« Comment êtes-vous … Que faites-vous ici ?
— J’ai cru que cela vous intéresserait de me rencontrer, me répondit-elle. Je suis venue dans le but de vous aider.
— Que voulez-vous dire, s’enquit alors Leslie, lorsque vous affirmez que vous êtes vis-à-vis nous des milliers de fois ce que nous sommes par rapport à ceux que nous venons de quitter ? Voulez-vous dire par là que vous êtes un de mes moi parallèles, ayant son existence dans le futur ? »
La jeune femme acquiesça puis en se penchant un peu vers nous, elle dit : « De fait, je suis votre moi parallèle à tous les deux, et je n’appartiens pas à votre futur, mais à un autre présent. »
J’aurais voulu savoir ce qu’elle entendait par « notre moi parallèle à tous les deux » et par un « autre présent », mais ce que je désirais par-dessus tout, c’était d’apprendre ce qui nous arrivait.
« Où sommes-nous ? m’empressai-je de lui demander. Et savez-vous ce qui a causé notre mort ? »
Ma dernière question la fit sourire et, en hochant la tête elle répéta, l’air amusé :
« Votre mort ? Mais d’abord, pourquoi croyez-vous que vous êtes morts ?
— Je ne le sais trop, lui répondis-je. Mais je puis cependant vous affirmer que le phénomène s’est produit au moment où nous nous apprêtions à nous poser à Los Angeles. En effet, à ce moment, la ville tout entière a disparu de notre champ de vision, comme si elle avait cessé d’exister ou qu’elle s’était volatilisée. Pouvez-vous donc me dire ce que cela signifie quand soudain, il n’y a plus de ville, plus de civilisation, et que seul subsiste un océan infini qui manifestement n’est pas situé sur la planète Terre ? Et que penser quand deux êtres humains se retrouvent seuls dans leur hydravion, au-dessus de cet océan ?
« Et quel sens donner lorsque soudain ils se retrouvent face à des moi parallèles, qui appartiennent à leur passé et semblent plus vivants qu’ils ne le paraissent eux-mêmes, fantômes ? Pouvez-vous m’éclairer sur le pourquoi et le comment des gens leur passent à travers le corps et qu’eux-mêmes passent à travers des murs ? Mais ceci mis à part, je n’ai aucune autre raison de penser que nous sommes morts !
— Mais la vérité, c’est que vous êtes vivants », nous dit-elle en riant.
À ces paroles, mon épouse et moi-même poussâmes un soupir de soulagement.
« Mais si nous ne sommes pas morts et que nous n’avons pas péri d’une façon ou d’une autre, que nous est-il arrivé ? s’enquit alors Leslie. Et où sommes-nous ?
— L’endroit où vous vous trouvez, rétorqua la jeune femme n’est pas tant un lieu qu’un espace d’où vous pouvez jouir d’un point de vue particulier et d’une perspective incommensurable. Quant à ce qui vous est arrivé, je ne saurais le dire exactement, mais je soupçonne que cela provient de l’électronique. » Puis, jetant un regard à notre tableau de bord, elle fronça les sourcils et dit :
« Il y a à bord de cet appareil des récepteurs à haute fréquence : un récepteur loran, un transpondeur et un radar à impulsions. Il peut y avoir eu interférence ou une interaction avec des rayons cosmiques … » Puis après qu’elle eut examiné les divers instruments, elle nous demanda :
« Avez-vous été enveloppés d’une lumière ambre ?
— Oui, répondîmes-nous en chœur.
— Intéressant, dit-elle avec un petit sourire. Car les chances qu’une telle chose se produise sont de une sur un milliard. De sorte que vous puissiez difficilement espérer revivre une autre expérience du même genre.
— Et les chances pour qu’elle se termine ! Sont-elles aussi de une sur un milliard ? » m’enquis-je soudain, alarmé à la pensée de ne plus jamais pouvoir revenir sur la Terre. « Et croyez-vous que nous parviendrons à temps au congrès qui commence demain à Los Angeles ?
— Le temps », dit-elle, comme si la question lui paraissait incongrue. Puis, se tournant vers Leslie, elle lui demanda si elle avait faim.
« Non », lui répondit mon épouse.
Puis, se tournant vers moi, elle me demanda si j’avais soif.
« Non, lui répondis-je à mon tour.
— Et quelle est la raison qui fait que vous n’ayez pas soif ? me demanda-t-elle, insistante.
— Ce doit être le stress, l’excitation, lui répondis-je.
— Ou la peur, ajouta Leslie.
— Vous avez donc peur ? » lui demanda Pye en se tournant vers elle.
Leslie réfléchit un moment puis, la gratifiant d’un large sourire, elle lui répondit :
« Non, plus maintenant. »
Je ne pouvais en dire autant, car jamais je n’avais pu m’adapter facilement au changement.
« Et combien d’essence consommez-vous ? dit Pye en bifurquant de nouveau vers moi.
— Je n’en consomme pas », lui répondis-je en comprenant subitement que si la jauge à essence était au point mort, c’était que nous n’avions pas besoin d’essence, comme nous n’avions nul besoin de boire ou de manger, ces phénomènes et activités étant reliés à l’espace-temps.
Pye approuva de la tête, et semblait penser que j’avais vu juste.
« Mais la vitesse n’est-elle pas aussi reliée au temps ? s’enquit alors Leslie. Et si tel est le cas, comment se fait-il que nous nous déplacions à une certaine vitesse ?
— Vous déplacez-vous vraiment ? dit Pye en haussant les sourcils et en se tournant vers moi, comme si j’avais réponse à cette question.
— Ne me demandez pas cela à moi », lui répondis-je. Puis j’ajoutai : « Serait-ce que nous ne nous déplacerions pas physiquement, mais en … »
Pye m’invita à continuer en faisant un mouvement de la tête et moi de mon côté j’eus l’impression de prendre part à un jeu de charades.
« Serait-ce que nous nous mouvons en conscience ? finis-je par dire.
— C’est exactement cela ! » répondit Pye en me rendant un sourire radieux et en se frottant le bout du nez. « Car ce que vous appelez le temps est en fait un mouvement de la conscience. Et tous les événements que l’on dit se produire dans l’espace-temps, se produisent dans cette conscience qui est un éternel présent et à l’intérieur de laquelle coexistent passé, présent et futur. Bref le passé et le futur n’existent pas puisque seul le présent est réel. Mais ces notions de passé et de futur, il nous faut bien les utiliser, car elles nous aident à nous faire comprendre lorsque nous parlons. »
Puis, cherchant à établir une comparaison valable, elle s’arrêta un moment et leva les yeux au plafond, comme pour y puiser l’inspiration. Et quand elle eut trouvé, elle poursuivit en disant :
« Cela pourrait se comparer à l’arithmétique. Car lorsque vous connaissez les lois de cette science, vous savez que les réponses à toutes les opérations mathématiques existent déjà. Vous savez par exemple que la réponse au problème arithmétique qui consiste à trouver la racine cubique de six est déjà existante, mais que pour la trouver ou la calculer vous avez besoin de quelques secondes, soit d’une brève période de ce que nous appelons le temps. »
La racine cubique de 8 est 2, me disais-je à moi-même pendant qu’elle me fournissait ces explications, et la racine cubique de 1 est 1 Quant à la racine cubique de 6, elle se situe quelque part entre le 1 et le 2, du côté de 1,8. Mais chose certaine, la réponse à cette opération mathématique existe déjà, comme l’affirme Pye, et il ne me reste plus qu’à la trouver.
« En est-il toujours ainsi ? s’enquit alors Leslie. Et cela veut-il dire qu’il n’y a pas de futur et que les événements qui risquent de se produire dans l’avenir se sont déjà produits dans les faits ?