— Vous allez m’écouter, oui ? s’énerve Frank.
— … Tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous devant un tribunal. Vous avez le droit…
— Vous ne pouvez pas arrêter un extraterrestre !
— … de consulter un avocat et de réclamer sa présence lors de votre interrogatoire. Au cas où…
— Inspecteur, pour l’amour de Dieu !
— … vous n’auriez pas les moyens de le rémunérer, il vous en sera attribué un à titre gratuit. Avez-vous compris les droits que je viens de vous exposer ?
Hask a un mouvement de recul. Apparemment, sa deuxième paire d’yeux ne lui est pas d’un grand secours pour se diriger car il se cogne dans son bureau, provoquant la chute d’un disque d’environ trente centimètres qui se brise en heurtant le coin d’une étagère.
— Avez-vous compris les droits que je viens de vous exposer ? répète Perez.
— Vous ne pensez quand même pas sérieusement que Hask a pu commettre ce meurtre ?
— Docteur Nobilio, les preuves dont nous disposons nous paraissent suffisantes pour procéder à son inculpation. Hask, avez-vous compris les droits que je viens de vous exposer ?
Hask s’incline jusqu’au sol afin de ramasser le disque brisé dont il examine les deux morceaux, l’un avec ses yeux de devant, l’autre avec ceux de derrière.
— Avez-vous compris quels sont vos droits ? insiste Perez.
— Je… je crois que oui, répond Hask tandis que son toupet donne les signes de la plus vive émotion.
— Montrez-moi votre mandat d’arrêt, réclame Frank en tendant une main impatiente.
Perez se tournant vers Hask, il ajoute :
— Pour l’amour du ciel, inspecteur ! S’il parle l’anglais, il ne le lit pas encore. Donnez-moi ce mandat.
Perez retire le mandat de sa poche et le remet à Frank C’est la première fois que celui-ci a un mandat d’arrêt entre les mains mais à première vue, il n’y a rien à redire sur la forme :
Le soussigné déclare avoir pris connaissance des faits suivants et y souscrire :
CHEF D’ACCUSATION N°1
Le 22 décembre de l’année courante, dans le comté de Los Angeles, le dénommé Hask, membre de l’espèce tosok, s’est rendu coupable de meurtre avec préméditation sur la personne de Cletus Robert Calhoun, membre de l’espèce humaine, en violation de l’article 187 (a) du Code pénal.
Note : le délit ci-dessus constitue un crime aggravé au sens de l’article 1192.7 (c) (1) du Code pénal
Le prévenu est en outre soupçonné d’avoir perpétré son crime au moyen d’une arme dangereuse et mortelle, à savoir un couteau ou autre instrument tranchant dont l’usage constitue une circonstance aggravante au sens de l’article 1192.7 (c) (23) du Code pénal.
Inspecteur Jesus Perez, LAPD.
Déclarant et demandeur.
— Ça vous convient ?
— Doux Jesus, soupire Frank.
— En espagnol, on dit Ré-zous.
— Ce n’est pas à vous que je m’adressais. Voyons, vous n’êtes pas sérieux…
— On ne peut plus, au contraire. Savez-vous ce qu’est un avocat ? demande l’inspecteur à Hask.
Celui-ci n’a pas lâché les deux moitiés du disque brisé dont chacune présente une face décorée.
— Un défenseur, énonce-t-il lentement.
— Et comprenez-vous ce que signifie le droit de garder le silence ?
— Cela signifie que vous ne pouvez pas me forcer à parler.
— Exact. Et le fait que tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous ?
— Non.
— Ça veut dire que tout ce que vous direz sera consigné par écrit et utilisé le cas échéant pour prouver votre culpabilité.
— Oh ! je comprends.
— Vous avez un avocat ?
Hask dirige son regard vers Kelkad avant de répondre :
— Non.
— Bien sûr que non ! s’emporte Frank Pas plus qu’il n’a de comptable, de dentiste ni d’entraîneur.
Perez se tourne alors vers le capitaine tosok :
— Vous-même ou l’un de vos collègues pourrait-il assurer sa défense ?
— Non, répond Kelkad. Nous avons bien des intercesseurs qui implorent Dieu pour le compte d’autrui et des médiateurs pour régler les conflits dans la vie civile, mais rien de comparable à votre système judiciaire et pénal. D’ailleurs, je ne suis pas sûr de bien comprendre ces deux termes.
— Voulez-vous un avocat ? demande Perez à Hask.
— Je ne…
— Dis oui, le presse Frank, s’attirant un regard noir de Perez.
— Oui, répète Hask.
— Très bien. Veuillez nous suivre, je vous prie.
— Et si je refusais ? risque Hask.
— Ces messieurs sont armés, lui répond Perez en désignant les quatre policiers. Vous comprenez ? Ils ont sur eux des armes capables de tuer. Si vous résistez, nous serons forcés de…
— Vous n’oseriez quand même pas tirer ? proteste Frank. Je ne crois pas qu’ils puissent t’emmener de force, lance-t-il à Hask, puis il fait volte-face vers Perez : Qu’est-ce que vous faites de l’immunité diplomatique, inspecteur ?
— Je ne crois pas que les États-Unis aient signé de traité avec le gouvernement tosok, lui oppose Perez, imperturbable.
— Mais…
— Nous agissons en toute légalité.
— Et comment comptez-vous l’obliger à vous suivre ?
— Le docteur Nobilio a raison, reprend Perez à l’adresse de Hask. Nous n’avons pas l’intention d’utiliser la force contre vous. Mais je peux faire suspendre la livraison des pièces nécessaires à la réparation de votre vaisseau. Mon mandat m’autorise également à vous donner l’ordre de me suivre. Alors ?
— Mon subordonné nie toute participation au meurtre de Clete, intervient Kelkad.
— Sauf votre respect, monsieur, j’ai l’habitude de ce genre d’affirmation, lui rétorque Perez.
— Je me porte garant de lui, déclare Kelkad d’un ton parfaitement égal, du moins dans sa version traduite.
— Vous aurez la possibilité de le faire plus tard, en temps voulu.
— Mais…
— Je les suis, décide brusquement Hask. Nous avons besoin de leur aide, alors autant coopérer.
— J’espère que vous savez ce que vous faites, inspecteur… Je l’espère pour vous, menace Frank.
— Merci, docteur. Maintenant, si vous continuez d’inciter cette créature à nous résister…
— Ne poussez pas la plaisanterie trop loin, Perez.
— Et vous, ne me poussez pas à bout. Suivez-nous, Hask. Ne vous en faites pas, ajoute-t-il comme l’autre s’exécute. Vous aurez bientôt un avocat.
— Un avocat commis d’office ? s’exclame Frank. Surtout pas ! Hask, ne dis pas un mot à qui que ce soit, tu entends ? Ne dis rien tant qu’on ne t’aura pas trouvé un avocat.
Chapitre 9
Frank regagne immédiatement sa chambre et passe une dizaine de coups de fil à Washington sur son portable. Deux heures plus tard, quelqu’un finit par rappeler.
— J’écoute, dit-il en plaquant l’appareil sur sa joue pas rasée.
— Docteur Nobilio ? Ici la Maison-Blanche. Ne quittez pas, s’il vous plaît.
Au bout de quelques secondes, une voix familière se détache d’un fond de friture.
— Frank ?
— Bonjour, Monsieur le Président.
— Nous avons un problème, à ce qu’il paraît ?
— Hélas, oui, Monsieur le Président.
— Les téléphones n’ont pas cessé de sonner depuis l’annonce de l’arrestation par CNN. Il n’y a pas un pays qui n’ait tenu à exprimer sa désapprobation.
— Ça ne m’étonne pas. Je ne suis pas juriste, mais je me demande si cette affaire est bien de la compétence de l’État de Californie.