menacé de toucher aux enfants. Lina se taira forcément, Lina crève de peur. Depuis mon arrivée et l’histoire du chien, elle a peur. Salut, Guerrec, je termine avec ce type et je te le repasse. Gaël ?
— Ça revient, dit Guerrec.
Il avait l’air content, Guerrec, il s’était attaché au petit.
— Écoute la fin, reprit Louis ; je te redirai le début tout à l’heure. Lina a peur à cause du doigt dans la gueule du chien. Parce que les jeudis soir, le chien sait que tu pars et il te suit partout. N’importe quel chien fait cela, même ton pitbull, mais je suis resté trop longtemps avec mon crapaud pour m’en souvenir tout de suite. Lina, elle, le sait. L’idée monte. Si le chien a mangé le doigt de Marie jeudi soir, c’est que toi, Sevran, tu étais à proximité, le chien ne t’aurait pas décollé les soirs où tu sors la bagnole. L’idée monte et l’étrangle, elle pense à son premier mari, à Diego, le scénario sort des ombres, elle panique, elle se croit folle, elle te croit fou, elle n’arrive plus à agir normalement. Elle a si peur, elle est si muette, qu’elle donne prise à tous les soupçons. Elle te guette, elle te suit. À partir de là, elle est condamnée, et comme des cons, on suit ta piste, un jour de trop. En rentrant ce soir, avec le secret de la Virotyp, je te tenais, mais sans preuve. Sans autre preuve que l’ignorance crasse de Lina pour les machines, ça ne comptait pas. Ou que ma preuve par le chien. Il m’avait éjecté sa vérité, il m’en donnait une autre, post mortem : le chien détestait Lina, il ne l’aurait jamais suivie à la grève. Avec des preuves aussi fragiles, et avec le silence buté de Lina qui protégeait ses mômes, elle était foutue. Il fallait créer la preuve. Ce soir, quand je t’ai vu lui extorquer des aveux pour la suicider ensuite, tu m’offrais le moyen. Je m’étais hâté pour revenir de Quimper, je te l’assure, quand j’ai su qu’elle avait voulu fuir aujourd’hui. Lina en fuite, c’était trop risqué pour toi, tu allais l’effacer. Et pourtant, on peut imaginer que tu l’as assez aimée pour la prendre à Thomas, à moins que tu n’aies voulu que ses machines, c’est fort possible. Je t’ai entraîné ici, pour que tu la suicides dans le seul instant de répit que je te laissais en courant vers Marc, tu n’avais plus le choix du lieu ni du moment. Tu comprends maintenant que Mathias était posté en avant-garde. Je n’aurais pas pris ce risque sans être assuré que le chasseur te tomberait sur le dos. Tu es une ordure, Sevran, j’espère que tu l’as bien compris, parce que je n’ai pas le courage de recommencer.