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– Oui, j'ai lu ça. Je dois dire que la coïncidence des deux crashs est troublante.

– Les lois statistiques le sont parfois. Qu'un type gagne deux fois à la loterie et les paris seront truqués, il a pourtant la même chance qu'un autre à chaque tirage, non ? En ce qui concerne le vol Air India 101, tout ce qui a pu être avancé ne tient pas la route. La météo était mauvaise, si on avait voulu la peau de cet ingénieur, il y avait plus simple que d'aller abattre un avion en pleine tempête de neige.

– Il y avait d'autres passagers intéressants à bord ?

– Définissez-moi ce que vous appelez intéressant ?

– Je n'en ai pas la moindre idée.

– Aucun Américain. Des Indiens, des Anglais, un diplomate, des gens comme vous et moi qui ne sont jamais arrivés à destination. Bon, Stilman, vous me dites qui est ce Baker ou vous me laissez bosser pour vos collègues journalistes qui ont des travaux sérieux à me confier ? Votre ami Olson par exemple, il a besoin de mes services.

– Vous dites ça juste pour m'emmerder, Dolorès ?

– C'est possible.

– Suzie Baker.

– Elle était à bord ?

– Non, mais quelqu'un de sa famille devait s'y trouver.

– Elle est jolie, votre Suzie Baker ?

– Je ne sais pas, peut-être.

– Non, mais je rêve ! Monsieur joue le bon Samaritain, mais il ne sait pas. Si elle me ressemblait, vous auriez réveillé une collègue au petit matin ?

– Sans la moindre hésitation, et puis vous êtes bourrée de charme, Dolorès.

– Je suis moche, et je m'en fiche, j'ai d'autres atouts dans la vie. Mon boulot, par exemple. Je suis l'une des meilleures recherchistes du pays. Vous me m'avez pas tirée du lit à l'aube pour m'apporter des croissants, n'est-ce pas ? Les filles comme moi ne sont pas votre genre.

– Enfin Dolorès, arrêtez de dire n'importe quoi, vous êtes ravissante.

– Oui, comme un plat de spaghettis à la bolognaise. Vous savez pourquoi je vous aime bien, Stilman ? Parce que vous ne savez pas mentir et je trouve ça craquant. Maintenant, fichez-moi le camp, j'ai du travail. Ah, une dernière chose, vous me demandiez tout à l'heure comment vous pouviez me remercier ?

– Tout ce qui vous fera plaisir.

– Retournez aux réunions de Perry Street, vous en avez besoin, votre foie aussi.

– Vous y allez toujours ?

– Une fois par semaine. Je n'ai pas touché à une goutte d'alcool depuis trois mois.

– Ne me dites surtout pas que vous avez fait vœu de sobriété sur mon lit d'hôpital.

– Quelle drôle d'idée ! Je suis contente que vous vous en soyez tiré, Stilman, et encore plus d'avoir pu retravailler avec vous, même si ce fut court. Je suis impatiente que vous vous atteliez à un vrai sujet. Alors à samedi, Perry Street ?

Andrew emporta le dossier et referma la porte du bureau de Dolorès Salazar sans ajouter un mot.

*

Une heure plus tard, un employé de la cafétéria déposa un panier de viennoiseries sur le bureau de Dolorès. Il n'y avait aucun mot l'accompagnant, mais la recherchiste n'eut aucun doute sur sa provenance.

*

En fin de matinée Andrew reçut un message sur son téléphone portable.

« Je ne vous ai pas vu à la bibliothèque hier ni ce matin. Toujours en ville ? Si oui, midi et demi chez Frankie's, j'ai vos clés. »

Et Andrew répondit « 13 heures, chez Mary's », par pur esprit de contradiction.

*

Andrew accrocha son manteau à la patère. Suzie l'attendait au comptoir. Le serveur les guida jusqu'à leur table. Andrew y posa en évidence le dossier que Dolorès lui avait confié.

– Désolé de vous avoir fait attendre, dit-il en s'asseyant.

– Je viens d'arriver, vous venez souvent ici ?

– C'est ma cantine.

– Vous êtes un homme d'habitudes, c'est étrange pour un reporter.

– Quand je ne voyage pas, j'ai besoin de stabilité.

– J'en doute, mais c'est amusant. Ainsi, il y aurait donc deux Stilman, le rat des villes et le rat des champs ?

– Merci de la comparaison. Vous vouliez me voir pour me parler de mes habitudes alimentaires ?

– Je voulais vous voir pour le plaisir de votre compagnie, vous remercier de votre générosité et vous rendre vos clés. Mais rien ne nous oblige à déjeuner, vous m'avez l'air de bien mauvaise humeur.

– J'ai peu dormi.

– Raison de plus pour réintégrer votre appartement, dit-elle en lui en tendant la clé.

– Ma literie est si bonne que ça ?

– Je n'en sais rien, j'ai dormi par terre.

– Vous avez peur des acariens ?

– Je dors à même le sol depuis que je suis gosse, j'ai toujours eu horreur des lits. Ça rendait ma mère folle. Le divan du psy coûtait trop cher, elle a fini par fermer les yeux.

– Pourquoi cette phobie des lits ?

– Je me sens plus en sécurité en dormant au pied de ma fenêtre.

– Vous êtes une étrange personne, mademoiselle Baker. Et votre guide, il dormait aussi par terre à côté de vous ?

Suzie regarda Andrew et encaissa le coup sans rien dire.

– Avec Shamir, tout était différent, je n'avais plus peur, dit-elle en baissant les yeux.

– Qu'est-ce qui vous terrorise à l'idée de dormir au-dessus du sol ? Quoique, à bien y réfléchir, si je vous racontais mes cauchemars...

– Et vous, qu'est-ce qui vous terrorise au point que vous portiez une arme à feu sur vous ?

– On m'a lardé comme un cochon. J'y ai laissé un rein, et mon mariage. Les deux à cause de la même personne.

– Votre assassin court toujours ?

– Je ne suis pas mort, comme vous pouvez le constater. Oui, celle qui a fait ça est en liberté, en attendant une extradition qui n'aura jamais lieu. Insuffisance de preuves, je suis le seul témoin à pouvoir la confondre. Et si procès il y avait, n'importe quel avocat mettrait ma parole en doute et m'accuserait de l'avoir persécutée.

– Quels étaient ses motifs ?

– J'ai traqué son père, qui finira ses jours en prison, et j'ai déshonoré son nom.

– Alors, je peux la comprendre, l'honneur d'une famille, c'est sacré. Même si Ortiz était une ordure, pour une fille, un père aussi c'est sacré.

– Je ne vous ai pas donné son nom à ce que je sache.

– Un inconnu me prête les clés de son appartement, vous ne m'en voudrez pas de vous avoir googlisé ? J'ai lu votre article et ce qui vous était arrivé, ça fait froid dans le dos.

– Votre esprit d'à-propos est d'une délicatesse confondante. À quoi bon toutes ces questions si vous saviez déjà tout ?

– Pour entendre l'histoire à sa source. Ce n'est pas ce que font les journalistes ?

– Puisque nous en sommes aux confidences, dit Andrew en poussant un dossier devant Suzie, qui était ce passager auquel vous alliez rendre hommage à 4 677 mètres d'altitude en plein mois de janvier ?

Suzie ouvrit le rabat et commença à parcourir le manifeste de bord, sans rien montrer de son étonnement.

– Je prête mon appartement à une inconnue, vous n'allez pas m'en vouloir d'avoir fait quelques recherches ?

– Balle au centre, accorda-t-elle en souriant.

– Vous n'avez pas répondu à ma question, insista Andrew, quel était le passager ?

– Lui, répliqua Suzie en pointant du doigt le nom du diplomate indien.

– Alors, ce pèlerinage, c'était votre compagnon qui l'entreprenait ?

– L'idée ne vous avait pas effleuré l'esprit ?

– C'est vous qui m'avez parlé d'une date anniversaire.