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– Vous m'avez demandé de vous rejoindre ici dans quel but ? questionna Knopf.

– Acceptez d'être mon complice.

– La réponse est non, je ne ferai pas partie de vos petits projets. J'ai promis à votre grand-père...

– ... de veiller à ma sécurité, si vous ne me l'avez pas dit cent fois...

– Et je m'y tiendrai. Vous aider dans cette entreprise serait faire exactement l'inverse.

– Mais comme je ne changerai pas d'avis, ne pas m'aider me fera courir encore plus de risques.

– N'essayez pas de me manipuler, moi aussi. Vous n'avez aucune chance à ce petit jeu.

– Qu'avait-elle vraiment fait, pour qu'ils l'exécutent ?

– C'est drôle comme vous aimez que je vous répète certaines choses et d'autres pas. Elle s'apprêtait à vendre des secrets d'État. Elle a été interceptée avant de commettre l'irréparable. Elle a tenté de fuir, les choses ont mal tourné. Ce qu'elle faisait était extrêmement grave. Ceux qui ont agi n'avaient aucun autre moyen pour protéger les intérêts de notre pays et des personnes qu'elle allait dénoncer.

– Vous vous entendez parler, Arnold ? On se croirait dans un roman d'espionnage.

– C'était bien pire que ça.

– C'est grotesque, Lilly était brillante et cultivée, une femme avant-gardiste et humaniste qui n'aurait causé de mal à personne et encore moins trahi les siens.

– Qu'en savez-vous ?

– Mathilde ne se livrait pas seulement durant ses soirs d'ivresse. Dès que nous étions seules, elle me parlait de sa mère. Je n'ai jamais eu la chance que ma grand-mère me tienne sur ses genoux, mais je connais tout d'elle. Le parfum qu'elle portait, la façon dont elle s'habillait, ses lectures, ses coups de gueule, ses fameux éclats de rire.

– Oui, elle était en avance sur son temps, je vous le concède, et elle avait aussi son caractère.

– Elle vous appréciait, je crois.

– C'est un grand mot. Votre grand-mère n'aimait guère la compagnie des hommes qui gravitaient autour de son mari, ou plutôt de son pouvoir, leur complaisance et encore moins leurs flatteries. Elle appréciait ma discrétion. En réalité, j'affichais cette réserve devant elle parce qu'elle m'impressionnait beaucoup.

– Elle était belle, n'est-ce pas ?

– Vous lui ressemblez, et pas seulement physiquement, c'est bien ce qui m'inquiète d'ailleurs.

– Mathilde me disait que vous étiez l'un des rares à qui Lilly faisait confiance.

– Elle ne faisait confiance à personne et ça vous arracherait la bouche d'appeler votre mère « maman », comme tout le monde ?

– Mathilde n'a jamais été une mère « comme tout le monde », et puis c'est elle qui aimait que je l'appelle par son prénom. Qui a dénoncé Lilly ?

– Elle s'est grillée toute seule et votre grand-père n'a rien pu faire pour la sauver.

– Le pouvoir comptait plus que tout pour mon grand-père. Mais il aurait dû la protéger. C'était sa femme, la mère de sa fille, il en avait les moyens.

– Je vous interdis de porter de tels jugements, Suzie ! dit Knopf en s'emportant. Lilly était allée trop loin, là où personne ne pouvait plus rien pour elle. Si elle avait été arrêtée, sa trahison l'aurait conduite à la chaise électrique. Quant à votre grand-père, il fut la première victime de cette affaire. Il y a laissé sa carrière, sa fortune et son honneur. Son parti le destinait au poste de vice-président aux côtés de Johnson.

– Johnson ne s'est pas représenté. Carrière, fortune et honneur, quel triste ordre d'importance vous avez déterminé en disant cela. Vous étiez tous formatés, tous ceux qui travaillaient dans ces sinistres agences gouvernementales. Vous ne pensiez qu'à gagner vos guerres intestines et cueillir des étoiles à épingler sur vos plastrons.

– Petite sotte, ceux qui sont tombés pour que vous viviez dans un monde libre sont tous anonymes. Ces hommes de l'ombre servaient leur pays.

– Et combien de ces ombres formaient le contingent qui a tiré sur ma grand-mère ? Combien étaient-ils, ces vaillants serviteurs de la patrie, pour abattre une femme sans défense qui tentait de leur échapper ?

– J'en ai assez entendu, dit Knopf en se levant. Si votre grand-père vous a écoutée ce soir, il a dû se retourner dans sa tombe.

– Eh bien je l'aurai remis à l'endroit puisqu'il vous aura aussi entendu prendre la défense des assassins de sa femme !

Arnold Knopf s'éloigna dans l'allée. Suzie le rejoignit en courant.

– Aidez-moi à blanchir son nom, c'est tout ce que je vous demande.

Knopf se retourna vers Suzie et l'observa longuement.

– Une bonne leçon d'humilité vous ferait le plus grand bien. Et pour ça, il n'y a rien de mieux que d'être confronté à la réalité du terrain, murmura-t-il.

– Qu'est-ce que vous marmonnez ?

– Rien, je pensais à voix haute, dit Knopf en s'éloignant vers LaGuardia Place.

Les phares d'une voiture s'allumèrent, il s'installa à l'arrière et disparut pour de bon.

*

À 22 heures, Andrew s'apprêtait à quitter l'appartement de Simon.

— Tu veux vraiment rentrer chez toi ce soir ?

– C'est la cinquième fois que tu me poses la question, Simon.

– Je voulais juste m'en assurer.

– Je croyais que tu serais ravi que je libère le plancher, dit Andrew en refermant sa valise. Je passerai demain chercher le reste.

– Tu sais que si tu changes d'avis, tu peux revenir.

– Je ne changerai pas d'avis.

– Alors, je t'accompagne.

– Non, reste. Je t'appellerai en arrivant, c'est promis.

– Si je n'ai pas de tes nouvelles dans une demi-heure, je viens.

– Tout ira bien, je t'assure.

– Je sais que tout ira bien, et puis tu vas dormir dans des draps neufs !

– Exactement.

– Et tu m'as promis d'inviter à dîner celle qui te les a offerts !

– Aussi. À ce sujet, tu n'as jamais pensé à rappeler cette Kathy Steinbeck ?

– Quelle étrange idée, pourquoi me parles-tu d'elle ?

– Pour rien, ça m'est venu comme ça, mais songes-y.

Simon regarda son ami, perplexe.

Andrew empoigna son bagage et quitta l'appartement.

En arrivant au pied de son petit immeuble, il releva la tête vers ses fenêtres, les rideaux étaient tirés. Il inspira profondément avant d'entrer.

La cage d'escalier était plongée dans le noir jusqu'au troisième étage. Parvenu sur son palier, Andrew posa sa valise pour chercher ses clés.

La porte de son appartement s'ouvrit brusquement sur un homme qui le repoussa d'un violent coup porté à la poitrine. Andrew partit en arrière et heurta la rambarde. Le temps se figea alors que son corps basculait. Son assaillant le rattrapa par le col et le projeta à terre avant de se précipiter vers l'escalier. Andrew se rua sur lui et réussit à lui agripper l'épaule, mais l'agresseur se retourna en lui assenant un direct du droit. Il crut que son œil s'était enfoncé dans son crâne, il résista à la douleur et essaya de retenir son adversaire. Un uppercut aux côtes, suivi d'un autre au foie, le fit renoncer. Il se plia en deux et accepta l'issue du combat.

L'homme dévala les marches, la porte qui donnait sur la rue se referma en grinçant.

Andrew attendit de reprendre son souffle. Il se releva, récupéra sa valise et rentra chez lui.

– Bienvenue à la maison, grommela-t-il dans sa barbe.

L'appartement était sens dessus dessous, les tiroirs de son bureau ouverts et ses dossiers éparpillés sur le sol.

Andrew se rendit dans la cuisine, ouvrit le congélateur, mit des glaçons dans un torchon et se l'appliqua sur la paupière. Puis il alla constater l'étendue des dégâts dans le miroir de la salle de bains.