Frank n’en est pas plus avancé pour autant : « Hask » est-il le nom de la créature ou celui de sa race ? À moins que le mot n’ait un tout autre sens, comme « bonjour » ?
— Clete, reprend-il en désignant son ami.
L’alien répète après lui. Il est désormais clair que le son ne sort pas de sa bouche mais de sa poitrine. On distingue à travers une de ses poches les contours d’un petit objet rectangulaire dont le sommet est visible sous le rabat. Selon toute évidence, c’est de là que provient le son.
La créature désigne Frank et prononce son nom, cette fois avec la bouche, puis celui de Clete. Elle se tourne ensuite vers le Russe.
— Sergei, dit celui-ci.
— Sergei, reprend l’appareil dans la poche de la créature. Quelques secondes plus tard, cette dernière répète à son tour :
— Sergei.
— Hommes, indique Frank avec un geste qui les englobe tous les trois.
— Une minute, proteste Sergei. Je vois une objection à ce que le contact soit établi en anglais.
— Écoutez, ce n’est vraiment pas le moment…
— Au contraire. Vous…
— Faites pas chier, le coupe Clete. C’est le docteur Nobilio le responsable et…
— Niet.
— Pour l’amour du ciel, soupire Frank, cessons de nous chamailler. Songez que nous sommes filmés.
Comme le Russe se cantonne dans un mutisme rageur, Frank se retourne vers la créature, lui désignant tour à tour chacun des membres de leur groupe, puis il répète :
— Hommes.
— Tosok, fait l’autre en se touchant la poitrine.
— Tosok, répète Frank. Hask.
— Hommes, dit Hask. Frank. Clete. Sergei.
— Ce coup-ci, on tient le bon bout, jubile Clete.
Chapitre 3
Le capitaine Raintree et les deux Russes approchent à leur tour. Par ailleurs, presque tout l’équipage s’étant trouvé de bonnes raisons de monter sur le pont, le visiteur se trouve bientôt entouré d’une véritable foule. Frank et Clete consacrent ensuite plusieurs heures à lui apprendre quelques mots d’anglais ainsi que des verbes simples, « marcher », « courir » ou « se lever ».
Au fil des heures, Frank remarque de nouveaux détails concernant l’apparence de Hask. Il possède en fait quatre lentilles réfléchissantes, deux sur le devant de la tête, juste au-dessus du bras antérieur, et deux à l’arrière, au-dessus du bras postérieur. Celui-ci paraît légèrement plus court et moins robuste que l’autre. Si la bouche antérieure présente des sortes de dents couleur rouille, celle de derrière en est totalement dépourvue. On distingue encore deux minuscules orifices de part et d’autre de la tête, apparemment destinés à la respiration.
Quand ils abordent les phrases complexes, il apparaît que les Tosoks ont pour règle de démarrer les leurs à voix basse, celle-ci gagnant peu à peu en intensité. Cela explique les difficultés qu’éprouve Hask à comprendre ce que lui dit Frank, sauf si celui-ci marque une pause d’au moins une seconde entre chaque phrase.
Au bout d’environ une heure, un matelot vient les trouver. Il s’arrête à cinq mètres de Frank et tousse pour attirer son attention.
— Excuse-moi, dit Frank en se levant (si Hask ne comprend pas, peut-être saisira-t-il l’intention). Oui ?
— Nous venons de recevoir un message du NORAD. Ils ont repéré le vaisseau mère, en orbite polaire à trois cent mille mètres. Et je dois vous dire que c’est un morceau.
Le Kitty Hawk ayant mis le cap sur New York, Hask se laisse conduire au carré par Frank et Clete. Une fois à l’intérieur, il approche ses mains en coupe de ses yeux et y recueille quatre lentilles miroitantes. Frank en déduit qu’il portait l’équivalent tosok de lunettes de soleil, même s’il ne comprend pas comment elles tenaient en place. Une fois les lentilles empilées, Hask les laisse tomber dans une de ses multiples poches.
Les yeux, ronds et humides, fonctionnent par paires. Ceux du devant sont respectivement orange et vert, ceux de derrière vert et gris argent. Tous présentent la même pupille de forme ovale.
Hask ne pouvant se servir d’une chaise à cause de son bras dorsal, un matelot lui dégote un tabouret qu’il dédaigne.
Clete et Frank reprennent alors leurs leçons. Il est à noter que jusqu’ici, leur élève n’a manifesté aucun désir de leur apprendre sa propre langue.
Ils lui montrent des objets divers en indiquant leur nom. À un moment, le Tosok plonge la main dans une de ses poches et en tire le petit appareil rectangulaire qui fait aussi office de traducteur. Les deux hommes en profitent pour l’examiner de plus près. Son aspect évoque moins le métal ou le plastique que le poli de la céramique. Quatre séries de six touches vertes sont disposées en croix autour d’un unique bouton bleu. Sur le côté de l’appareil, une sorte de prise à trois orifices. Cet ordinateur de poche possède en outre un scanner qui permet à Hask d’afficher sur son écran la structure de chaque nouvel objet qu’on lui présente et, le cas échéant, d’agrandir certains détails afin de les étudier.
Les deux humains utilisent également le dessin pour traduire un certain nombre de concepts physiques et mathématiques. À un moment, Clete – Frank lui a toujours envié son coup de crayon -représente la Terre avec un objet en orbite.
— Qu’est-ce que c’est ? demande Frank.
— Vaisseau, répond Hask.
— Combien de Tosoks ?
— Six.
— Six plus Hask ?
— Six plus Hask égale sept.
— Grand vaisseau.
— Grand vaisseau pour grande marche.
— Grand voyage, corrige Frank.
— Grand voyage, répète Hask.
— Voyage long comment ?
— Voyage long. Beaucoup long.
Frank s’approche du hublot et fait signe à Hask de le rejoindre. Hask vient se placer près de lui après avoir remis ses lentilles. Frank lui montre le soleil puis décrit avec son bras un cercle visant à traduire la notion de jour.
— Non, dit Hask.
C’est vraiment frustrant. Par moments, Hask saisit tout du premier coup ; d’autres fois, plusieurs tentatives sont nécessaires pour lui faire comprendre les concepts les plus simples. Hask retourne alors vers la table et prend le calepin des mains de Clete – c’est le premier contact physique qu’il a avec l’un d’eux. Tenant le dessin de la Terre à bout de bras devant lui, il leur désigne le hublot et le soleil de sa main dorsale puis fait décrire un cercle au carnet.
— Il t’explique que ce n’est pas une question de jours mais d’années, traduit Clete.
— Combien d’années ? interroge Frank.
Hask pianote sur le clavier de son ordinateur de poche qui émet quelques mots dans sa langue. Hask presse alors un autre bouton et la machine répète en anglais :
— Deux cent onze.
— Tu veux dire que ton voyage a duré deux cent onze années terrestres ? s’exclame Frank.
— Oui.
Frank échange avec Clete un regard stupéfait.
Hask assimile l’anglais à une vitesse phénoménale. Frank a emporté parmi ses affaires une édition intégrale du Random House Dictionary sur CD-ROM, incluant la prononciation des mots. S’il n’a pas trouvé le moyen de connecter son lecteur multimédia avec l’ordinateur de poche de Hask, celui-ci a profité de ce qu’il dormait (lui-même ne paraît pas avoir besoin de repos) pour consulter les quelque deux mille illustrations au trait qui accompagnent le CD, en écoutant la prononciation de celles qui faisaient sens pour lui. À son réveil, le lendemain matin, Frank découvre qu’il a ainsi considérablement enrichi son vocabulaire, sans qu’on puisse dire quel rôle a joué son ordinateur de poche dans cet apprentissage ultra-rapide. La veille, Hask lui a expliqué que celui-ci communiquait directement avec lui grâce à un récepteur implanté dans l’une des quatre fentes qui lui tiennent lieu d’oreilles (des oreilles presque invisibles parmi le réseau de ses écailles).