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Clete oriente sa caméra de manière à filmer toute la pièce. Chaque couchette est flanquée d’un tableau lumineux affichant des courbes et des graphiques. L’étude de ceux-ci fournirait sans doute de précieuses indications sur la physiologie des Tosoks. Certains tableaux sont reliés à des appareils tandis que d’autres ont leurs prises vacantes.

— Je vais augmenter la température pour les réveiller, explique Hask. Lui (il désigne un Tosok à la peau d’un bleu plus soutenu que la sienne), c’est Kelkad, le capitaine de ce vaisseau.

Il y a longtemps que les hommes rêvent de recourir à la cryogénisation pour ralentir leurs fonctions vitales. Mais s’il règne un froid de canard dans la pièce, on est loin du zéro absolu. C’est à croire que les Tosoks ont la faculté innée d’hiberner, à l’instar d’un certain nombre d’espèces animales terriennes.

Le blouson et le pantalon en jean de Clete le protègent mal du froid. En revanche, il ne se lasse pas de l’apesanteur et trouve fascinants les moindres détails qui l’entourent. Les seules articulations qu’il remarque n’ont manifestement d’autre raison d’être que de faciliter l’entretien des objets. Pour le reste, tous paraissent avoir été fabriqués d’une seule pièce. La plupart sont en vitrocéramique, même si on aperçoit çà et là un peu de métal.

— Ils peuvent hiberner pendant des siècles sans l’aide d’aucun appareil ni médicament ?

— Oui.

Clete secoue la tête, abasourdi.

— Tu sais, dit-il, avant d’être allés dans l’espace, les hommes n’étaient même pas sûrs de pouvoir y vivre. Jusque-là, on avait toujours été soumis à la gravité, aussi rien ne prouvait que notre organisme s’adapterait à son absence. En réalité, l’homme peut très bien vivre en apesanteur, si ce n’est que son équilibre en est chamboulé. Les rêveurs dans mon genre y ont vu la preuve que notre race était programmée pour aller dans l’espace.

Pendant que Clete parlait, le traducteur de Hask émettait des bips chaque fois qu’il butait sur un mot inconnu, toutefois l’alien semble avoir saisi l’essentiel de son développement.

— Une idée intéressante.

— Mais si on peut recréer la gravité au moyen de la force centrifuge ou d’une accélération constante, il n’y a pas moyen d’agir sur la durée des voyages interstellaires. Pour le coup, votre capacité à vous mettre en veilleuse vous donne un net avantage sur nous. Il est possible que nous soyons destinés à voler en orbite mais vous, à l’évidence, avez été conçus pour voguer d’étoile en étoile.

— Beaucoup de nos philosophes souscriraient à cette opinion, observe Hask. Pas tous, bien sûr, ajoute-t-il après une pause.

Après ça, ni l’un ni l’autre ne souffle mot durant plusieurs minutes.

— J’ai faim, déclare enfin Hask.

Clete n’en est pas autrement surpris : à sa connaissance, Hask n’a pris aucune nourriture depuis l’amerrissage de sa capsule.

— Les autres en ont pour plusieurs heures avant d’être réveillés. Veux-tu de quoi t’alimenter ? s’enquiert l’extraterrestre.

— J’ai emporté des rations de la Navy avec moi. Ça n’est pas de la grande cuisine mais enfin, ça ira.

— Viens avec moi.

Clete et Hask tuent alors le temps en bavardant autour de leurs rations. Clete trouve la façon de manger des Tosoks tellement fascinante – quoique vaguement répugnante – qu’il filme de bout en bout le repas de son compagnon. Quand les autres Tosoks se trouvent assez réveillés pour quitter la chambre d’hibernation, il a enfin l’occasion de les entendre parler leur langue entre eux. Si certaines sonorités lui rappellent un peu l’anglais, il note également des claquements, des cliquettements (ainsi que d’autres bruits évoquant le choc de deux baguettes) qu’un homme ne saurait reproduire sans l’assistance d’une machine.

La peau des Tosoks présente toute une palette de nuances. Si Hask tire sur le gris, un de ses compagnons est carrément anthracite alors qu’un troisième se signale par des reflets bruns. Deux autres sont vert turquoise et le dernier, bleu marine. Kelkad, le capitaine, est légèrement plus clair que ce dernier. De même, un seul d’entre eux a ses quatre yeux identiques. Pendant que ses coéquipiers discutent à n’en plus finir, l’un d’eux donne libre cours à sa curiosité. Il palpe Clete sur tout le corps, lui ébouriffe les cheveux et approche son visage à quelques centimètres du sien en le fixant de ses yeux ronds.

Hask paraît faire son rapport à l’équipage. Pour autant que Clete peut en juger, la communication gestuelle est peu développée chez les Tosoks. En revanche, il semble que les mouvements du toupet servent à introduire des nuances dans le discours. Dans son monologue, Hask emploie à plusieurs reprises un mot qu’on pourrait transcrire par Crash-boum ! Clete en déduit qu’il leur décrit l’explosion qui a dû accompagner la collision dans la ceinture de Kuiper. Apparemment, seuls Hask et son compagnon décédé ont assisté à l’événement.

Le capitaine Kelkad paraît mécontent – il parle plus fort que nécessaire et son toupet est agité de tressaillements. Peut-être estime-t-il que Hask a outrepassé ses prérogatives en entrant en contact avec les hommes durant son sommeil, à moins que ce ne soit la mort de son équipier qui l’affecte ainsi.

À la fin, il se tourne vers Clete et prononce des paroles que Hask s’empresse de traduire :

— Kelkad dit qu’il est prêt à rencontrer vos dirigeants. Nous pouvons retourner sur Terre.

Chapitre 5

Le vaisseau tosok survole l’East River au ras de l’eau jusqu’à Turtle Bay, siège du palais des Nations Unies. Là, il fait une chandelle au-dessus du dôme de l’Assemblée générale et décrit trois cercles autour des trente-neuf étages du Secrétariat avant de se poser au pied du premier bâtiment. Pas de doute, les Tosoks ont le sens de la mise en scène. Près de deux milliards de personnes suivent l’événement en direct sur leur poste de télé et la moitié au moins des New-Yorkais se pressent dans les rues, le nez levé vers le ciel.

On a installé un cordon de sécurité autour du siège de l’ONU. Derrière les barrières, des gardes en uniforme gris contrôlent sévèrement l’accès du bâtiment. Frank Nobilio se demande avec anxiété si ces précautions suffiront. Il a passé des heures à étudier les clichés du vaisseau mère pris par le télescope spatial Hubble. Les types de la NASA ont déterminé qu’il était propulsé à l’énergie nucléaire. Un rejet dirigé vers la Terre causerait d’énormes dégâts. Frank songe avec terreur à ce qui pourrait arriver si un des Tosoks était assassiné.

Malgré cela, il ressent toujours la même émotion à se trouver dans cet endroit. Certes, au cours de son histoire, l’ONU a connu plus d’échecs que de réussites. Pourtant, aux yeux de l’ex-étudiant de Berkeley, engagé volontaire des Peace Corps et vétéran des manifs pour la paix au Viêt-nam, elle continue d’incarner le plus noble des idéaux humains.

« Nous, peuple des États-Unis »… Les années passées dans les coulisses de Washington n’ont en rien entamé la foi de Frank en ces paroles magnifiques. Mais celles gravées sur la plaque géante à l’entrée du bâtiment de l’Assemblée générale lui semblent encore plus grandes :

NOUS, PEUPLES DES NATIONS UNIES, RÉSOLUS À PRÉSERVER LES GÉNÉRATIONS FUTURES DU FLÉAU DE LA GUERRE QUI DEUX FOIS EN L’ESPACE D’UNE VIE HUMAINE A INFLIGÉ À L’HUMANITÉ D’INDICIBLES SOUFFRANCES, À PROCLAMER À NOUVEAU NOTRE FOI DANS LES DROITS FONDAMENTAUX DE L’HOMME, DANS LA DIGNITÉ ET LA VALEUR DE LA PERSONNE HUMAINE, DANS L’ÉGALITÉ DE DROITS DES HOMMES ET DES FEMMES, AINSI QUE DES NATIONS GRANDES ET PETITES…

En vérité, l’humanité peut être fière de ces paroles. Alors que la foule retient son souffle, attendant l’ouverture du module, Frank ne peut réprimer un sourire : n’en déplaise à ses détracteurs, il est heureux qu’il existe un endroit pareil pour accueillir les aliens.