Выбрать главу

— Alpha du Centaure A est ce qu’on appelle une étoile G2, du même type spectral que Sol…

— Sol ?

Frank esquisse un sourire.

— Désolé… Le mot « soleil » est en fait un terme générique. Tout astre placé au centre d’un système est un soleil. Le nôtre est dénommé Sol, en l’honneur d’un dieu romain. Comme je le disais, reprend-il tandis que Dale l’y encourage d’un signe de tête, Alpha du Centaure A est presque une jumelle de Sol : même couleur, même température, etc. Elle est également à peu près du même âge – un poil plus vieille, en réalité. Toutefois, il y a une différence significative entre elles.

— Laquelle ?

— La luminosité. Celle d’Alpha du Centaure A est supérieure de cinquante-quatre pour cent à celle de notre soleil.

— Alors ?

— Alors, même par temps gris, les Tosoks portent ici des lentilles pour protéger leurs yeux de la lumière. S’ils venaient d’un monde éclairé par un soleil plus brillant que le nôtre, ils ne seraient pas gênés.

— Peut-être leur atmosphère est-elle différente de la nôtre – plus opaque, par exemple ?

— C’est une explication intéressante, approuve Frank. Mais vous oubliez une chose : les Tosoks n’ont aucun mal à respirer notre air. Lorsque Clete s’est rendu à bord de leur vaisseau, lui aussi respirait sans peine. D’ailleurs, vous avez pu voir sur la vidéo que l’air était aussi transparent que le cristal.

— Dans ce cas, peut-être leur planète est-elle plus éloignée de leur soleil que la nôtre.

Apercevant un banc public, Dale indique à son compagnon qu’il souhaite s’y arrêter.

— Tout juste, acquiesce Frank en s’asseyant. Un jour où j’évoquais avec Kelkad le temps qu’il nous faudrait pour fabriquer des pièces pour leur vaisseau, il s’est affolé en m’entendant avancer le chiffre de deux ans. Il s’est brusquement calmé après que Hask lui eut expliqué qu’il s’agissait d’années terrestres. À l’évidence, l’année tosok est beaucoup plus longue que la nôtre. Alpha du Centaure A ayant à peu près la même taille et la même masse que Sol, cette différence ne peut s’expliquer que par la dimension de l’orbite de la.planète des Tosoks.

— Ça paraît faire sens, même pour un ignare comme moi.

— En effet, tout ça est très logique. Rappelez-vous : Alpha du Centaure A a une taille égale à celle de notre soleil mais elle brille 1,54 fois plus. Par conséquent, une planète située à la même distance d’Alpha du Centaure A que la Terre l’est de notre soleil recevrait 1,54 fois plus de lumière.

— OK.

— Mais si la distance est multipliée par deux, on ne reçoit plus qu’un quart de cette lumière. Donc, une planète gravitant à deux ua d’Alpha du Centaure A – c’est-à-dire le double de la distance entre la Terre et Sol – recevrait un j quantité de lumière égale à 1,54 celle que reçoit la Terre divisée par 4, soit – laissez-moi calculer – environ quarante pour cent.

— Ce qui expliquerait qu’ils portent des verres de soleil par tous les temps. Mais, pour le coup, leur planète devrait être plus froide que la nôtre, non ?

— Pour quelqu’un qui ne connaît rien à l’astronomie, vous posez des questions fort pertinentes, remarque Frank avec un sourire. D’après Clete, la température à bord du vaisseau tosok n’excédait pas dix degrés Celsius, même à l’extérieur de la salle d’hibernation. Maintenant, à quelle distance d’une étoile G2 une planète doit-elle se trouver pour présenter une température de cet ordre ? En fait, la réponse dépend de la teneur en dioxyde de carbone, en vapeur d’eau et en méthane de son atmosphère. Car, voyez-vous, ces gaz emprisonnent la chaleur. Vous avez entendu parler de l’effet de serre ? Eh bien, il joue un peu le rôle d’un joker par rapport à la position des planètes. Avec un fort effet de serre, une planète plus éloignée du soleil que ne l’est la Terre bénéficiera d’une température de surface comparable. En théorie, il pourrait très bien exister une planète analogue à la Terre au niveau de l’orbite de Jupiter, moyennant un taux de gaz suffisant pour piéger la chaleur.

— Donc, les Tosoks viendraient d’une planète plus éloignée de son soleil que la Terre ne l’est du sien…

— « Son » soleil, dites-vous… Vous oubliez une chose : Alpha du Centaure est un système multiple. Quand ses planètes A et B sont au plus près l’une de l’autre, la distance qui les sépare est de onze ua, soit environ un milliard six cents millions de kilomètres.

— Autrement dit, la luminosité d’Alpha du Centaure B compenserait l’éloignement d’Alpha du Centaure A ?

— Non, non. Même au plus près, Alpha du Centaure B apparaîtrait aux Tosoks cent fois moins brillante que notre soleil. Même ainsi, elle resterait des milliers de fois plus brillante que notre pleine lune. Les nuits tosoks sont sans doute plus claires que les nôtres, mais pas plus qu’une rue éclairée par un lampadaire.

— Ah ?

— Le problème n’est pas la luminosité d’Alpha du Centaure B, mais sa gravité. Clete l’a très bien expliqué dans son émission. D’après les lois de la mécanique céleste, dans un système double, les orbites restent stables dans la limite d’un cinquième de la distance séparant les deux étoiles quand elles sont au plus près l’une de l’autre. Dans le cas qui nous occupe, cette distance est de onze ua. En conséquence, les orbites des planètes gravitant autour de A restent stables dans la limite de deux ua, c’est-à-dire le double de la distance entre la Terre et notre soleil.

— Et au-delà, elles deviennent instables ? Frank acquiesce de la tête.

— Or, reprend-il, une orbite instable constituerait une menace grave pour la planète des Tosoks. Dans ce cas, il se pourrait qu’ils ne soient pas venus ici en simples visiteurs, mais dans l’idée de trouver un monde nouveau où s’installer.

— Vous voulez dire… Ils chercheraient à nous envahir ?

— C’est possible.

— Grand Dieu !

— Comme vous dites. Et souvenez-vous des mutilations subies par Clete : à l’évidence, les yeux sont une des parties les plus fragiles du corps humain. Quant à la gorge, vous avez entendu le professeur Wills : le risque de mort par suffocation est inhérent à sa conception même. Pour ce qui est de l’appendice, son éclatement entraîne la mort à moins d’être traité sans retard. Vous vous rappelez que Linda Ziegler a chargé Smathers de mettre au point une méthode d’exécution applicable à un Tosok ? Eh bien, peut-être les Tosoks ne cherchent-ils pas autre chose qu’un moyen de nous anéantir pour leur faire place nette.

Chapitre 33

Les moniteurs de la salle d’audience s’allument à nouveau sur une vue tremblante de l’intérieur du vaisseau tosok. Ces images-là ne proviennent pas d’un enregistrement car, cette fois, la transmission a lieu en direct.

Francis Antonio Nobilio se déplace en apesanteur le long d’une coursive faiblement éclairée. La sensation est grisante ; il lui semble avoir rajeuni de dix ans. Au début, il a un peu souffert de nausée mais son corps a eu vite fait de s’habituer à l’absence de gravité et, à présent, il s’amuse comme un fou. L’air qu’il respire est vaguement salé, comme en bord de mer, et mêlé d’effluves indéfinissables. Frank n’avait jamais rien perçu de tel en présence des Tosoks mais après plusieurs siècles passés à bord, il n’y aurait rien d’étonnant à ce que des odeurs corporelles normalement indétectables se soient intensifiées jusqu’à franchir le seuil de perception d’un odorat humain.

L’environnement sonore est également très riche, formé du sifflement assourdi des appareils électriques, du clapotis intermittent de la tuyauterie et d’un cliquetis que Kelkad, qui accompagne Frank, explique par l’échauffement de la coque du vaisseau quand son orbite l’éloigné de l’ombre de la Terre pour l’exposer au rayonnement solaire.