Выбрать главу

– Un avion qui percute une montagne, que voulez-vous qu'il en reste ?

– Le Kanchenjunga a laissé une traînée linéaire de huit cents mètres sur le flanc de la montagne. Il ne l'a pas frappé de plein fouet. En apercevant la cime, le pilote a dû cabrer son appareil. C'est la queue qui a touché en premier. Parmi les milliers de débris retrouvés au cours des quarante dernières années, aucun ne provenait du cockpit, aucun ! Au moment de l'impact, l'avant s'était forcément séparé du reste de la carlingue, et j'ai compris qu'il avait fini sa glissade au fond d'un gouffre, sous les rochers de la Tournette. Après des années de lectures de rapports, de témoignages, d'analyses et de photographies, j'étais quasi certaine d'en avoir localisé l'entrée. Ce que je n'avais pas prévu, c'était que nous y tomberions aussi.

– Admettons, dit Andrew incrédule. Vous l'avez retrouvé, le cockpit du Kanchenjunga ?

– Oui, nous l'avons trouvé, ainsi que la cabine des premières classes, presque intacte. Malheureusement, la preuve que je cherchais ne s'est pas révélée aussi parlante que je l'avais espéré.

– De quoi s'agit-il ?

– D'une lettre voyageant dans l'attaché-case du diplomate indien qui figurait sur votre liste.

– Vous lisez l'hindi ?

– Elle était écrite en anglais.

– Et vous pensez que c'est cette lettre que notre visiteur indélicat est venu chercher chez vous ? Il l'a trouvée ?

– Je l'ai planquée dans votre appartement.

– Je vous demande pardon ?

– J'ai préféré la mettre en lieu sûr. Elle est cachée derrière votre réfrigérateur, c'est vous qui m'avez donné l'idée. Je ne savais pas que j'étais suivie et encore moins que vous le seriez aussi.

– Mademoiselle Baker, je ne suis pas détective privé, mais reporter, et je ne suis pas au mieux de ma forme. Pour une fois, je vais écouter cette petite voix qui m'invite à m'occuper de mes affaires et à vous laisser à vos histoires de famille.

La calèche sortit de Central Park et se rangea le long de la 59e Rue. Andrew aida Suzie à en descendre et fit signe à un taxi.

– La lettre, dit-elle, en saluant Andrew, il faut que je la récupère.

– Je vous la restituerai demain à la bibliothèque.

– Alors à demain, dit Suzie en refermant la portière du taxi.

Andrew resta sur le trottoir, perdu dans ses pensées, et ses pensées tournaient en rond. Il regarda le taxi de Suzie s'éloigner et appela Dolorès Salazar.

8.

Andrew passa récupérer son courrier au journal. Freddy Olson était à quatre pattes sous son bureau, tortillant du postérieur.

– Tu te prends pour un caniche, Olson ? demanda Andrew en ouvrant une enveloppe.

– Tu n'aurais pas vu ma carte de presse, Stilman, au lieu de dire des conneries ?

– Je ne savais même pas que tu en avais une. Tu veux que j'aille t'acheter des croquettes ?

– Tu me fais chier, Stilman. Je la cherche partout depuis deux jours.

– Ça fait deux jours que tu es sous ton bureau ? Élargis le périmètre.

Andrew prit le reste de son courrier – deux prospectus et la lettre d'un illuminé se proposant de lui fournir des preuves que la fin du monde se produirait avant la fin du mois – et le glissa dans la fente du destructeur de documents.

– J'ai un scoop pour toi, Olson, si tu veux bien te relever.

Olson se redressa et se cogna la tête.

– C'est quoi ton scoop ?

– Un crétin vient de se cogner le crâne. Bonne journée, Olson.

Andrew se dirigea vers les ascenseurs en sifflotant. Olivia entra dans la cabine derrière lui.

– Qu'est-ce qui vous met de si bonne humeur, Stilman ? demanda-t-elle.

– Vous ne pourriez pas comprendre.

– Vous vous rendez aux archives ?

– Non. Je mourais d'envie de vérifier le numéro de série de la chaudière, c'est pour ça que je descends au sous-sol.

– Stilman, toute ma vie je me sentirai coupable de ce qui vous est arrivé, mais n'en abusez pas quand même. Sur quoi travaillez-vous ?

– Qui vous dit que je travaille, Olivia ?

– Vous avez l'air d'être à jeun, c'est plutôt bon signe. Écoutez-moi bien, Andrew. Soit vous passez me voir aujourd'hui pour me parler de votre enquête, soit je vous en confie une d'office avec une échéance à la clé.

– Une source fiable aurait des informations sur la fin du monde, dit Andrew d'un ton très sérieux.

La rédactrice en chef lança un regard incendiaire à son journaliste, puis ses traits se déridèrent et elle éclata de rire.

– Vous êtes...

– Irrécupérable, je sais Olivia. Donnez-moi huit jours et je vous expliquerai, c'est promis.

– À dans huit jours, Andrew.

Andrew la laissa sortir et attendit qu'elle s'éloigne pour filer vers le bureau de Dolorès.

– Alors ? dit-il en refermant la porte.

– Quelque chose me chiffonne au sujet de votre petite protégée, Stilman. Je ne trouve rien sur elle. Comme si quelqu'un s'était efforcé d'effacer chaque pas qu'elle fait. Cette femme n'a pas de passé.

– Je crois savoir qui aurait pu faire ça.

– Qui que ce soit, c'est quelqu'un qui a le bras long. Je n'ai rien vu de tel en vingt ans de recherches. J'ai même appelé Fort Kent, l'université dont vous m'aviez parlé. Impossible d'obtenir la moindre information sur Suzie Baker.

– Et sur le sénateur Walker ?

– Je vous ai préparé un dossier. Je ne connaissais pas cette affaire, mais quand on lit la presse de l'époque, on se rend compte qu'elle a fait un sacré bruit. Enfin, pendant quelques jours, et puis soudain, plus rien, pas le moindre entrefilet. Black-out absolu. Washington devait être sur les dents pour obtenir un tel silence.

– C'était une autre époque, Internet n'existait pas. Vous me le donnez ce dossier, Dolorès ?

– Il est devant vous, vous n'avez qu'à le prendre.

Andrew attrapa le dossier et commença à le parcourir.

– Merci, mon chien, souffla Dolorès.

– Si vous aviez vu Olson, vous ne me diriez pas ça. Merci, Dolorès.

Andrew quitta le journal.

De retour chez lui, il se rendit dans la cuisine et déplaça le réfrigérateur, se demandant comment Suzie avait réussi seule. Dès que l'écart fut assez large, il glissa la main derrière et trouva la pochette.

Elle contenait une lettre en assez mauvais état qu'il déplia avec précaution.

Cher Edward,

Ce qui devait être fait fut accompli et j'en ressens un profond chagrin pour vous. Tout danger est désormais écarté. La cause se trouve dans un lieu où personne ne pourra accéder. Sauf si parole n'était pas tenue. Je vous en adresserai les coordonnées précises par deux autres courriers séparés qui prendront le même transport.

J'imagine le profond désarroi dans lequel cette issue dramatique vous a plongé, mais si cela peut apaiser votre conscience, sachez qu'en pareilles circonstances je n'aurais pas agi différemment. La raison d'État prévaut et les hommes tels que nous n'ont d'autre choix que de servir leur patrie, dussent-ils lui sacrifier ce qu'ils ont de plus cher.

Nous ne nous reverrons pas et je le regrette. Jamais je n'oublierai nos escapades de 1956 à 1959 à Berlin et particulièrement ce 29 juillet où vous m'avez sauvé la vie. Nous sommes quittes.

Vous pourrez, en cas d'extrême urgence, m'écrire au 79, Juli 37 Gate, appartement 71, à Oslo. J'y resterai quelque temps.