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Il n’a fallu qu’une minute à Hask pour achever ses préparatifs. Comme le martèlement des pas de Kelkad semble se rapprocher, il jette un coup d’œil depuis le seuil de sa chambre et aperçoit dix mètres plus loin une des portes en verre et en métal qui servent normalement à insonoriser le couloir. Nul doute qu’elles retrouveront leur utilité quand les étudiants auront investi les lieux mais depuis l’arrivée des Tosoks, celle-ci a été maintenue ouverte au moyen d’une cale de bois glissée sous le battant.

À en juger par le bruit, Kelkad approche à fond de train, persuadé qu’il est de trouver Hask désarmé. Mais pour bien le connaître, Hask se doute qu’il n’ouvrira pas tout de suite le feu. Il voudra d’abord le défier, se répandre en invectives contre ce maudit renégat…

Kelkad vient d’apparaître à l’intersection des deux ailes. Hask se retire vivement dans la chambre, la tête sortie pour l’observer. Kelkad ralentit avant de changer de direction mais il a vite fait de reprendre de la vitesse, sachant que le temps lui est compté d’ici l’arrivée probable de renforts policiers.

— Hask !hurle-t-il.

L’avantage d’avoir des canaux séparés pour la phonation et la respiration, c’est qu’on peut articuler tout en reprenant son souffle.

— Traître ! Distalb ! Espèce de…

Au même moment, il s’engouffre dans l’embrasure de la porte grande ouverte au milieu du couloir… et les mots restent bloqués dans sa gorge.

Entraîné par son élan, sa fureur et sa masse, Kelkad parcourt un peu plus d’un mètre sur sa lancée avant de chanceler et de semer derrière lui, telles les pièces d’un jeu de construction, des cubes de chair, d’os et de muscle poissés de sang rose dont certains rebondissent sur le sol.

Hask sort de sa retraite et s’avance vers les débris de ce qui fut autrefois son capitaine. Certains remuent encore, quoique la plupart soient tout à fait inertes. Très peu de sang a coulé, les valvules des veines et des artères ayant continué de fonctionner même après la mort.

Levant sa main dorsale, il caresse son toupet qui s’est mis à onduler sous l’effet du soulagement et baisse les yeux vers son trancheur que quelques gouttes de SuperGlue ont fixé au chambranle à environ un mètre vingt du sol. Il distingue également une douzaine de perles bleues elles-mêmes collées au chambranle, au linteau et au seuil, mais ne fait que deviner le réseau de lignes horizontales et verticales formé par le monofilament tendu en travers de l’ouverture.

La formule de son défunt ami Cletus Calhoun lui revient alors à l’esprit : « Ça coupe ! Ça découpe I »

On ne saurait mieux dire.

Hask baisse les yeux vers sa main ventrale. Dans sa hâte à construire son piège, il a eu un de ses doigts sectionné par le monofilament, mais il repoussera avec le temps.

De nouveaux bruits parviennent à ses oreilles, des hurlements de sirènes se rapprochant. La police sera bientôt là.

Au moins Hask est certain qu’on ne lui tiendra pas rigueur de ce crime-là.

Chapitre 38

L’affaire opposant l’État de Californie à Hask n’est pas close pour autant. Après l’arrestation des autres Tosoks, Hask et Seltar ont porté leur histoire à la connaissance du public et Hask est retourné à la barre des témoins pour dire l’entière vérité. Désormais, il ne fait plus aucun doute qu’il a bien tué Cletus Calhoun, Seltar n’étant en rien impliquée dans cette mort, contrairement à ce qu’affirmait Dale.

Après que Linda Ziegler a prononcé son réquisitoire, Dale lui succède dans une plaidoirie passionnée où il en appelle à l’indulgence du jury. Mais comme le stipule la loi de l’État, c’est à Ziegler qu’il appartient de conclure : Cletus Calhoun est mort, rappelle-t-elle aux jurés, et quelqu’un doit répondre de ce crime, indépendamment de toute autre considération.

Après cela, le juge Pringle doit encore donner ses instructions aux jurés, conformément au Code d’Instruction criminelle de l’État de Californie :

— Mesdames et messieurs les jurés, maintenant que vous avez entendu les arguments des deux parties, il est de mon devoir de vous instruire de la loi telle qu’elle s’applique dans cette affaire. Il vous sera remis une version écrite de ces instructions dans la salle des délibérations, de sorte que vous puissiez vous y référer à tout instant. Votre décision devra se fonder sur les faits ainsi que sur la loi. Deux devoirs vous incombent. En premier lieu, établir les faits en vous basant sur les preuves fournies au cours de ce procès, à l’exclusion de toute autre source. L’existence d’un fait peut être démontrée directement ou indirectement, par l’apport de preuves ou par stipulation. On appelle « stipulation » un accord sur les faits intervenus entre les parties. En second lieu, vous devrez appliquer à ces faits la loi telle que je vous l’aurai exposée afin de parvenir à un verdict. Notez bien que vous êtes tenus de suivre la loi telle que je vous l’aurai exposée, et ce, que vous l’approuviez ou non. Si quoi que ce soit dans les propos des parties vous semblait contredire mon interprétation de la loi, vous devriez vous en tenir à mes instructions…

Le juge va poursuivre ainsi durant une bonne partie de l’après-midi, avant de conclure d’une voix notablement enrouée :

— Vous allez maintenant vous retirer et désigner celui ou celle d’entre vous qui présidera les délibérations. Le verdict ne pourra être rendu que lorsque l’ensemble des douze jurés seront parvenus à une décision commune. Lorsque vous vous serez tous mis d’accord, vous regagnerez cette salle avec les formulaires datés et signés par votre président…

— Qu’est-ce qu’on fera si le jury rend un verdict de culpabilité ? lance Dale à l’adresse de Frank.

Nul ne pouvant dire combien de temps dureront les délibérations – peut-être quelques heures, ou plusieurs jours –, les deux hommes ont regagné le cabinet de Dale tandis que Hask passe ce qui sera peut-être ses dernières heures de liberté en compagnie de Seltar.

— On fera appel, non ?

— C’est ce qu’on dit toujours dans ces cas-là, soupire Dale. Seulement, il n’y a pas moyen de faire appel du verdict d’un jury. Notre seule chance serait que le juge ait commis une erreur – par exemple, qu’elle ait retenu des objections qu’elle aurait dû rejeter, qu’elle ait refusé des preuves qu’elle aurait dû accepter ou que ses instructions au jury soient entachées d’un vice de forme. Mais même ainsi, nous n’aurions aucune garantie que le verdict soit cassé.

— Oh ! fait Frank, désappointé. C’est tout le temps qu’on entend parler de procédures en appel. Je croyais qu’on avait automatiquement droit à une deuxième chance.

— Eh non ! D’où ma question : qu’est-ce qu’on fera en cas de verdict positif ?

— Je n’en sais rien. Vous avez une idée ?

— Oui. En toucher un mot à votre patron.

— Je vous demande pardon ?

— Il n’y a que deux personnes au monde qui soient plus puissantes que ce jury. L’une est le gouverneur de Californie et l’autre, le président des États-Unis.

— Un recours en grâce, approuve Frank.

— Tout à fait. En aucun cas le gouverneur ne prendra le risque de se mettre Monty Ajax à dos, sachant qu’il l’aura pour adversaire lors de la prochaine élection. Reste le Président.

— Bon sang, je ne sais pas si… Il a horreur de ce genre de trucs, surtout à l’approche des élections.