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Encore quelques minutes et ils franchissent le cercle terminateur pour s’enfoncer dans la nuit. Au-dessus d’eux, les étoiles sont d’une immobilité parfaite ; au-dessous, les lumières des villes forment des constellations scintillantes.

Bientôt, la capsule passe en orbite et la main invisible qui comprimait le flanc de Clete relâche son étreinte. Une sensation de légèreté l’envahit, accélérant les battements de son cœur.

Et brusquement, le vaisseau mère surgit devant ses yeux, flottant majestueusement dans l’espace avec lequel il se confond presque. De forme allongée, il se termine à un bout par un habitacle sphérique et à l’autre par ce qui semble être un moteur. L’éloignement de ces deux parties suggère que le vaisseau utilise l’énergie nucléaire. La plupart des théories sur la propulsion des engins spatiaux supposent une accélération constante jusqu’à mi-course, puis un retournement suivi d’une décélération progressive. En conséquence, il est probable que le vaisseau extraterrestre s’est approché de la Terre à reculons. Clete se promet de jeter un coup d’œil aux clichés pris par ses collègues astronomes ces derniers mois : il se pourrait que l’un d’eux ait enregistré ses rejets par inadvertance. L’analyse de leur spectre leur fournirait sans doute de précieux renseignements sur la technologie tosok.

D’après Hask, la gravité serait plus élevée sur sa planète que sur Terre. Mais bien sûr, le vaisseau se trouve maintenant en apesanteur même si, durant le voyage, l’accélération constante devait procurer aux passagers la sensation d’une pesanteur normale.

Clete n’est toujours pas revenu de sa surprise : voyager dans l’espace est une expérience unique en soi, mais quand ce voyage se fait en compagnie d’un extraterrestre… Il y a de quoi vous faire tourner la tête !

Et que dire de l’apesanteur ? Il retrouve tout à fait les sensations décrites par Armstrong et les autres astronautes. Un jour, pour les besoins de son émission, il est monté à bord de la « comète gerbante », le jet KC-135 avec lequel la NASA entraîne les astronautes. C’était rigolo, mais que dire de ceci… C’est tout simplement fabuleux !

Clete a fait beaucoup de chemin depuis son enfance misérable dans les collines du Tennessee. À présent, il est un homme riche, célèbre, habitué des plateaux de télévision. Mais il a toujours dit qu’il échangerait volontiers tout cela contre la possibilité d’aller dans l’espace et la certitude que la vie existait ailleurs, sur une autre planète.

Comme il l’avait deviné, le module est entièrement automatisé. Pas une fois il n’a vu Hask toucher au tableau de bord. Tandis qu’il manœuvre pour se ranger le long du vaisseau mère, Clete remarque que ce dernier paraît avoir subi des dommages, même s’il est difficile d’apprécier leur gravité.

— Un impact à l’entrée de votre système solaire, explique Hask tandis que Clete lui désigne le flanc du vaisseau. Nous avons été surpris par la quantité de poussières à cet endroit.

— Où ça ?

— À une distance d’environ cinquante fois le rayon orbital de la Terre.

La ceinture de Kuiper… Le grand réservoir de comètes par-delà l’orbite de Neptune.

— Il a subi une avarie sérieuse ?

— Il doit être réparé. Pour ça, nous avons besoin de votre aide. Clete tourne vers son compagnon un regard étonné.

— Ce sera avec plaisir, dit-il.

Ils continuent d’approcher du vaisseau dont Clete estime la longueur à environ trois cents mètres. Si sa coque réfléchissait davantage la lumière, il aurait été aisément repérable depuis le sol.

La capsule s’arrime directement au vaisseau, à l’arrière de l’habitacle. Nul hangar ne s’ouvre devant eux à la manière d’un bivalve, comme sur l’Enterprise. À dire vrai, Clete n’a jamais trouvé ce système très crédible. D’autres modules (deux semblables au leur et un troisième de forme plus effilée) sont déjà en place. Une cinquième porte est inoccupée.

— Y a-t-il une porte en plus ou bien manque-t-il un module ? interroge Clete.

— Un module manque, répond Hask. Il s’est détaché au moment de l’impact. Impossible de le récupérer.

Hask se propulse en avant et la double porte du sas coulisse, révélant l’intérieur du vaisseau. Si l’éclairage blafard imite la lumière naturelle de la planète des Tosoks, il y a fort à parier que celle-ci est une étoile de classe G. Dans ce secteur de la galaxie, outre notre soleil, les seules représentantes de cette catégorie sont Alpha du Centaure A et Tau Ceti.

Une certaine fraîcheur – pas plus de 10 °C – règne à bord et l’apesanteur est proprement enivrante. Clete se livre à quelques acrobaties sous le regard de son compagnon dont le toupet décrit des ondulations qui expriment peut-être l’ami" sèment. Puis Hask enfile un couloir, suivi de Clete qui s’efforce de se diriger tout en gardant un œil sur le petit écran à cristaux liquides de son caméscope. L’étroitesse de l’habitacle, apparemment incompatible avec la durée du voyage, ne laisse pas de l’étonner, de même que le fait qu’ils n’aient encore rencontré aucun membre de l’équipage.

— Où sont les autres ? s’enquiert-il.

— Par ici.

Tous les quelques mètres, Hask repousse légèrement la paroi de sa main dorsale pour s’aider à progresser. Il est aisé de distinguer le sol du plafond, car ce dernier présente à intervalles réguliers des lampes circulaires diffusant une lumière blanchâtre, intercalées avec de minuscules ampoules orangées – un éclairage de sécurité ?

Clete a d’abord cru que le sol était recouvert d’une épaisse moquette pourpre mais en y appuyant la main pour se propulser, il constate qu’il s’agit en fait d’une sorte de végétal. Plutôt qu’une pelouse, on dirait un tapis de tampons Jex un peu usés. Plusieurs explications lui viennent à l’esprit : il se peut que ces plantes servent à recycler l’oxyde de carbone en oxygène, à moins qu’elles ne représentent une source de nourriture pour les Tosoks. Plus simplement, peut-être ceux-ci aiment-ils la sensation qu’elles procurent à leurs pieds nus. Sans trop présumer de la psychologie des Tosoks, on peut supposer que le moindre détail susceptible d’égayer un voyage de cette durée soit le bienvenu.

Enfin, une porte coulisse devant eux, libérant une bouffée d’air si froid que Clete en a la chair de poule. Pourvu que l’objectif de sa caméra ne soit pas embué !

À l’intérieur, ils trouvent six Tosoks sanglés sur des tables et presque entièrement recouverts d’un drap en plastique rouge. La petite cabine contient encore deux autres couchettes inoccupées (l’une a dû servir à Hask et l’autre au huitième membre d’équipage, décédé au cours du voyage). Clete observe sur leur longueur une dépression destinée à accueillir un bras. Il ne saurait dire si les autres Tosoks reposent sur le dos ou sur le ventre : pour autant qu’il a pu en juger chez Hask, l’avant de leur corps ne diffère de l’arrière que par l’intérieur de la bouche, la couleur des yeux et la robustesse du bras. Or, ces Tosoks-ci ont la bouche et les yeux clos et leur bras disparaît sous une couverture.

— Que font-ils ? demande-t-il.

— Ils dorment.

Tous en même temps ? La logique voudrait qu’ils dorment par roulement et… La lumière se fait alors dans son esprit : il y a plusieurs années, sinon plusieurs siècles, que l’équipage est ainsi plongé dans le sommeil. Si les Tosoks parviennent à supporter d’aussi longs vols, c’est grâce à l’hibernation.