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– Moi ! Mon mariage doit compter parmi les plus brefs. Unis à midi et séparés à 20 heures.

– Je vous bats. Le mien a duré moins d'une minute.

L'incompréhension se lisait dans les yeux d'Andrew.

– Shamir est mort dans la minute qui a suivi notre échange de vœux.

– Il était gravement malade ?

– Nous étions suspendus dans le vide. Il a coupé la corde qui le retenait à moi, pour me sauver la vie. Mais si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je préférerais changer de sujet.

Le regard d'Andrew plongea vers son assiette. Il se tut un instant et releva la tête.

– Ne voyez aucune idée déplacée de ma part dans ce que je vais vous proposer. Vous ne pouvez pas dormir chez vous ce soir. Pas avant d'avoir fait les frais d'une nouvelle serrure. Votre cambrioleur pourrait revenir. Je possède un petit appartement que je n'occupe pas, tout près d'ici. Je peux vous en confier les clés. Je dors depuis trois mois chez un ami. Quelques nuits de plus ne changeront pas grand-chose.

– Pour quelles raisons n'habitez-vous plus chez vous ?

– J'ai peur des fantômes.

– Vous me proposez de séjourner dans un appartement hanté ?

– Le fantôme de mon ex-femme ne rôde que dans ma tête, vous ne craignez rien.

– Pourquoi feriez-vous ça pour moi ?

– C'est pour moi que je le fais, vous me rendriez service en acceptant. Et puis, ce ne serait que pour quelques jours, le temps...

– Que je fasse remplacer ma serrure et que j'achète un autre matelas. D'accord, dit Suzie. Je n'y avais pas réfléchi, mais maintenant que vous m'en parlez, l'idée de dormir chez moi ce soir m'effraie un peu. J'accepte votre hospitalité, deux nuits, pas plus, je vous le promets. Je ferai le nécessaire demain. Et c'est moi qui vous invite à déjeuner, c'est le minimum.

– Si vous voulez, répondit Andrew.

Après le repas, il accompagna Suzie jusqu'au bas de son immeuble et lui confia ses clés.

– C'est au troisième étage. Ce devrait être propre, la femme de ménage vient régulièrement, et comme je n'y ai pas mis les pieds depuis longtemps, elle ne croule pas sous le travail. L'eau chaude met un peu de temps à venir, mais une fois qu'elle arrive, faites attention, elle est brûlante. Vous trouverez des serviettes dans l'armoire de l'entrée. Faites comme chez vous.

– Vous ne me faites pas visiter ?

– Non, je n'y tiens pas.

Andrew salua Suzie.

– Je pourrais avoir votre numéro de téléphone ? Pour vous rendre vos clés...

– Vous me les rendrez à la bibliothèque. J'y suis tous les jours.

*

Suzie inspecta méticuleusement l'appartement d'Andrew, lui trouvant du charme. Elle repéra la photographie de Valérie, dans son cadre posé sur la cheminée.

– C'est toi qui lui as brisé le cœur ? Quelle idiote, je voudrais pouvoir échanger nos rôles. Je te le rendrai, peut-être, mais plus tard, pour l'instant j'ai besoin de lui.

Et Suzie retourna le cadre face contre mur avant d'aller visiter la chambre.

Au milieu de l'après-midi, elle passa chez elle chercher quelques affaires.

En entrant, elle ôta son manteau, alluma et sursauta à la vue de l'homme assis à son bureau.

– J'avais dit « mettre en désordre », pas tout dévaster ! dit-elle en refermant la porte.

– Il vous a confié ses clés. Pour ce qui est d'attirer son attention, c'est plutôt réussi. Vous devriez me remercier.

– Vous me suivez, maintenant ?

– Simple curiosité. Il est rare que l'on fasse appel à mes services pour se cambrioler soi-même, alors forcément, je me pose des questions.

Suzie se rendit dans la cuisine, ouvrit le placard, attrapa un paquet de céréales sur l'étagère, sortit une liasse de billets cachée au fond de l'emballage et retourna dans le salon.

– Six mille, le solde de ce que vous m'aviez prêté, vous pouvez compter, dit-elle en lui tendant l'argent.

– Qu'est-ce que vous lui voulez à ce type ? s'enquit Arnold Knopf.

– Vous le dire ne fait pas partie de notre petit arrangement.

– Notre petit arrangement tire à sa fin. J'ai fait ce que vous m'aviez demandé. Et j'ai passé plus d'heures à la bibliothèque au cours de ces derniers jours que tout au long de ma vie, même si j'apprécie la lecture d'un bon livre. N'eût été le respect que je portais à votre grand-père, je ne serais jamais sorti de ma retraite.

– Ce n'est pas une question de respect, mais de dettes, combien de fois mon grand-père vous a-t-il tiré d'affaire ?

– Mademoiselle Baker, vous ignorez tant de choses.

– Quand j'étais gamine, vous m'appeliez Suzie.

– Mais vous avez grandi.

– Je vous en prie Arnold, depuis quand prend-on sa retraite dans votre métier ? Et ne me dites pas que c'est en jardinant que vous réussissez à entretenir une telle forme à votre âge.

Arnold Knopf leva les yeux au ciel.

– Pourquoi l'avoir choisi lui plutôt qu'un autre ?

– Sa tête dans le journal, elle m'a plu, je me fie toujours à mon instinct.

– Vous êtes plus retorse que cela. C'est parce qu'il a frôlé la mort, vous croyez que cela a fait de lui une tête brûlée que vous pourrez manipuler à votre guise.

– Non, pas tout à fait. C'est parce qu'il l'a frôlée pour aller jusqu'au bout de son enquête et que rien ne l'aurait fait renoncer. Il recommencera, ce n'est qu'une question de temps. La quête de la vérité est sa came, nous sommes pareils.

– En ce qui le concerne, je n'en sais rien, vous avez peut-être raison, mais vous vous surestimez, Suzie. Et votre quête obsessive vous a déjà coûté beaucoup. Vous auriez pu y passer vous aussi. Vous n'avez pas oublié ce qui est arrivé à celui que vous avez entraîné dans votre projet ?

– Fichez le camp, Arnold. Vous avez votre argent, nous sommes quittes.

– J'ai promis à votre grand-père de veiller sur vous. Nous serons quittes le jour où je ne serai plus. Au revoir, Suzie.

Et Arnold Knopf s'en alla.

*

Le matin suivant, Andrew arriva pile à l'heure en conférence de rédaction. Il y prit même quelques notes, ce qui n'échappa pas à sa rédactrice en chef.

Au sortir de la réunion, elle s'arrangea pour emprunter l'ascenseur avec lui.

– Vous êtes sur un coup, Stilman ?

– Je vous demande pardon ?

– Ce matin en réunion, j'ai croisé le regard de quelqu'un que je n'avais plus vu depuis longtemps.

– J'en suis ravi pour vous, de qui s'agit-il ?

– Sur quoi travaillez-vous ? Et ne me reparlez pas de l'Afrique du Sud, je n'y crois pas une seconde.

– Je vous le dirai en temps voulu, répondit Andrew.

Les portes de la cabine s'ouvrirent. Andrew se dirigea vers son bureau, attendit qu'Olivia Stern s'éloigne et fit demi-tour pour redescendre au sous-sol par l'escalier de secours.

Il passa la matinée à la salle d'archives. Il trouva trace d'une Suzie Baker, notaire à Dexter, d'une Suzie Baker professeur de psychologie à l'université James Madison en Virginie, d'une Suzie Baker artiste peintre, d'une Suzie Baker professeur de yoga, d'une Suzie Baker administratrice à l'université de Warwick, et de vingt autres Suzie Baker. Mais après avoir consulté tous les moteurs de recherche imaginables, il fut incapable de glaner la moindre information sur la Suzie Baker qu'il avait rencontrée à la bibliothèque. Et ceci l'intrigua bien plus que s'il avait découvert quoi que ce soit à son sujet. À l'heure des réseaux sociaux, il était impossible qu'une personne n'eût laissé aucune trace de sa vie sur Internet.

Andrew songea à passer un coup de fil à l'un de ses contacts dans la police, mais il se rappela que sa voisine de bibliothèque sous-louait son appartement. Il n'y avait aucune raison que l'électricité ou le gaz fussent à son nom. Sans pièce administrative, impossible d'en apprendre plus. La Suzie Baker à qui il avait confié les clés de son appartement restait dans un anonymat complet ; quelque chose clochait là-dedans et Andrew savait que lorsque ses sens étaient en alerte, il se trompait rarement.