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— Pas plus que le temps, le passé n’a d’existence », répondit Pye.

Leslie, avec son sens pratique, était exaspérée. Elle poursuivit en disant :

« À quoi nous sert de passer au travers de toutes ces expériences prenant place dans un prétendu espace-temps, si tout est déjà réglé d’avance ? À quoi bon faire des efforts si tout est prédéterminé ?

— Tout n’est pas prédéterminé, répondit Pye doucement et la vérité, c’est que nous disposons d’un nombre illimité de possibilités parmi lesquelles nous choisissons et que ce sont nos choix les facteurs déterminants de nos expériences. Nos expériences quant à elles servent à nous faire comprendre, de façon très graduelle, que nous ne sommes pas les êtres limités que nous croyons être, mais plutôt des expressions interdimensionnelles de la vie, des miroirs de la vie.

— Comment tout cela se passe-t-il exactement ? demandai-je à Pye. Y aurait-il un entrepôt géant quelque part dans le ciel et sur les tablettes duquel sont entreposées les innombrables expériences parmi lesquelles il nous est donné de choisir ?

— Il ne s’agit ni d’endroit ni d’entrepôt, rétorqua Pye, quoiqu’il ne vous soit pas interdit de voir la chose de cette façon. Mais si je vous demandais maintenant de me dire de quoi il s’agit ? »

Je fis signe de la tête que je ne le savais pas, puis je me tournai vers Leslie. Elle ne le savait pas non plus.

« Mais de quoi croyez-vous donc qu’il s’agisse ? répéta Pye en pointant le doigt en direction de l’eau et en nous regardant attentivement.

— Le plan, s’exclama Leslie. Le plan sous l’eau ! Et les choix que nous avons faits. Ah ! je crois que je comprends maintenant. Sur le plan sont inscrits nos choix, sont tracés les sentiers que nous avons empruntés. Y sont aussi tracés tous les autres sentiers que nous aurions pu emprunter, que nous avons empruntés ou que nous emprunterons dans …

— Dans des vies parallèles », dis-je en commençant à rassembler les diverses pièces du puzzle.

Au-dessous de nous, le plan se déployait majestueux, et nous le contemplions avec admiration.

Puis, sentant l’inspiration venir, je poursuivis en disant : « Nous sommes très haut dans le ciel et c’est pourquoi nous jouissons d’une telle perspective. Ici, nos choix nous apparaissent clairement, de même que les différentes alternatives qui s’offrent à nous. Mais lorsque nous perdons de l’altitude, notre champ de vision se rétrécit ; et lorsque enfin nous atterrissons, nous ne jouissons plus d’aucune perspective et oublions en quelque sorte qu’une multitude de possibilités s’offrent à nous. Et c’est alors que nous commençons à nous concentrer sur les détails, l’heure présente, la minute présente et que nous oublions nos vies parallèles.

— Quelle jolie métaphore que celle que vous venez d’inventer », dit Pye en guise de commentaire. « Des sentiers qui tapissent le fond d’un océan infini et forment à eux tous un plan qui sert à expliquer qui vous êtes, d’où vous venez et où vous allez ! Ceci, bien sûr, vous oblige à avoir recours à votre hydravion qui, dans un tel contexte, peut vous conduire jusqu’à vos vies parallèles ! Mais pourquoi n’en serait-ce pas ainsi après tout, puisque ceci en soi se veut très créatif ?

— Voulez-vous dire, demandai-je alors à Pye, que ni cet océan infini qui se trouve au-dessous de nous, ni les sentiers qui en tapissent le fond n’ont d’existence réelle ?

— Rien de ce qui se trouve dans l’espace-temps, me répondit-elle, n’a d’existence réelle. Le plan n’est qu’une aide visuelle que vous vous êtes construite pour vous aider à comprendre ce que sont les vies parallèles. Et si vous avez choisi cette aide en particulier, c’est que vous aimez piloter, que vous aimez le vol sous toutes ses formes. Pour entrer en contact avec vos moi parallèles, vous avez choisi d’atterrir sur des sentiers imaginaires vous conduisant jusqu’à eux puis de les y observer en train de cheminer afin de tirer d’eux le maximum d’enseignements possible. Puis, pour vous sortir des sentiers, une fois chacune des expériences terminées, vous avez choisi de vous imaginer à bord de votre hydravion et en train de vous envoler à nouveau afin de reprendre de l’altitude et de regagner en perspective.

— C’est donc nous qui avons inventé ce plan de toutes pièces ? s’enquit alors Leslie.

— Il y a plusieurs façons de décrire la vie dans l’espace-temps, lui répondit Pye, et toutes les métaphores utilisées à cet effet se valent les unes les autres. Ainsi, si vous affectionnez la photographie, vous parlerez de focalisation et direz que dans la vie, tout se résume à une question de focalisation. Et soit dit en passant, la focalisation est ce qui permet de mettre une chose en particulier en évidence dans le champ de vision et de brouiller tout le reste. Et ainsi, lorsque nous nous sommes incarnés, nous focalisons sur notre vie présente et oublions toutes les autres, croyant même qu’elles n’existent pas. Mais de fait, elles existent et existent aussi encore bien d’autres choses que nous considérons irréelles ou imaginaires !

— Voilà sans doute la raison pour laquelle la physique, la mécanique quantique et la notion d’éternité nous intéressaient tant, dis-je. Car toutes, à leur façon, nous font comprendre que ce que nous croyons absolu est relatif et que ce que nous croyons relatif est absolu. Tant les vies passées que les vies futures y seraient considérées comme de simples points de vue et le temps, comme une invention servant à expliquer le mouvement. Et au moment d’une incarnation, toutes les autres vies seraient oubliées … Mais est-ce bien ainsi que les choses se passent ? demandai-je à Pye.

— Pas tout à fait, mais presque, me répondit-elle.

— Ainsi donc, nous pourrions nous transporter dans le futur, dit Leslie, et connaître ce qui se passe à Carmel. Nous pourrions savoir si le jeune Richard et la jeune Leslie vont choisir d’unir leurs destinées et s’ils se sont épargné toutes ces années d’attente.

— Vous le savez déjà, répondit notre guide.

— Non, nous ne le savons pas, rétorquai-je, car nous avons été évacués des lieux avant même qu’ils aient pu prendre une décision. »

Amusée par ma remarque, Pye m’offrit son remarquable sourire et me dit : « Eux aussi, ils ont des choix à faire. Or l’aspect d’eux-mêmes qui a peur de l’engagement, a décidé de ne pas s’engager et de ne plus jamais se revoir, tandis qu’un autre aspect d’eux-mêmes a décidé d’opter pour l’amitié. Enfin, un troisième aspect d’eux-mêmes est devenu amant, tandis qu’un quatrième a opté pour le mariage, puis le divorce. Enfin, un dernier aspect a décidé qu’ils étaient des âmes sœurs, qu’ils se marieraient et resteraient ensemble pour le reste de leur vie.

— Si je comprends bien, lui répondis-je, nous n’avons pas un mot à dire dans notre propre histoire et devons nous contenter de décider sous quel angle nous préférons la regarder.

— C’est une façon de voir les choses, me répondit-elle à son tour.

— Bon, trêve de plaisanteries, lui dis-je enfin, et dites-moi ce qui arriverait si nous décidions de nous poser sur un sentier qui nous mènerait à nos parents et que nous les empêchions de se rencontrer et de nous mettre au monde, nous, leurs enfants ?

— Cela est impossible, dit Leslie en s’adressant à moi. Car nous sommes partis de cette portion du plan dans lequel nos parents ont choisi de se rencontrer et de nous mettre au monde. Nous ne pourrions pas, par conséquent, ne pas être nés, c’est une réalité immuable.

— Les choses sont-elles prédéterminées ? demandai-je encore à Pye. Et y a-t-il une destinée ?

— Bien sûr qu’il y a une destinée, me répondit Pye. Toutefois, cette destinée, c’est nous qui la choisissons, car jamais il ne nous est demandé d’aller dans une direction où nous ne voulons pas aller.