Sur l’autre face du vaisseau, on distingue très nettement la Voie lactée ainsi qu’Andromède et les deux nuages de Magellan.
Le lendemain de son arrivée, une petite sphère translucide se détache du vaisseau et tombe en direction de la Terre à une vitesse de cinq cents kilomètres heure – rapide, mais pas assez pour qu’elle s’enflamme au contact de l’atmosphère. À environ trois mille mètres du sol, elle ralentit sa course et se pose aussi doucement qu’une plume devant le siège de l’ONU, juste à côté de la navette tosok à bord de laquelle Hask et Seltar sont arrivés la veille. On pourrait en conclure que les nouveaux venus sont conscients de la signification des Nations unies, à moins qu’ils n’aient tout bonnement repéré l’appareil tosok à l’aide d’un radar.
Les troupes onusiennes et américaines leur ont réservé un accueil musclé, avec chars et bazookas. Il est peu probable que ceux-ci soient assez puissants pour détruire le vaisseau, mais il ne sera pas dit que la Terre succombera sans avoir livré bataille.
Le président des États-Unis en exercice a rejoint le poste de commandement souterrain conçu en.as de guerre nucléaire, quelque part en Virginie. Frank Nobilio se trouve à ses côtés. Un satellite de communication leur permet de rester en contact avec les troupes à New York ; parallèlement, ils suivent les événements en direct sur CNN.
Dix minutes après que le vaisseau s’est posé au sol, une porte se matérialise dans son flanc jusqu’ici parfaitement uni. Le panneau incurvé s’incline lentement vers le sol, formant une passerelle. L’image se brouille une fraction de seconde, le temps que le cameraman de CNN obtienne un gros plan de la créature qui vient de s’avancer sur le seuil… Une créature qui n’a rien à voir avec un Tosok.
Le nouvel arrivant, d’une taille d’environ un mètre vingt, présente une organisation de type radiaire, telles les étoiles de mer. Il est porté par six jambes alternant avec six bras ou tentacules qu’il tient bizarrement dressés, comme en signe de reddition.
— Est-ce que c’est vivant ? interroge le Président. Ou bien est-ce un robot ?
Le cameraman se tient à plusieurs centaines de mètres de la créature, ce qui explique que le moindre mouvement de l’objectif se traduise par un brusque soubresaut de l’image.
— On dirait que c’est en métal, remarque Frank – il occupe les mêmes fonctions de conseiller scientifique auprès de ce Président-ci qu’auprès de son prédécesseur.
La créature vient de faire un pas sur la passerelle. CNN introduit un plan de coupe sur les troupes. Toutes les armes sont pointées sur l’étoile de mer géante. Comme celle-ci entreprend de descendre la passerelle, Frank se rapproche de l’écran pour mieux l’observer.
— Non, dit-il, ce n’est pas un robot. Cela porte une combinaison spatiale. Vous voyez ?
Il montre du doigt les jambes de la créature. À chacune est fixé un tube cylindrique contenant probablement les gaz que respire l’alien.
— Mais les Tosoks respirent notre atmosphère, remarque le Président.
— Cela veut dire que non seulement cet être n’est pas un Tosok, mais qu’il ne vient pas de la même planète.
— Pourquoi lève-t-il les bras comme ça ?
— Pour faire voir qu’il n’est pas armé ? hasarde Frank. Monsieur le Président, reprend-il après un silence, vous devriez ordonner à nos soldats de baisser leurs armes.
— On ne sait toujours pas à quoi on a affaire, objecte un des généraux assis aux côtés du Président.
— Bon Dieu, Karl, s’impatiente Frank, vous avez jeté un coup d’œil à son vaisseau ? Si cette créature avait voulu nous tuer, elle aurait pu le faire depuis là-haut.
Le Président s’empare d’un téléphone.
— Nous demandons à l’officier commandant les forces de l’ONU de mettre ses troupes au repos, lâche-t-il dans le combiné.
Pendant ce temps, l’alien continue d’avancer.
— Frank, il faut qu’on parle à cette chose, décide le Président. Croyez-vous qu’on puisse communiquer avec elle comme avec les Tosoks ?
— Je l’ignore, répond Frank.
Puis il lui vient une illumination.
— Cette créature a beau ne pas être un Tosok, je suis prêt à parier qu’elle comprend leur langue. Après tout, il est probable qu’elle est là en réaction au message de Kelkad.
— Alors ?
— Alors, dites à Hask de s’avancer à sa rencontre.
Chapitre 40
Après discussion, il apparaît plus sûr de désigner un homme pour établir le premier contact. Certains n’ont toujours pas confiance en Hask et Seltar, sans compter que le nouvel alien pourrait représenter un danger pour les deux Tosoks : aux yeux des leurs, ceux-ci sont ni plus ni moins des traîtres à la patrie.
Frank Nobilio étant la seule personne encore vivante à avoir l’expérience de ce type de situation, c’est à lui qu’échoit cette mission. Bientôt, il quitte le centre de commandement secret à bord d’un jet biplace Harrier TAV-8B VTOL détaché de la base de Cherry Point, en Caroline du Nord, pour se rendre au siège de l’ONU.
À son arrivée à New York, il retrouve Hask et Seltar dans une pièce du bâtiment du Secrétariat, ce monstrueux monolithe lancé à l’assaut du ciel.
— Je suis content de te revoir, ami, lui dit Hask.
— Moi aussi, Hask. Tu reconnais ce vaisseau ? demande Frank en désignant l’appareil extraterrestre qui se profile derrière les vitres miroir du bureau.
— Non, mais cela ne veut rien dire. Tant de choses ont dû changer depuis notre départ, il y a de ça deux siècles. Mais quoi qu’il vous arrive, reprend-il avec un frémissement ému de son toupet, je tiens à te remercier pour l’aide que tu m’as apportée et je te prie de ne pas oublier que l’humanité compte au moins quelques amis en dehors de cette planète.
— Je n’oublierai pas, promet Frank.
Seltar lève son bras ventral et tend une main timide vers la tête de Frank.
— Je peux ?
Frank en reste tout interdit, puis il se ressaisit et sourit. Les doigts en spatule de Seltar viennent ébouriffer ses cheveux désormais presque tous gris. Quand elle en a fini avec lui, Frank effleure rapidement son toupet de sa main droite avant d’en faire autant à Hask, lequel manifeste alors un vif étonnement.
— Il faut que j’y aille, dit Frank. Il ne serait pas correct de ma part de faire attendre nos nouveaux visiteurs.
Hask tire de la poche de sa tunique son mini-ordinateur à clavier cruciforme et le tend à son ami sans un mot. Frank se fait ensuite conduire au rez-de-chaussée par l’ascenseur et traverse le parking à pas lents, jusqu’au vaisseau sphérique. Entre-temps, le passager s’est retiré à l’intérieur. Frank craint de devoir emprunter la passerelle pour tambouriner contre la coque mais alors qu’il n’est plus qu’à une dizaine de mètres, la porte s’ouvre à nouveau, livrant passage au même alien ou à un autre en tout point semblable.
Frank lui fait voir l’ordinateur, dans l’espoir qu’il le reconnaisse et sache quel usage en faire. Rien n’est moins sûr : pour sa part, Frank serait bien en peine d’identifier un outil agricole de l’Italie du dix-neuvième siècle, et encore moins un objet émanant d’une civilisation étrangère.
Soudain, l’alien déplie un de ses membres – à le voir bouger, on dirait plutôt un bras articulé en plusieurs points qu’un tentacule. Frank prend une profonde inspiration et continue d’avancer. Comme il l’avait deviné, l’alien est vêtu d’une sorte de combinaison argentée. À la jonction de chaque jambe avec le torse, une bande de tissu plus claire laisse entrevoir la peau de la créature, d’un jaune doré avec des écailles. Il apparaît tout à coup à Frank que ces bandes plus claires n’ont d’autre raison d’être que de permettre la vision – chacune des jambes présente en effet deux yeux de forme ovale, placés l’un au-dessus de l’autre. Ces yeux ont des paupières qui se ferment de gauche à droite, jamais simultanément pour ceux d’une même jambe. Les réservoirs de gaz se raccordent à la combinaison à la naissance de chaque jambe – ce doit être là que se trouvent les orifices respiratoires de la créature.