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– Difficile pour Shamir de vous en parler lui-même, non ?

– Je suis vraiment désolé, soupira Andrew.

– Eu égard à Shamir ou à votre intuition défaillante ?

– Les deux, et croyez bien que je suis sincère en disant cela. A-t-il au moins pu lui rendre hommage avant de...

– ... couper la corde ? Oui, d'une certaine façon. En posant le pied sur cette maudite montagne, c'était chose faite.

– Et vous, vous le suiviez par amour ?

– Monsieur Stilman, je vous suis infiniment reconnaissante, voici vos clés, restons-en là.

– Vous avez changé de nom, mademoiselle Baker ?

Suzie sembla désarçonnée par la question d'Andrew.

– Procédons autrement, reprit Andrew. Si je vous demandais dans quel collège vous avez étudié, quelle université, ou ne serait-ce que l'endroit où vous avez obtenu votre permis de conduire, vous auriez une réponse à me fournir ?

– Emerson College à Boston, puis Fort Kent, dans le Maine, votre curiosité est satisfaite ?

– Quel cursus ?

– Vous êtes flic ou journaliste ? dit Suzie d'un ton pince-sans-rire. J'ai étudié la criminologie. Et ce n'est pas du tout ce que vous imaginez. Ni superflic ni inspecteur en blouse blanche dans des laboratoires high-tech. La criminologie est une discipline tout à fait différente.

– Qu'est-ce qui vous a incitée à choisir cette voie ?

– Un intérêt précoce pour l'étude des comportements criminels, l'envie de savoir comment fonctionnait notre système judiciaire et correctionnel, d'y voir clair dans les rouages qui lient justice, police et agences gouvernementales. Celles de notre pays forment une gigantesque nébuleuse, il est très compliqué de comprendre qui fait quoi.

– Vous vous êtes réveillée un matin en vous disant « Tiens, je voudrais vraiment connaître les liens entre la CIA, la NSA, le FBI et mon commissariat de quartier » ?

– Quelque chose dans ce genre, oui.

– C'est dans le cadre de vos études que vous étudiez la cryptographie ? questionna-t-il en rendant à Suzie le cahier échappé de l'ouvrage qu'elle avait oublié la veille sur sa table de travail à la bibliothèque.

Suzie s'en saisit et le rangea dans son sac.

– Pourquoi n'ai-je rien trouvé de tout cela sur Internet ? reprit Andrew.

– Et pourquoi avez-vous fouillé mon passé sur Internet ?

– Parce que vous êtes moche !

– Je vous demande pardon ?

– Parce que vous m'intriguiez.

– Et maintenant que je vous ai répondu, je ne vous intrigue plus ?

– Vous avez pratiqué la criminologie à la fin de vos études ?

– Mon Dieu, il est infatigable ! soupira Suzie.

– Laissez Dieu là où il est.

– À des fins privées, uniquement.

– Une affaire en particulier ?

– Une affaire de famille et qui ne concerne que ma famille.

– C'est bon, j'arrête de vous ennuyer. Je me suis fourvoyé, Dolorès a raison, il est temps que je m'occupe de moi.

– C'est drôle, en regardant sa photo sur votre cheminée, je ne l'imaginais pas s'appeler Dolorès.

– Vous n'y êtes pas du tout, rétorqua Andrew en partant dans un grand éclat de rire.

– Quoi qu'il en soit, vous pouvez rentrer chez vous, je lui ai collé le nez au mur, elle ne vous regardera plus. Et je me suis permis de vous acheter une paire de draps neufs, j'en ai profité pour refaire votre lit.

– C'est très gentil, mais ce n'était pas nécessaire.

– Je voulais vous remercier de votre hospitalité.

Et tandis que Suzie parlait, Andrew l'imagina, dans un magasin, lui choisissant une parure de draps ; et cette image, sans qu'il puisse se l'expliquer, le toucha.

– Vous serez à la bibliothèque demain ?

– Peut-être, répliqua Suzie.

– Alors, peut-être à demain, répondit Andrew en se levant.

*

En sortant du restaurant, Andrew trouva un courriel sur son mobile.

Cher Monsieur,

Bien que vous ne me soyez pas sympathique, ma fibre patriotique exacerbée par vos propos m'a poussé à vous prouver que nous vivons de ce côté de l'Atlantique dans le même siècle que vous, et parfois même avec une longueur d'avance. La médecine que nous pratiquons en France, comme notre système de santé, en est un parfait exemple qui pourrait inspirer l'un de vos articles. La sécurité de nos hôpitaux n'a elle non plus rien à envier à la vôtre, vous en conviendrez certainement puisque je joins à ce courrier des photographies prises par nos systèmes de surveillance aux abords de notre établissement. Celles-ci furent prises au matin de la sortie de la patiente dont vous vous inquiétiez. Vous en apprécierez certainement la netteté et le fait que nous les conservions une année pleine.

Cordialement.

Pr Hardouin

Andrew ouvrit les pièces jointes et attendit qu'elles s'affichent.

Il reconnut Suzie allongée sur une civière que quelqu'un guidait vers l'intérieur d'une ambulance. Il zooma sur la photographie et reconnut aussi le visage de l'homme qu'il avait vu sortir de l'épicerie d'Ali.

Andrew sourit à l'idée que Suzie ait un esprit au moins aussi retors que le sien, et il fut certain qu'elle serait à la bibliothèque le lendemain.

*

Il héla un taxi, appela Dolorès en chemin et se fit déposer au journal.

Elle l'attendait à son bureau et avait déjà commencé d'étudier les photos qu'Andrew lui avait transférées.

– Vous allez me dire de quoi il s'agit, Stilman, ou je vais mourir idiote ?

– Vous avez pu en tirer quelque chose ?

– Une plaque d'immatriculation et le nom de la compagnie d'ambulances qui sont parfaitement visibles.

– Vous l'avez contactée ?

– C'est dingue que vous me demandiez encore ce genre de choses après toutes ces années.

Andrew savait à l'attitude de Dolorès qu'elle avait obtenu des informations et qu'elle prenait un plaisir fou à le faire mariner.

– C'est une société norvégienne qui leur a commandé le transfert. Le patron à qui j'ai parlé assurait le convoiement, il se souvient très bien de ces deux clients. Ce n'est pas tous les jours qu'il emmène une patiente américaine à l'aéroport de Genève. La fille était absolument ravissante, m'a-t-il confié. Au moins en voilà un qui n'aura pas besoin de se faire prescrire des lunettes, ce qui n'est pas le cas de tout le monde ! Le type qui accompagnait votre Cendrillon se prénomme Arnold, c'est tout du moins comme cela qu'elle s'adressait à lui. Mais elle n'a jamais prononcé son nom de famille.

Andrew se pencha sur l'écran d'ordinateur, la photographie visible dans de meilleures proportions que sur son téléphone portable lui permettait de voir plus en détail le visage de cet homme. Non seulement ses traits lui étaient familiers, mais son prénom ne lui était pas étranger. Soudain, Andrew reconnut son voisin de cimetière.

– Vous faites une de ces têtes, on dirait que vous avez vu un fantôme.

– Vous ne croyez pas si bien dire. Arnold Knopf !

– Vous le connaissez ?

– Je serais incapable de vous dire pourquoi, mais c'est fort probable puisqu'il apparaît dans mes cauchemars chaque nuit.

– Alors, c'est un soûlard avec qui vous avez picolé une nuit !

– Non, et arrêtez avec ça, Dolorès !

– Pas tant que vous ne retournerez pas aux réunions des Alcooliques anonymes.

– Pas si anonymes que ça puisque nous nous y retrouvions.

– Mais personne au journal ne le sait, vous n'avez donc aucune excuse. Creusez-vous les méninges, vous l'avez forcément rencontré quelque part.

– Vous avez fait du bon boulot. Comment avez-vous réussi à faire parler le patron de cette compagnie d'ambulances ?