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Le jeune Richard et la jeune Leslie écoutaient ces paroles avec tant d’attention qu’il était impossible de lire la moindre émotion sur leur visage.

« Peut-être, leur dis-je en m’apercevant de cela, qu’elle a raison ? Peut-être devriez-vous nous envoyer au diable et nous intimer l’ordre de partir et de vous laisser tranquilles avec toutes nos sornettes. Car si tel était votre souhait, nous partirions sur-le-champ, compte tenu du fait que nous avons nous aussi nos petits problèmes à régler !

— Non, non ! s’écrièrent-ils en même temps tous les deux.

— Vous nous avez dit, renchérit ensuite la jeune Leslie, que nous vivrions encore au moins seize ans. Qu’il n’y aurait pas de guerre, pas de fin du monde. Mais est-ce vous qui avez survécu à votre époque ou nous qui survivrons à la nôtre ?

— Croyez-vous que nous sachions ce qui se passe exactement ? dis-je en prenant la parole. Eh bien, tel n’est pas le cas, et de fait, nous ne savons même pas si nous sommes morts ou vivants. Tout ce que nous pouvons affirmer, c’est qu’il nous a été possible, à nous du futur, de vous rencontrer, vous du passé.

— Il est une chose dont nous aimerions nous assurer, ajouta mon épouse en prenant la parole à son tour.

— Quelle est-elle ? lui demanda la jeune Leslie en levant vers elle ses beaux yeux.

— Eh bien, c’est que quoi qu’il arrive, jamais vous ne nous trahirez et jamais vous ne nous oublierez ! Car nous sommes ceux qui vous succèdent et qui paient pour vos erreurs passées et tirent profit de vos réussites. Nous sommes ceux qui se réjouissent de vos bons coups et qui sont attristés par vos mauvais coups. Bref, nous sommes les meilleurs amis que vous puissiez avoir, et nous ne voudrions pas souffrir à cause de vous.

— En terminant, je puis vous certifier, dis-je à mon tour, que le bien-être à court terme n’est pas la solution à vos problèmes à long terme. Car ce qui semble la voie la plus facile, ne l’est pas nécessairement ! » Puis m’adressant au jeune Richard, je lui dis : « Savez-vous combien d’invitations à la facilité vous seront faites au cours des seize prochaines années ?

— De nombreuses ? » dit-il d’un ton interrogateur. J’acquiesçai.

« Que faire pour éviter de commettre des erreurs ? demanda-t-il au bout d’un moment.

— Il est parfois indispensable d’en commettre, lui répondis-je.

— Mais les retombées n’en sont pas très agréables, répliqua-t-il à son tour.

— Non, mais …

— Êtes-vous notre seule possibilité future, notre seul avenir ? demanda la jeune Leslie en me coupant la parole. »

La question en était une d’importance et, sans trop savoir pourquoi, j’appréhendais d’en connaître la réponse.

« Êtes-vous notre seule possibilité passée ? demanda alors mon épouse en leur retournant la question.

— Mais bien sûr que oui, répondit le jeune Richard.

— C’est faux, dis-je, comme frappé de stupeur devant l’évidence de la réponse que je découvrais à l’instant. Car si tel était le cas, nous aurions nous aussi vécu ce que vous vivez présentement et nous nous serions nous aussi rencontrés dans cette chambre d’hôtel. Or, ce n’est qu’à vous qu’une telle chose est arrivée ! »

L’atmosphère était à couper au couteau, et chacun de nous se posait intérieurement les mêmes questions. Nos conseils valaient-ils quelque chose ? Le jeune Richard et la jeune Leslie étaient-ils notre seule existence passée et étions-nous l’incarnation de leur seule existence future ? N’étaient-ils que l’une de nos nombreuses existences passées, celle qui nous avait conduits à notre existence présente, ou y avait-il pour eux d’autres choix à faire, d’autres voies à emprunter ?

« Que nous soyons l’incarnation de votre existence future n’a pas d’importance, dit Leslie au bout d’un moment. Car l’important est que vous ne disiez pas non à l’amour ! »

Puis elle s’arrêta net et me regarda, tout étonnée, se demandant si moi aussi je ressentais les secousses qui agitaient la pièce.

« C’est un tremblement de terre, dis-je.

— Mais non, il n’y a pas de tremblement de terre, rétorqua la jeune Leslie. En tout cas, s’il y en a un, je ne le ressens pas. Et toi, Richard ? ajouta-t-elle à l’intention du jeune Richard.

— Je ne le ressens pas non plus », dit-il en secouant la tête.

Et pourtant, Leslie et moi ne pouvions faire autrement que de constater les secousses s’amplifiant ; au bout de quelques secondes, j’entendis Leslie me dire : « Les mortels qui se trouvent dans cette chambre nous affirment qu’il n’y a pas de tremblement de terre, et nous, fantômes, nous affirmons qu’il y en a un. Peut-être sommes-nous en train de perdre la boule. »

Je sentis qu’elle était effrayée et aussi je lui pris la main, conscient du fait qu’elle avait survécu à deux tremblements de terre et que manifestement elle n’avait pas envie d’assister à un troisième.

Puis la pièce tout entière fut agitée par de violents ébranlements qu’accompagnait une espèce de grondement sourd. Ensuite, l’image de la pièce se brouilla à nos yeux et j’eus l’impression que le seul élément encore tangible dans cette pièce était mon épouse. Quant au jeune Richard et à la jeune Leslie, ils restaient là, stupéfaits, à nous regarder, se demandant ce qui nous arrivait.

« Ne vous quittez pas ! » leur cria mon épouse au moment où la pièce disparaissait complètement à nos yeux. Puis, l’instant suivant, nous nous retrouvâmes à l’intérieur de la cabine de pilotage de notre hydravion qui déjà faisait entendre son ronronnement habituel et semblait prêt à prendre son envol.

Au-dessous de nous, la mer était profonde, et les vagues, dans un bruit voilé, venaient se briser contre les parois de l’appareil.

« Cher Ronchonneur, comme c’est bon de te revoir », dit Leslie en passant affectueusement la main sur le pare-brise de l’appareil encore secoué par des soubresauts.

En moins de deux, je tirai vers moi la commande des gouvernails et fis décoller notre Ronchonneur qui s’éleva doucement dans les airs, imprimant sa marque sur les vagues, et laissant derrière lui un sillon d’écume blanche.

Nous sommes à nouveau en sécurité, me dis-je à moi-même une fois que nous nous trouvâmes dans les airs. Puis, à voix haute, je dis à l’intention de Leslie : « C’est notre Ronchonneur qui nous a tirés de là ! Mais comment a-t-il bien pu faire pour actionner la manette des gaz et décoller ?

— C’est moi qui ai fait cela », dit une voix derrière nous, et qui ne laissa même pas à Leslie le temps de répondre.

C’était bien là la dernière chose à laquelle nous nous attendions, Leslie et moi ; et aussi nous nous retournâmes en même temps et nous aperçûmes une passagère que notre présence ne paraissait nullement gêner et qui semblait prête à nous accompagner dans ce voyage vers des destinations inconnues. Surpris, nous ne dîmes mot.

Chapitre IV

J’étais prêt à tout pour que l’intruse ne s’aventure pas plus avant, et aussi je me rabattis sur la commande des gouvernails et m’apprêtai à accélérer.

« N’ayez pas peur, dit la jeune femme en riant. Je suis votre amie, et la dernière personne de qui vous devriez vous méfier. »

À ces paroles, je me détendis un peu et sentis ma main se desserrer.

« Qui êtes-vous ? demanda Leslie en regardant fixement la jeune femme.

— Je m’appelle Pye, répondit cette dernière, et suis par rapport à vous ce que vous êtes pour ceux que vous venez de quitter à Carmel. Ou, pour être plus exacte, je suis un millier de fois ce que vous êtes pour eux. »

Puis, elle haussa les épaules comme si cela n’avait pas d’importance. Moi, de mon côté, je ramenai l’appareil à sa vitesse de croisière et lui demandai, lorsque le bruit eut cessé :