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Frank tient toujours l’ordinateur à hauteur de son visage. La petite taille de l’alien lui permet de l’observer pardessus. Son corps est un parfait exemple de symétrie radiaire et rien n’indique qu’il présente une face antérieure et postérieure. Bien que le bras qu’il tend vers lui ait son extrémité gantée de la même étoffe argentée que la combinaison, Frank devine qu’il forme une fourche dont les deux branches ont vite fait de cueillir l’ordinateur dans sa main. La combinaison était presque brûlante au toucher, à croire qu’elle repousse l’excédent de chaleur. Frank en conclut aussitôt que l’alien vient d’un monde plus froid que la Terre.

La créature plie le bras, approchant l’ordinateur d’une de ses paires d’yeux. Puis elle le retourne, semblant hésiter sur la manière de le tenir. Frank sent ses espoirs s’écrouler. On dirait qu’il va falloir tout reprendre de zéro, apprendre à communiquer étape par étape.

Tout à coup, une deuxième étoile de mer émerge du module sphérique et se dirige vers Frank dans un mouvement de rotation de tout le corps. Comme elle parvient à sa hauteur, Frank remarque dans une de ses mains un appareil doté d’une de ces fiches à trois branches caractéristiques de la technologie tosok. Le nouveau venu retire l’ordinateur de Hask à son compagnon et le connecte à l’appareil qu’il a apporté. Aussitôt, les voyants des deux machines se mettent à clignoter.

Frank prend alors conscience d’une sorte de bourdonnement à peine audible. Après avoir incriminé l’ordinateur, il identifie bientôt la source du bruit : il semble que les deux aliens se soient lancés dans une conversation composée pour l’essentiel d’ultrasons, chacun émettant tour à tour l’espèce de vrombissement qui a attiré son attention.

Puis le clavier de l’ordinateur de Hask cesse brusquement de clignoter, le second alien le déconnecte et le tend à Frank qui s’empresse de le récupérer, malgré sa surprise. L’alien confie ensuite l’appareil qu’il avait apporté à son compagnon et recule d’une dizaine de mètres, toujours en tournoyant sur lui-même.

Le premier alien émet encore quelques bourdonnements sourds, puis la voix synthétique que Frank a fini par associer à Hask jaillit de l’appareil qu’il tient toujours entre ses mains :

— Est-ce que vous me comprenez ?

— Oui, répond Frank, le cœur battant.

— Le registre vocal tosok que vous semblez utiliser pour communiquer ne permet pas de restituer mon nom individuel. Veuillez m’attribuer un nom dont vous puissiez reproduire les sonorités.

— Euh, bafouille Frank, pris de court. Tony… Je vous appellerai Tony.

— Tony. Et vous êtes… ?

— Frank.

— Nous nous sommes mis en route sitôt après avoir intercepté le message tosok. Depuis notre orbite, j’ai pu constater que nous n’arrivions pas trop tard.

— Trop tard pour quoi ?

— Pour empêcher l’éradication de toute vie sur votre monde.

— Et c’est pour ça que vous êtes venus ?

— En effet. Les Tosoks ont également tenté de nous exterminer, mais nous ne manquons pas de ressort, si j’ose dire. Nous avons réussi à les vaincre.

Le visage de Frank s’épanouit dans un large sourire.

— Bienvenue sur Terre, ami.

Les nouveaux visiteurs – immédiatement baptisés « Toupies » par le correspondant de CNN – sont originaires de l’étoile appelée Epsilon Indi, située respectivement à onze et neuf années-lumière de la Terre et d’Alpha du Centaure. Les Toupies ayant découvert les ondes radio des siècles avant les hommes, les Tosoks ont dépêché vers leur planète un vaisseau ultra-rapide, parvenu à destination quelque trente ans plus tôt. Toutefois, les Toupies ont réussi à vaincre leurs envahisseurs au terme d’une guerre interminable.

Leur magnifique vaisseau comporte un équipage de vingt-six membres, mais seul Tony est en contact avec les Terriens. Ce jour-là, il doit prononcer un discours devant l’Assemblée générale des Nations Unies, à la même tribune que Kelkad cinq ans plus tôt. Déployé sur le mur derrière lui, l’emblème de la planète qu’il vient d’aborder le domine de sa taille dans son berceau d’olivier, le faisant paraître encore plus trapu.

Tony n’utilise plus la voix de Hask. Après qu’on lui a exposé le problème, il a demandé un échantillon d’une voix qu’il puisse s’approprier. Après mûre réflexion, Frank a chargé un de ses assistants de louer la cassette de Du silence et des ombres chez Blockbuster Video, ce qui explique que Tony s’exprime maintenant avec la voix de Gregory Peck, l’interprète d’Atticus Finch.

— Peuples de la Terre, commence-t-il, je vous apporte le salut de nos gouvernants. Nous nous réjouissons que vous ayez pu déjouer le plan des Tosoks et que vous soyez saufs. Mais d’autres mondes ont été moins heureux. Nous en avons identifié trois qui ont été anéantis. De même, deux des continents de notre planète ont été rendus inhabitables durant le conflit qui nous a opposés à eux. Je conçois que vous ayez des griefs contre les Tosoks qui ont tenté de vous exterminer, mais vous admettrez, je l’espère, que leurs méfaits se sont bornés à tuer une poignée d’individus. En accord avec les peuples des deux autres mondes qui ont eu à subir la même menace, nous entendons que les Tosoks survivants – y compris les cinq impliqués dans le complot contre la Terre – soient jugés pour génocide et tentative de génocide. Si vous le souhaitez, nous vous invitons à collaborer à cette entreprise. Quoi qu’il en soit, nous réclamons officiellement l’extradition des Tosoks connus sous les noms de Rendo, Torbat, Dodnaskak, Stant et Ged. Vous avez notre promesse qu’ils paieront pour leurs crimes. Me voici donc au siège de vos Nations unies, dont l’histoire brève mais – pardonnez-moi de le dire – agitée m’a été narrée depuis mon arrivée. L’ONU, malgré les difficultés auxquelles elle se heurte, représente un idéal ; la croyance selon laquelle il serait possible de travailler ensemble à la paix. Bien sûr, elle a connu bien des échecs et rien ne dit qu’elle n’en connaîtra pas d’autres. Pourtant, mon peuple partage cet idéal, cet espoir, de même que les habitants des mondes mentionnés plus haut. Nos trois planètes ont entrepris de créer une Organisation des Mondes unis, pourrait-on dire, qui œuvrera dans l’intérêt commun et veillera à ce qu’il n’éclate plus jamais de guerre d’une étoile à une autre. Pour être franc, votre monde apparaît primitif comparé aux membres actuels de cette organisation. Mais j’ai pu constater que l’ONU avait toujours encouragé les progrès de ses membres les moins riches et les moins développés. Cet idéal commun explique ma présence aujourd’hui parmi vous, qui représentez ici vos nations en même temps que l’ensemble de l’humanité. Si je me trouve ici, c’est pour inviter la Terre à se joindre à nous.

Durant quelques secondes, Tony donne l’impression de contempler l’océan humain qui s’étend à ses pieds, où se mêlent le blanc, le noir et le jaune.