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Et soudain…

L’éclipse totale !

La température s’abaisse sensiblement. Le ciel s’obscurcit. Ceux qui parviennent à détacher leurs regards du spectacle distinguent parfaitement Vénus, en bas à gauche du soleil, ainsi que Mercure, en haut à droite. Le soleil lui-même se trouve à mi-chemin de la constellation du Lion et de celle du Cancer.

La lune apparaît ceinte d’une magnifique couronne rosée, semblable à une chevelure ou à l’auréole d’un ange en furie.

Le spectacle est proprement époustouflant. Frank est bouleversé, Clete s’essuie les yeux et les toupets des Tosoks trahissent une agitation certaine.

Mais bientôt – trop vite – la lune reprend sa course et le ciel s’éclaire à nouveau. Kelkad se rapproche alors de Clete.

— Merci, lui dit-il, son toupet frémissant sous le coup de l’émotion. Merci de nous avoir montré cela.

Clete sourit :

— Comme tu l’as dit, c’est une bien belle planète que nous avons là.

De retour aux États-Unis, les aliens visitent la Californie. Ils se rendent au lac Rogers pour assister à l’atterrissage de la navette Discovery, partie photographier leur vaisseau en vue des réparations. De là, ils gagnent Los Angeles, la ville où réside désormais Clete (son temps s’y partage entre la production d’émissions télé et l’enseignement de l’astronomie à l’UCLA). Disneyland les laisse perplexes : s’ils identifient Mickey, Goofy et Donald comme étant respectivement une souris, un chien et un canard (ils ont rencontré ces animaux lors de leur périple autour de la Terre), l’idée de les représenter sur deux pattes et de leur prêter des sentiments leur semble totalement extravagante. Également, ils voient une contradiction flagrante dans le fait de prendre plaisir à se faire peur sur des manèges. En revanche, les tasses tournantes ont l’air de les mettre en joie.

Ce soir-là, une réception a lieu en leur honneur au Mann’s Chinese Théâtre, en présence d’invités triés sur le volet. Steven Spielberg se montre assez fier (non sans raison) d’avoir contribué à préparer l’humanité à une rencontre pacifique avec des visiteurs extraterrestres. Kelkad est invité à laisser l’empreinte de ses pieds dans le ciment. À tout le moins, l’idée de laisser une trace de son passage à l’intention des générations futures semble trouver un écho chez les Tosoks.

TRW, Rockwell International et Hugues ont été parmi les premiers à signer des contrats pour la fabrication de pièces de rechange destinées au vaisseau extraterrestre. Flairant le filon (les trois sociétés ont leur siège à moins de trente kilomètres de son campus), le président de l’université du Sud californien s’est empressé de mettre le Paul Valcour Hall (une toute nouvelle résidence de cinq étages) à la disposition des Tosoks pour une durée illimitée. Le bâtiment n’ayant été achevé qu’après la rentrée, il n’est pas prévu qu’il accueille des locataires avant le mois de septembre prochain. Avec ça, sa position à l’écart de tout autre bâtiment en rend l’accès facile à contrôler. Les Tosoks ne tardent pas à y emménager avec leur escorte policière et scientifique. Clete suit le mouvement, quoiqu’il ait déjà un logement en ville, pour profiter au maximum de la compagnie des visiteurs.

Un soir, le capitaine Kelkad prend Frank à part.

— Merci de votre aide pour organiser les réparations, lui dit-il. Croyez bien que nous apprécions vos efforts.

— Tout le plaisir est pour nous, réplique Frank.

La conversation a lieu dans un salon au dernier étage de la résidence, en présence de Hask et de Torbat (un autre membre de l’équipage dont la peau tire sur le gris).

— Mais comprenez que les réparations risquent de durer. On m’a parlé de deux ans…

De saisissement, le toupet de Kelkad se dresse d’un coup sur sa tête.

— Deux ans ! s’exclame-t-il. Il doit bien y avoir moyen… Hask lui glisse alors quelques mots dans leur langue.

— Oh ! vous voulez dire deux années terrestres, reprend Kelkad, apparemment rassuré. Ce n’est pas si long que ça.

Frank est tenté de lui préciser que les entreprises humaines ne respectent jamais leurs engagements, mais il préfère lui laisser ses illusions. Pour le moment, pense-t-il en devisant agréablement, ce premier contact entre l’humanité et une race extraterrestre se passe remarquablement bien. Pour le moment…

Chapitre 6

Il est trois heures du matin et l’agent Colin Elliot (dix ans de service au sein de la police de Los Angeles) vient de prendre son tour de garde à Valcour Hall.

Le bâtiment a la forme d’un L dont les ailes se rejoignent à chaque étage en une vaste salle commune. Malgré l’heure tardive, deux des Tosoks se sont attardés au salon du troisième. Les ateliers de l’université leur ont fabriqué des dizaines de chaises sur mesure. Si le campus est presque désert en raison des vacances de Noël, plusieurs Tosoks, accompagnés d’une partie de leur escorte, ont assisté ce soir-là à une conférence donnée par Stephen Jay Gould au Davis Auditorium. Toutefois, cela fait plusieurs heures qu’ils sont rentrés.

Les deux Tosoks agitent leur main ventrale en direction d’Elliot qui leur répond d’un salut vulcain1 . Sans doute les autres se sont-ils retirés dans leurs chambres. Comme la place ne manque pas, chacun a choisi ses appartements à l’écart de ceux des autres. En faisant sa ronde dans les couloirs, Elliot vient à passer devant deux portes ouvertes. Dans la première chambre, un Tosok travaille sur un ordinateur récupéré à bord du vaisseau. Dans la seconde, un autre regarde à la télé un vieil épisode de Barney Miller (une des séries préférées d’Elliot). On dirait que les Tosoks raffolent des sitcoms -peut-être les rires préenregistrés les aident-ils à comprendre les ressorts du comique chez les humains. Elliot remarque que celui-ci a opté pour une diffusion sous-titrée. Sans doute s’entraîne-t-il à lire l’anglais ?

Les couloirs sont insonorisés par des portes en verre épais placées de loin en loin. Si les Tosoks ont l’ouïe sensible, les bruits de fond ne semblent pas les déranger le moins du monde. Leurs chambres, réparties sur trois étages, restent presque toujours ouvertes ; seuls les humains ferment les leurs pour la nuit.

Par l’escalier, Elliot gagne le deuxième étage, exclusivement occupé par des hommes. Bien entendu, ceux-ci dorment déjà. Le corridor n’est éclairé que par les lampadaires du parking, visibles à travers la baie vitrée qui en constitue le fond, et par les lumignons des issues de secours. Elliot ne distingue pas grand-chose, mais sans doute n’y a-t-il rien à voir. À un moment, un bruit inhabituel l’incite à faire une halte devant une porte, mais ce ne sont que des ronflements.

Il parvient bientôt à une porte de verre qu’il franchit afin de poursuivre sa ronde. Plus loin, c’est un bruit de chasse d’eau qu’il perçoit. Rien de surprenant à cela : parmi toutes ces grosses têtes, certaines ne sont plus de la première jeunesse et doivent certainement se lever plus d’une fois au cours de la nuit pour aller pisser.

La moquette gris foncé a été prévue pour résister aux assauts des étudiants. Malgré ses cent kilos, Elliot ne fait pas plus de bruit qu’un chat en s’y déplaçant, aussi ne craint-il pas de réveiller…

Squish

Elliot baisse les yeux. La moquette est trempée. Peut-être quelqu’un a-t-il renversé son verre…