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— Nom de Dieu, laisse échapper Dale. Vous êtes venus anéantir toute forme de vie sur Terre.

— Pas exactement, Dale, d’ailleurs, je doute que nous en aurions les moyens. Mais pour plus de sécurité, nous comptions bien anéantir tous les vertébrés.

Tous les vertébrés, se répète Frank, abasourdi. C’est tellement énorme… Et, soudain, cela revêt un visage, un nom : Maria !

— C’est… c’est monstrueux, dit-il d’une voix tremblante de rage. C’est carrément diabolique. Qu’est-ce qui vous donne le droit de semer ainsi la mort à travers la galaxie ?

— C’est une bonne question, approuve Hask. Il se tourne vers Seltar avant de poursuivre :

— Du temps où nous pensions être d’essence divine, nous nous sentions autorisés à faire tout ce que bon nous semblait : après tout, si Dieu avait désapprouvé nos desseins, Elle nous aurait empêchés de les réaliser. Mais dès lors que nous avons su qu’il n’en était rien, que nous n’étions que les produits de l’évolution, la question de la légitimité de nos actes ne s’est même plus posée. Seuls les plus forts survivront ; c’est la loi de la jungle, comme on dit chez vous. Ainsi, nous avions non seulement le droit mais aussi l’obligation d’avantager notre espèce.

— Seigneur, soupire Dale.

— Je ne vous le fais pas dire, acquiesce Hask.

— Pardon ?

— Quand vous invoquez le nom de votre prétendu créateur sur ce ton, c’est bien pour marquer votre écœurement ?

— Ma foi… Oui.

— Dans ce cas, laissez-moi vous dire que je partage votre sentiment et Seltar aussi. Mais nous ne sommes qu’une infime minorité. Nous espérions que les autres se rendraient à la raison après vous avoir rencontrés, mais rien n’a pu les détourner de leur projet. Car, sans cette collision dans votre ceinture de Kuiper, ils auraient déjà mis celui-ci à exécution. Notre vaisseau mère est équipé d’une arme à faisceau de particules surpuissante que nous devions tester sur votre planète depuis notre orbite. En un rien de temps, nous aurions irradié toute la surface de la Terre. En fait, les autres ont toujours l’intention de le faire une fois les réparations achevées.

— Les autres Tosoks savent-ils que vous êtes un… fait Dale de sa voix grave.

— Un traître ? achève Hask en haussant les épaules – un réflexe acquis au contact des hommes. Ne soyez pas gêné d’employer ce terme ; pour ma part, je m’en glorifie presque. Non, ils l’ignorent. En réalité, nos chances reposaient sur deux espoirs. Le premier, c’était de prouver que votre race était d’essence divine. Si nous avions pu démontrer que vous étiez les véritables enfants de Dieu, nos semblables auraient renoncé à vous faire du mal. Mais vous êtes aussi imparfaits que nous.

— Quel était le second espoir ?

— Seltar. Une fois les réparations terminées et l’attaque contre la Terre imminente, Seltar devait saboter le vaisseau. Mais cela n’était possible qu’à la condition qu’on la croie morte. Nous nous serions alors retrouvés bloqués ici tous les huit, mais c’était un faible prix à payer.

— Pourquoi ne pas avoir mis à profit le temps où vous étiez seul réveillé pour neutraliser le vaisseau ? interroge Dale.

— J’ai envie de retourner chez moi, vous savez.

— Tu aurais pu tuer les autres dans leur sommeil, suggère Frank.

— Dieu ne m’a pas poussé à le faire. Malgré ce qui est arrivé à Clete, je ne suis pas un meurtrier.

— À ce propos, réagit Frank, qu’est-ce qui est arrivé à Clete ?

— Il a découvert que Seltar était toujours vivante. J’ai commis une imprudence. J’ai profité de ce que les autres étaient à la conférence de ce paléontologue pour contacter Seltar par radio. Elle me manquait tellement, comprenez-vous. Bien que mon traducteur ait été désactivé, Clete a surpris notre conversation. Je ne m’étais pas aperçu que lui aussi était resté pour travailler sur le script de son émission. Il avait l’habitude d’arpenter les couloirs en réfléchissant à ce qu’il allait écrire ; c’est comme ça qu’il m’a entendu parler à un Tosok autre que ceux qui s’étaient rendus à la conférence. Je l’ai suivi jusqu’à sa chambre, en lui expliquant combien il était important que ceci reste secret. Il a promis de n’en rien dire, mais j’ai bien vu qu’il mentait car son visage s’était éclairé.

— Pardon ? sursaute Dale.

— Quand les hommes mentent, leur visage s’éclaire. J’ai remarqué cela dès les premiers jours que j’ai passés sur Terre.

— Vous voulez dire que vous l’avez vu rougir ?

— Il n’a pas changé de couleur. Simplement, son visage s’est mis à briller.

— Je saisis, dit Frank. Je me doutais bien que vous distinguiez les infrarouges, mais…

— Je ne comprends toujours pas, soupire Dale.

— Hask voit la chaleur, lui explique Frank. Quand quelqu’un ment, même s’il ne rougit pas, les capillaires de son visage se dilatent, créant une sensation de chaleur dans les joues. Notre ami est un détecteur de mensonge ambulant.

— Les intentions de Clete ne faisaient aucun doute, confirme Hask. Sitôt que j’aurais eu le dos tourné, il aurait couru jusqu’à la salle de conférence pour tout te raconter, Frank. Je ne pouvais pas prendre le risque que quelqu’un divulgue notre secret à Kelkad et aux autres. N’oubliez pas qu’eux aussi savent quand vous mentez. Je… je voulais juste retenir Clete le temps de lui apporter la preuve de ce que les autres escomptaient faire, dans l’espoir qu’il s’engagerait à garder le silence. Alors, j’ai encerclé sa jambe avec le monofilament. Je lui ai dit de ne pas bouger, sans quoi il aurait la jambe coupée, mais… Il n’a pu s’empêcher de se débattre.

Hask observe un silence peiné, son toupet flottant tel un drapeau en berne.

— Je suis désolé. Je voulais juste l’empêcher de partir. Mais il s’est mis à saigner, à saigner… Je n’avais jamais vu autant de sang de ma vie.

— Et une fois qu’il a été mort, tu as décidé de le disséquer, reprend Frank.

— Oui. Tu comprends pourquoi ? En apportant aux autres une preuve de votre perfection, je vous aurais sauvés tous. Mais votre corps est bourré de défauts de conception. Si je ne savais pas comment me défaire du cadavre, j’ai pu au moins dérober quelques-unes des marques les plus flagrantes de votre évolution. Les défauts de votre gorge m’étaient déjà apparus, d’autant que je t’avais vu t’étouffer avec une gorgée d’eau, Frank. Pour l’œil, c’était moins évident, mais mon ordinateur de poche m’a fourni une assez bonne analyse de sa structure. Puis en explorant votre système digestif – une belle cochonnerie, si vous voulez mon avis –, j’ai découvert cette espèce de tube qui n’avait l’air de servir à rien. En balançant tout ça avec les ordures, j’espérais retarder le moment où les autres découvriraient que vous n’étiez pas d’essence divine.

— Mais pourquoi n’avoir pas dit la vérité ? demande Dale. Bon sang, vous avez été interviewé par Barbara Walters. Il aurait suffi que vous déclariez devant les caméras que les vôtres étaient venus pour nous détruire. On les aurait tous arrêtés et l’affaire était close.

— Vous ne pensez tout de même pas que nous nous sommes rendus sur Terre sans nous assurer que nous pouvions contrôler et manœuvrer notre vaisseau à distance ? Bien sûr, notre moteur principal a été endommagé mais le réacteur à fusion fonctionne toujours, de même que le canon à particules. On a implanté à Kelkad un microprocesseur qui lui permet de l’activer depuis le sol. S’il le faisait maintenant, il y perdrait la vie de même que le reste de l’équipage, mais il mourrait avec la certitude d’avoir accompli son destin et sa mission, c’est-à-dire stériliser la surface de votre planète. Si on tente de l’arrêter, il ne fait aucun doute qu’il déclenchera aussitôt le tir.