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— C’était bien vu. Moi qui ai toujours été fermé à la science, j’étais un fan de l’émission. Ce type crevait littéralement l’écran.

— Pour sûr. Mais quelqu’un d’autre m’a dit que Smathers passait pour avoir un fichu caractère et qu’il planait des doutes sur le sérieux de ses recherches. On le soupçonne d’avoir pompé non seulement les travaux de ses étudiants – ça, on dirait que c’est monnaie courante -mais aussi ceux d’autres professeurs. La série était coproduite par la chaîne japonaise NHK. Vous savez comme ces gens-là sont à cheval sur l’honneur : si un scandale avait éclaté, ils auraient sûrement retiré leurs billes.

— Je vois. Ensuite ?

— Le directeur auquel j’ai parlé m’a dit aussi que c’était Calhoun lui-même qui les avait rencardés sur Smathers.

— Ses allégations étaient-elles fondées ?

— Il semble que oui. À supposer que Smathers ait su le rôle que Calhoun avait joué dans cette affaire…

— C’est bon, le coupe Ajax. Convoquez-moi Smathers pour un interrogatoire.

Le Parker Center est un grand bâtiment ocre à deux pas du palais de justice. À son pied se dresse une fontaine en granit noir, dédiée aux policiers morts en service. Derrière ses colonnades, l’entrée principale est gardée en permanence par des flics armés.

Les interrogatoires ont lieu dans une pièce aveugle et exiguë, à l’éclairage blafard. Les pieds calés sur une chaise, Perez sirote son café entre deux questions.

— Vous aviez de bonnes raisons de détester Cletus Calhoun, remarque-t-il.

Packwood Smathers fronce ses sourcils neigeux et s’accorde plusieurs secondes de réflexion avant d’objecter :

— Je suis citoyen canadien. Si vous vouliez bien appeler le consulat…

— Montrez-vous plus coopératif, professeur, l’interrompt Perez en se rapprochant, et vous serez bientôt libre. Dites-moi simplement ce que vous aviez contre Cletus Calhoun.

— Mais rien du tout !

— Pourtant, on raconte qu’il vous a fait un croc-en-jambe pour entrer chez PBS.

Smathers se crispe un peu plus et garde le silence. Enfin, il lève les yeux vers Perez :

— Je souhaite la présence d’un avocat.

— Pourquoi ? Aucune charge ne pèse sur vous.

— Dans ce cas, rétorque Smathers en se levant, dépêchez-vous de m’inculper ou je sors immédiatement.

— Pourquoi tant d’agressivité, docteur ? soupire Perez en écartant les bras.

— Vous avez insinué que j’aurais pu tuer Cletus Calhoun. Rien que pour ça, je devrais porter plainte contre vous. C’est vrai que je n’ai jamais aimé ce bouseux. Peut-être était-il plus télégénique que moi mais, comme astronome, il ne m’arrivait pas à la cheville. Calhoun restera comme un amuseur, pas un scientifique. Il osait prétendre que mes travaux n’étaient pas pleinement originaux ? Merde ! Cela faisait des années qu’il n’avait rien produit lui-même. Il faut être stupide pour imaginer que j’aie pu le tuer. Mais si vous persistez dans vos accusations grotesques, je ne répondrai qu’en présence de mon avocat.

Chapitre 8

— Je ne crois pas que ce soit Smathers.

Ajax lève les yeux vers Jesus Perez au moment où il franchit le seuil de son bureau.

— Il a un alibi ?

— Pas vraiment. D’après le médecin légiste, le meurtre a eu lieu vers vingt et une heures. À ce moment-là, six des Tosoks et la plupart des savants assistaient à une conférence sur le campus de l’USC – Stephen Jay Gould était de passage à LA pour promouvoir son dernier bouquin. La conférence étant suivie d’une réception, ils n’ont regagné leur résidence qu’à deux heures du matin. Hask s’est éclipsé avant la fin – pour faire sa mue, à ce qu’il prétend. Ni Calhoun ni Smathers n’étaient à la conférence. Smathers n’a pas l’air d’aimer beaucoup Gould – ce type a un problème avec les vulgarisateurs à succès. Quant à Calhoun, il avait annoncé qu’il restait travailler sur le script de sa prochaine émission. En tout cas, le labo n’a rien trouvé qui permette d’incriminer Smathers – pas plus qu’un autre humain, d’ailleurs. Avec ça, une équipe de l’UCLA a confirmé que la substance relevée sur une des côtes n’était pas – comment dit-on, déjà ? – « d’origine terrestre ».

— C’est sûrement du sang tosok, ou pire, du sperme… Pourrait-il avoir été déposé là intentionnellement ?

— Pour autant que je sache, les Tosoks n’ont pas confié d’échantillons de leurs tissus aux savants humains. On dirait que les mécanismes internes du corps sont tabous pour eux. Il y a quelque temps, on leur a offert des ouvrages d’anatomie humaine. Eh bien, ils ont réagi comme si on leur avait fourré une revue porno dans les mains.

Dans ces conditions, je vois mal comment Smathers aurait pu se procurer un peu de leur sang.

— Alors, le coupable est un Tosok, soupire Ajax.

— C’est probable.

— Et vos soupçons portent sur Hask ?

— Oui. Ce changement de peau tombait un peu trop à pic à mon goût. Et puis, on a fait agrandir la photo de l’empreinte. Il est évident qu’elle n’a pas été faite par Kelkad. On a également éliminé une femelle nommée Dodnaskak : ses pieds sont beaucoup trop grands.

— Ça laisse encore cinq possibilités, Hask inclus.

— Hask est le seul à être bleu-gris – avant sa mue, du moins. Et voyez ce qu’on a trouvé dans la chambre de Calhoun.

Perez place sur le bureau une poche en plastique contenant trois fragments bleu-gris, un peu semblables à des écailles.

— Si Hask préparait sa mue, reprend Perez alors qu’Ajax tourne l’échantillon vers la lumière, il n’est pas impossible qu’il ait semé des écailles derrière lui.

Sans dire un mot, Ajax repose la poche et se prend la tête entre les mains.

Quand l’inspecteur Perez (accompagné de quatre flics en uniforme dont le plus petit le dépasse d’une bonne tête) fait irruption dans le salon du cinquième étage, il y trouve Frank Nobilio en grande conversation avec les Tosoks Kelkad et Ged.

— Qu’est-ce qui vous amène, inspecteur ? demande Frank en se levant.

— Venez avec nous, docteur. Où se trouve la chambre de Hask ?

— Au premier.

— Veuillez nous y conduire.

— Mais enfin, que se passe-t-il ?

— Contentez-vous de nous guider, je vous prie. C’est vous, Kelkad ? ajoute Perez en se tournant vers le capitaine tosok. Vous pouvez venir aussi.

À peine Perez a-t-il pressé le bouton que l’ascenseur s’ouvre devant eux. Il passe le premier et tient la porte ouverte pour les autres. Frank s’avance avec un soupir, suivi de Kelkad et des quatre policiers. Au premier, il leur fait signe d’emprunter l’aile est. Après avoir franchi plusieurs portes de verre, ils atteignent la chambre de Hask, tout au bout du corridor. Perez frappe à la porte.

— Hask ? Police. Ouvrez, s’il vous plaît.

On entend du bruit à l’intérieur et quelques secondes plus tard, la porte s’ouvre.

— Vous êtes Hask ? interroge Perez.

— Vous savez bien qui je suis, objecte Hask.

— Hask, je vous arrête pour le meurtre de Cletus Calhoun.

— Eh ! s’exclame Frank en ouvrant de grands yeux. Attendez… Perez plonge la main dans sa poche et en retire un carton écorné récapitulant les droits des inculpés. S’il en connaît le texte par cœur, il est tenu d’en donner lecture pour éviter qu’un avocat ne l’accuse ultérieurement d’en avoir éludé une partie.

— Vous avez le droit d’observer le silence. Si vous renoncez à ce droit, sachez que tout ce que vous direz…